Les Contre-Victoires de la Musique 2023
On the road again, again ... Au-delà de la "victoire d'honneur" de Bernard Lavilliers, qui sonne un peu comme une oraison funèbre, ces paroles retranscrivent une certaine lassitude de la part du mélomane franco-belge. Lassitude de voir les mêmes noms se battre en duel chaque année, à moins que ce ne soient de nouveaux venus faisant exactement la même chose que celles et ceux qui étaient "nominé(e)s" (ou plutôt sélectionné(e)s, sans anglicisme superfétatoire) lors des éditions précédentes.
D'abord, il y a la surprise (!!) de voir Aya Nakamura et Vianney triompher, face à Louane (dont la présence était inattendue !), Pierre de Maere (incroyable !), Pomme (Qu'ouïs-je ?), Juliette Armanet (à la limite, j'aurais aimé la voir gagner pour emmerder Sardou et ses fans), et même Véronique Sanson (et je remets le son !) ou Etienne Daho. Ensuite, on découvre Zaho de Sagazan (comme Zao mais avec un "h"), dont les nombreuses victoires ce soir-là feraient pâlir un champion olympique. Sa fiche wikipedia dit qu'elle est inspirée par le Krautrock : mais comme les fous de Dieu, elle a oublié d'écouter le message de ceux censés l'inspirer. Car point de Can dans "La symphonie des éclairs", ni de Faust sur "Aspiration", simplement de la variété contemporaine sans plus d'originalité que celle qu'on nous sert habituellement. Certes, la cérémonie a mis le rap à l'honneur cette année, écoutant les critiques régulières à propos de l'oubli d'un genre musical très vivace dans l'espace francophone. Mais le rock ?
Car tout cela se déroule alors que les musiques saturées (voyons large, à l'image de notre ligne éditoriale) françaises se portent à merveille. L'année 2023 a été riche, très riche en excellentes sorties, et ce dans plein de sous-genres différents - stoner, prog', punk, Heavy ... Mais rien qui ne mérite une Victoire de la musique, si l'on en croit les résultats de cette mascarade. Alors comme chaque année, nous allons jouer notre rôle et proposer des Contre-Victoires de la Musique qui mettent en avant la production rock et Metal française. Voyez-y moins un coup de gueule - car peu importe finalement, que les grands médias laissent de côté notre genre musical favori - qu'une volonté de soutenir et promouvoir la scène française. Co-rock-ico.
Lauréats
L'album de l'année : vote des lecteurs
Storm Orchestra - What a Time to be Alive : S'il y a bien un groupe qui aura marqué les esprits en 2023 c'est à n'en pas douter Storm Orchestra. N'ayons pas peur des mots : rarement une tempête d'une telle intensité aura frappée l'Hexagone ! Composé de Maxime Goudard (chant et guitare), Adrien Richard (basse) et Loïc Fouquet (batterie), ce groupe parisien propose une musique nerveuse et fédératrice, directement inspirée par des formations britanniques comme Royal Blood et Nothing But Thieves. Si le trio n’apporte rien de foncièrement nouveau, il faut bien lui reconnaître ce supplément de prestance et de panache qui fait toute la différence. What a Time to be Alive constitue à n’en pas douter une des plus belles surprises de 2023. Puissant, immédiat et fédérateur, le premier album des Français dispose en effet de tous les ingrédients pour susciter une adhésion massive et pour s’exporter à l’international. Bien sûr, la route est encore longue pour Storm Orchestra qui devra encore confirmer lors des concerts à venir, étape que les Parisiens devraient franchir sans mal tant les différentes compositions semblent déjà taillées pour la scène. La récente signature du groupe sous le prestigieux label Mascott Records ne vient que nous conforter dans l'idée que Storm Orchestra n'a pas fini de faire parler de lui !
