The Hellacopters
Head Off
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1- Electrocute / 2- Midnight Angels / 3- (I'm) Watching You / 4- No Salvation / 5- In The Sign Of The Octopus / 6- Veronica Lake / 7- Another Turn / 8- I Just Don't Know About Girls / 9- Rescue / 10- Making Up For Lost Time / 11- Throttle Bottom / 12- Darling Darling
L’info tomba comme un couperet le 13 octobre 2007 : les Hellacopters annonçaient par le biais de leur site qu’ils se séparaient, et que leur septième réalisation studio serait la dernière, donnant au titre de leur avant-dernière plaque (Rock’n’Roll Is Dead) une augure sinistrement prémonitoire. Et les jeans délavés des amateurs les ayant suivi pendant les treize années de leur carrière de se mettre à frissonner. Une bien triste nouvelle, qui rappelle avec un arrière goût de cendre la défection de leurs excellents potes de Gluecifer enregistrée deux ans auparavant. Il n’y a pas lieu pour autant de jouer aux cassandres désespérées et de se mettre à crier à l’injustice suprême. Le commando suédois n’épouse pas les traits archétypaux du groupe maudit, incompris. Son nom circulait, pour peu qu’on s’intéresse un tant soit peu au rock, leurs disques ne trônaient pas en tête de gondole à la Fnac, mais on pouvait aisément se les procurer en se bougeant un minimum. Il n’y aura pas manqué grand-chose aux Hellacopters pour qu’ils cassent la baraque, peut-être un gros tube à la "Cannonball" ou à la "Seven Nation Army" pour qu’ils puissent ensuite tranquillement évoluer sur leurs dividendes, peut-être des prestations plus enlevés, les gaillards n’étant pas des bêtes de scène même s’ils regorgent de charisme.
Mais les riffeurs de Stockholm n’ont jamais voulu jouer des coudes pour s’imposer, et c’est tout à leur honneur. Il faut cependant porter à leur crédit d’avoir, en plein milieu des nineties, porté à ébullition un alliage remarquable entre le hard rock du début des seventies, la High Energy de Detroit, la power-pop vintage millésimée, le rock New-Yorkais toxique et le garage le plus effronté. On citera donc pêle-mêle Led Zeppelin, Stooges, MC5, Sonic Rendez-Vous Band ou New-York Dolls, même s’il faudrait y ajouter une pléiade de formations beaucoup plus obscures pour rendre justice à ces pointilleux mélomanes. La formule ne meurt pas avec le naufrage du navire, tant elle s’appuie sur des ingrédients forgés dans l’acier de l’éternité. Il suffit de se dire qu’on a toujours Backyard Babies, The Flaming Sideburns, The Soundtrack Of Our Lives, The Datsuns, The New Bomb Turks, The International Noise Conspiracy et bien d’autres, toujours prêts à croiser le fer, où on veut, quand on veut. Il suffit de garder à l’esprit qu’il nous reste les side-projects de ses divers membres (les Thunder Express du guitariste Robert Dahlqvist en premier lieu), que des émules fleurissent encore à l’heure actuelle (les italiens de Small Jackets, pour rester dans les sorties récentes), même en France, si l’on songe à The Elderberries et plus globalement à toute la scène de Clermont-Ferrand. Mais avec ce split entrepris sans haine ni rancœur, c’est toute une scène qui se voit privée de son leader et pour ainsi dire décapitée. Le titre Head Off n’en devient que plus cruellement savoureux.
On ne se lancera pas trop dans des élucubrations sur-interprétatives quand à la charge symbolique de cette ultime galette, puisque la dissolution a été décidée après son enregistrement, mais le principe de Head Off résume à lui seul l’écrasante humilité dont la formation a toujours fait preuve, puisque le disque est intégralement composé de reprises. On s’attendait à un brûlot terminal à la Abbey Road ou L.A. Woman, un chef-d’œuvre définitif qui hurlerait : "Nous étions les Hellacopters, quand nous nous réunissions à cinq dans une pièce, au meilleur de notre forme, ça donnait ça. Voilà ce que nous faisions, et voilà ce que vous n’entendrez plus jamais". Au lieu de ça, on nous susurre : "le fait le que nous arrêtions n’a aucune espèce d’importance, nous ne sommes qu’un groupe parmi d’autres véhiculant une certaine idée du rock’n’roll, pure et éternelle, et par conséquent immortelle. Elle prime sur ses dépositaires. Nous vous proposons ainsi une liste non exhaustive d’artistes oeuvrant pour notre noble cause et nous vous conseillons vivement d’aller jeter une oreille sur leurs productions". Une façon d’avouer que les Hellacopters ont été de brillants passeurs plutôt que des esthètes flamboyants. Lourdement dominé par des compatriotes ou des camarades de label (Demons, The Peepshows, The Robots…), le tracklisting se veut pointu, à mille lieues du ripolinage de scies de groupes légendaires usées à la corde à force d’être honorées. Seule la cover de "Rescue" des ultra-cultes Dead Moon se risque à flirter au-delà du cercle des férailleurs contemporains. Pour se lancer dans les profondeurs de ce testament définitif, autant se rabattre sur les éditions limitées de l’objet, les ‘Copters ayant toujours été friands des versions multi-supports avec bonus tracks à gogo. Outre une version standard pour les gueux, on trouvera une très belle déclinaison en vinyle épais, mais surtout une édition mutante sous forme d’un coffret regroupant l’album sur une face cd et une reprise inédite de "Straight Until Morning" de Powder Monkeys sur l’autre au format vinyle. La boîte contenant également un badge et un écusson à broder sur sa veste militaire. Un truc de geek collectionneur tout à fait approprié au contexte.
Head Off est ainsi à l’image de son modeste projet. Ce n’est pas une pièce d’anthologie mais une solide démonstration de savoir-faire d’artisans doués. Enregistré avec le renfort de l’habituel complice Chip K, le disque est un joyeux déversoir d’hymnes turgescents, de riffs classieux et de power rock millésimé. Il suffit d’écouter la bande pousser au cul le refrain de "Rescue" en de grandes ruades de guitares chevaleresques pour se dire que ce rock, exécuté avec ferveur, le cœur sur la main, nous manque déjà. "Midnight Angels", "(I’m) Watching You", "Darling Darling" sont des titres expédiés avec fougue et noblesse, les yeux dans les yeux, en un ultime geste héroïque. Un piano déchaîné allié à des trombes de power chords féroces et d’un boogie pailleté portent au pinacle "I Just Don’t Know About Girls", "In The Sign Of The Octopus", "Another Turn". L’interchangeabilité des membres de cette prolifique scène est telle qu’on n’a à aucun moment l’impression d’écouter un disque de reprises, mais un digne successeur de By The Grace Of God et de High Visibility. 35 minutes menées ventre à terre avec une envie féroce qui bouffe tout. La mission impérieuse du rockeur moderne sera donc d’aller voir le dernier concert français que livrera le combo le 17 septembre à la Coopérative de Mai, à Clermont-Ferrand, bastion hexagonal le plus à même d’accueillir comme il se doit ce chant du cygne et de propager la bonne parole. Après, il sera définitivement trop tard.