The War on Drugs
Salle : Zénith (Paris)
Première partie :
Les Américains de The War On Drugs étaient de passage au Zénith de Paris, à la Villette, vendredi 23 juin. Le concert s’inscrit dans la tournée promotionnelle du dernier né du groupe, l’apaisé et réussi I Don’t Live Here Anymore, paru chez Atlantic en 2021 et chroniqué chez nous.
Le début d’été est étouffant dans la capitale et les abords du Zénith ne manquent pas de rappeler que la période est propice à la décontraction, qu’il s’agisse d’une bière en terrasse ou de se prélasser sur la pelouse.
La première partie du concert est assurée par Beth Orton, artiste outre atlantique vétérane de l’indie folk-country-americana. Le public répond timidement à l'appel, malgré la présence scénique indéniable de la chanteuse. Accompagnée par des musiciens précis et déterminés, Beth Orton fait grâce d’un set court mais agréable, en dépit de balances appuyant de trop une voix déjà puissante. Ce-dernier point laisse craindre le pire pour le concert à venir, mais l’effet sera rapidement gommé. Mention spéciale pour le batteur de Beth Orton, qui fournit toute l’énergie nécessaire à des compositions oscillant entre Sharon Van Etten, Big Thief et Cat Power. Sur le ton de l’humour, la chanteuse se permettra de demander au public dissipé d’arrêter de causer pendant sa performance, sous peine de se voir priver de l’acte principal. L’humour d’abord, puis un petit “seriously shut the fuck up” dont nous nous passerons de traduction.
Vient ensuite le moment tant attendu par une salle presque comble finalement, l’arrivée sur scène des six musiciens de The War On Drugs, menés par un Adam Granduciel arborant son plus beau t-shirt grunge violet. Le public rassemble tous les âges et les styles, preuve s’il en faut de la popularité du groupe, et de la réputation qui précède ses concerts. Une partie non négligeable de la rédaction d’Albumrock se retrouve même devant la scène (two is a crowd…), pour admirer les riffs de guitare et ce son tellement particulier, les oreilles ébahies.
Les compositions studio du groupe procurent en général une certaine difficulté à classer le style dans une case précise. L’indie rock bien sûr, mais l’ambient et la folktronic sont parfois associées aux morceaux issus de la plume de Granduciel. Le doute n’est pas permis lorsqu’il s’agit de juger la prestation live : The War On Drugs est un groupe de rock'n'roll, et un très bon. “In Chains” se charge de donner le ton : la voix de Granduciel est claire, son phrasé toujours aussi classifiant (entre Dylan, Petty et Springsteen), et les musiciens engagés. Le groupe ne s’y trompe pas en plaçant Charlie Hall en position quasi centrale, dominant le reste de ses comparses : le batteur est un spectacle à lui seul, de par ses rythmiques originales et son attitude théâtrale.
Le groupe prend soin de mettre en avant ses “nouvelles compositions”, en les mêlant avec les classiques dont le public est tellement demandeur. “Oceans of Darkness” et “I Don’t Wanna Wait”, parmi les chansons les plus enlevées du dernier album, font leur apparition assez rapidement, entrecoupées de “Pain”, qui met le feu aux poudres. Le claviériste Robbie Bennett est particulièrement mis en avant, tandis qu’Anthony LaMarca assure la guitare rythmique avec une précision d’automate. Ce-dernier fait crier sa Gretsch comme jamais sur “Holding On”, nouveau point d’orgue d’une set liste décidément convaincante.
La musicienne Eliza Hardy-Jones se joint au groupe pour cette tournée. Elle est particulièrement mise en valeur sur les compositions récentes et moins torturées - du moins en apparence- comme “Harmonia’s Dream”, et surtout “I Don’t Live Here Anymore”.
Une énergie folle se dégage de la prestation scénique des musiciens. Une énergie qui se veut crescendo, sans répit. Les roadies se ruent sur scène dans un ballet très organisé pour passer le relai des instruments préposés à telle ou telle chanson. Jon Nachez, saxophoniste devenu membre permanent du collectif à l’occasion de l’album Lost In The Dream, enflamme littéralement le Zenith avec un solo dantesque sur “Eyes To The Wind”. Pas le temps de souffler, pour Nachez ou le public, et voilà la formation qui lance l’introduction d’un de leurs morceaux les plus iconiques, en particulier en version live, “Under The Pressure”, et sa montée en puissance aux effets quasi hallucinogènes sur l’audience. La bière de mon voisin terminera sur mon short dans l’explosion, et le groupe n’aura jamais aussi bien porté son nom.
Nous l’avons dit plus haut : The War On Drugs est un groupe de rock, sans aucun doute. L’interrogation n’est pas non plus possible quant au fait que la formation soit la chose d’Adam Granduciel, leader absolu et charismatique. Les musiciens nommés plus haut sont tous excellents, y compris le bassiste Dave Hartley, imperturbable sous son beanie rouge. Mais rien n’y fait, Granduciel est un trou noir qui avale toute l’attention et dégage une positivité sincère. “Red Eyes” est incandescente, tandis que “Thinking of a Place” est une expérience quasi onirique qui transcende toute la salle. Les plus de 2h de concerts à un rythme haletant sont la démonstration de cette force communicative. La spontanéité également : lorsqu’un courageux fan lance une bouteille à la mer et réclame que le groupe joue “Old Skin”, Granduciel approuve (“That’s a good idea!”) et le ballet des assistants se remet en marche pour s’adapter aux désidératas de son leader, et par transitivité, à ceux du public.
Le rappel -exercice traditionnel mais également très hypocrite- est laissé de côté par les musiciens de Philadelphie, qui assument totalement n’avoir rien à prouver tant ils ont tout donné sur scène. Personne d’ailleurs, ne leur reprochera…