L'album de l'année : coup de cœur de la rédaction
Bandit Bandit - 11:11 : L'heure de la confirmation. Un passage jamais évident surtout que, dans le cas de Bandit Bandit, cet exercice passait par la parution de leur premier album après les coups d'éclats, captivants, de leurs deux EP publiés précédemment. Le temps pris par Maëva Nicolas et Hugo Herleman laisse supposer de cette forme de pression qui a dû accompagner le duo avant de sortir 11:11. En résulte un disque brillant qui porte en lui la personnalité affirmée de ses auteurs, émancipés de l'affiliation avec les britanniques de The Kills. Dans cet album, Bandit Bandit nous invite dans une pièce décorée des sentiments et des revendications politiques de ses compositeurs. Face à nous se dressent autant de portes aux registres sonores variés, qui se laissent explorer sans la moindre difficulté car déverrouillées par une même clé faite de la voix envoutante de Maëva Nicolas et des riffs pénétrants de Hugo Herleman. Entre rock acide, expérimentation funk ou hip-hop jusqu'à la consécration dans un style plus pop, les montpelliérains font de la diversité le socle de leur identité.
Le meilleur du Rock
Pledge Of Healing - One Step Closer : La rencontre providentielle de Cyril Delvallez et de Claire Sergue est à l'origine de l'un des plus beaux albums de 2023. La conjonction de ces deux talents complémentaires a en effet donné lieu à la création d'un projet musical qui place en son cœur la recherche constante de l'émotion et qui prend la forme d'un voyage tortueux vers le cheminement intérieur et l'introspection. A l'heure de la consommation musicale instantanée, le duo prend ainsi le contre-pied des formats commerciaux pour distiller des atmosphères vaporeuses aux motifs contemplatifs mélodieux qui prennent le temps de se développer, et qui font rejaillir une tension dramatique à l'intensité saisissante. La signature sonore de Pledge of Healing repose sur une science certaine de la composition, chaque titre étant un petit bijou de progression avec un traitement instrumental qui s'étoffe progressivement pour créer des montées en tension fulgurantes. Ce premier disque ne souffre d'aucun temps faible et offre à l'auditeur un véritable concentré d'émotions, sans jamais surjouer cet aspect pour instaurer une forme de retenue gage d'équilibre. Une chose est sûre, face à un tel niveau affiché d'entrée de jeu, reproduire l'exploit ne sera pas une mince affaire pour le duo venu d'Orléans.
The Ascending - The Ascending : Collectif composé de six musiciens qui ont déjà roulé leur bosse au sein de la scène nantaise et provenant d’horizons musicaux aux sensibilités bien différentes, The Ascending est assurément l'une des plus belles révélations françaises de l'année. Au croisement du registre dark folk pour ses ambiances ténébreuses influencées par la musique indus, du post-rock pour son esthétique atmosphérique et du post-hardcore avec ses montées en puissance violentes couplées au chant screamé, il est pourtant bien difficile de coller une étiquette définitive sur la musique des Français. Si le groupe réussit ce savant mélange de styles c'est notamment parce que la composition est toujours au service de la mélodie et se veut très accessible en privilégiant le langage de l'émotion à la technicité pure. Toute cette musicalité à fleur de peau est d'ailleurs portée par des textes engagés et poétiques et trouve son équilibre dans un savant dosage entre fragilité et puissance. Un superbe album, jusqu'à sa pochette, gracieuse et colorée.
Dirty Deep - Trompe l'Oeil : Embarquement pour les Etats-Unis et la plongée dans la Louisiane, au travers d'une musique au blues organique. C'est cette authenticité crue que nous partage les Strasbourgeois avec ce disque Trompe L'Œil. D'inspirations dylaniennes jusqu'au Southern Blues, les alsaciens creusent, pertinemment, toutes les facettes du registre et les dévoilent au prisme de la souveraineté vocale de son chanteur Victor Sbrovazzo. Harmonica et slides de guitare se chargent de pénétrer le style jusqu'à sa moelle. L'exploration achevée, le trio va appuyer son blues de sonorités empruntées au psychédélique et au stoner pour rajouter un surplus de substance à un disque qui n'en manquait pourtant pas.
Le meilleur du Rock Progressif
Bend The Future - Sounds So Wrong : Les Grenoblois de Bend the Future consacrent avec brio leurs orientations rock, électroniques et jazz dans un troisième album particulièrement réussi. Sounds So Wrong propose des morceaux courts privilégiant des mélodies directes mais laissant toujours une grande place aux ambiances planantes et ténébreuses et aux multiples développements instrumentaux, en particulier de superbes passages au saxophone alto ou soprano. Contrairement à ce que le titre de l'album pouvait laisser penser, le quintette n'a jamais sonné aussi juste et on ne peut être qu'impressionné par la maturité atteinte par les Grenoblois en seulement 4 ans !
Nine Skies - The Lightmaker : Deux ans après le très réussi 5.20, les Niçois de Nine Skies reviennent avec un nouveau concept-album d’envergure intitulé The Lightmaker. Construit comme un hommage au regretté Eric Bouillette, guitariste, compositeur et acteur indissociable de la scène progressive hexagonale (Nine Skies, The Room, Solace Supplice, Imaginaerium), ce quatrième opus studio affiche une certaine ambition tout en embrumant l’écoute d’une aura mélancolique évocatrice (l’album relatant la 1001ème et dernière vie de son protagoniste). Revenant à une approche plus métallique, le groupe nous embarque à travers des morceaux fleuves et nuancés, lors desquels la richesse instrumentale procure une incroyable portée mélodique à l'ensemble. Il faut dire que bon nombre de musiciens et chanteurs invités se sont joints à l’aventure pour nous offrir un très beau moment de rock progressif. Une œuvre qui devrait ravir à coup sûr les amateurs de Marillion et Genesis !
Lazuli - Onze : Le très attendu successeur du Fantastique Envol de Dieter Böhm, chef-d'œuvre du groupe progressif le plus fameux de l'Hexagone, a ouvert l'année 2024 avec une mise à l'honneur du rock français. Paroles sublimes, musique subtile, pour un résultat un peu plus tourné vers la chanson française que vers le rock progressif : de quoi donner envie de "sillonner des océans de vinyles" sans en manquer une goutte.
Le meilleur de l'Indie Rock
Paerish - You're In Both Dreams (And You're Scared) : Un disque qui invite, une nouvelle fois, à une escapade en terre américaine. Les quatre parisiens nous propulsent du côté de la Californie pour nous partager leurs inspirations punk-rock. Guitare palm-mute, solo de basse et une voix rappelant, à s'y méprendre, celle de Rivers Cuomo (Weezer) : tous les composants du style sont impeccablement représentés. La force de cet album tient dans la capacité de ses auteurs de s'être réappropriés le registre en le déshabillant de sa candeur naïve pour nous en partager une version mature incarnée par une personnalité musicale faite d'un son de guitare aussi indentifiable qu'authentique. Paerish laisse partager les ouvertures vers un horizon différent, sans pour autant perdre en pertinence, en témoigne l'intégration malicieuse du saxophone ou encore les inspirations plus progressives dévoilées sur le titre d'ouverture.
Pop Crimes - Gathered Together : Enfin un album complet en 2023 pour ce quartet (composé notamment d'un ex membre de En Attendant Ana) doux rock aquarellé, qui avait déjà tout d'un grand lors de la sortie de l'EP Up to the Moon. "My Friends" a un goût de rétro nineties juste assez retenu pour ne pas verser dans le mauvais fétichisme. Les textures de guitares sont doublées par une reverb qui couvre une voix de lad espiègle. On pense à des collectifs comme The Bewitched Hands ou Gang Clouds.
Yolande Bashing - Disparaitre : Bien évidemment qu'on va pas rater une occasion de mettre en lumière Lille et ses environs. On part plutôt sur de la chanson électro un peu pop en vrai avec Yolande, mais il y a derrière une intention de taper rock et crier sa singularité alors ça passe. Après tout rien n'est voulu comme clairement identifié dans son style qui brouille (sonorement aussi) les pistes. "Le Chat" part dans des transes à la Soulwax même si la voix oscille des fois vers Philippe Katerine rattrapée de justesse par l'ingé son de Sir Daho. A mi chemin entre une plainte et un appel à l'aide, le martèlement des mots articulés n'est pas sans rappeler les morceaux moins connus de Bashung (allez réécouter "What's in a Bird") comme sur "Delhi". A manger avec son meilleur confort food post migraine, due à l'alcool ou non.
Le meilleur du Punk (punk-rock / post-punk)
Structures - A Place for My Hate : Après un début de carrière en dent de scie et réduit à l'état de duo, Structures nous proposait l'an dernier un premier album surprenant. Quelque part entre un punk poisseux synthétique et une new wave aérienne, A Place For My Hate peut, au premier abord, paraitre un brin déconstruit. La cohabitation de textures et d'ambiances variées permet cependant aux deux musiciens de polir un prisme aux multiples facettes, difractant des influences qui leurs sont chères et permettant par le même occasion d'enfouir leurs démons passés d'une génèse agitée. En résulte un ensemble frais et captivant, à l'équilibre entre la pop, l'indus' et le punk, permettant au groupe de venir se replacer parmi les plus grands espoirs de notre scène nationale.
Nick Heywood - ABAC : Dans un monde humainement dystopique où les chevaux jouent au tiercé et les hommes galopent sur les hippodromes, le punk vénère occuperait peut-être une place enviable sur le podium des victoires de la musique. Mais est-ce que le punk (dont des furieux comme Nick Heywood perpétuent la tradition) s'accommoderait de ces glorioles éphémères ? Pas certain. Quand on voit ce que l'élite acclame aujourd'hui comme expression artistique, on se demande si le "No Future" n'a pas tout son avenir et toute son urgence désespérée devant lui.
Cathedrale - Words/ Silence : En sept années d'existence et en trois syllabes qu'ils partagent avec des groupes du même genre (Frustration, Rendez Vous), les toulousains n'en finissent pas de transformer l'essai sur une terre qui n'a de post punk pourtant au départ que ses briques. Après un EP et deux albums, ils sortent cette année sur le brillant label Howlin Banana Records un album autour de la rupture et de ses insomnies. Il renferme de nombreux titres réjouissants, tel "Days In The Overground" qui nous ramène à des groupes anglais à la Good Shoes. Tant de talent stabilisé pour une formation qui parvient à rendre la ville rose un peu morose.
Le meilleur du Stoner / Psyché
Grandma's Ashes - This Too Shall Pass : Marquant les esprits dès son premier EP (The Fates, 2021) grâce un métissage stylistique diversifié et une approche aux multiples changements rythmiques, Grandma’s Ashes avait su convaincre les amateurs de stoner (mais aussi de rock progressif) tout en se permettant de bousculer certains codes préétablis. Un véritable numéro d’équilibriste qui laissait rêveur quant au potentiel du projet et qui propulsait le power trio féminin parmi les formations à suivre de près. Avec This Too Shall Pass, le groupe passe clairement à la vitesse supérieure, tant en matière de production que de songwritting. Bien conscientes de la singularité qui émane de leur musique, les trois déesses du stoner rock font part d’une maturité d’écriture forçant le respect, et une savante gestion des contrastes reposant en partie sur une voix nuancée et dominatrice – tout aussi angélique que sulfureuse - émergeant à travers un écrasant monolithe de riffs saturés. De grands espoirs avaient été placés en Grandma’s Ashes à ses débuts. Ce premier album confirme que ceux-ci étaient largement justifiés !
Geminii - EP : Un EP, quatre titres ; il n’en fallait pas plus pour nous convaincre ! Maniant aussi bien les codes du stoner, du grunge et du rock/heavy psyché, Geminii se révèle pleins de surprises tout en s’émancipant de toute forme d’étiquettes. Dès le titre inaugural ("Megalomania"), le quatuor caennais installe une sensation de puissance grâce à des riffs acérés et une section rythmique explosive, évoquant par moment les grandes heures de formations telles que Fu Manchu ou encore Melvins. On dénote un réel savoir-faire dans les compositions, à l’image d’un "Drive Me Away" plus ambitieux qu’il n’y paraît, se distinguant avec ses élans progressifs, son caractère épique et son final des plus ravageurs. Les Normands arrivent également à se montrer touchants en proposant de belles lignes mélodiques ("Anything Anyone") et en jouant habilement sur l’intensité jusqu’à se doter d’attributs plus atmosphériques. Une belle découverte, qui nous laisse espérer le meilleur pour la suite!
Fuzzy Grass - The Revenge Of The Blue Nut : Toulouse, nouvelle terre du fuzz ? La ville du sud-ouest dispose en tout cas d'un sacré vivier en la matière. Délivrant avec passion (et ceci depuis 2015) une musique où s'entremêlent stoner et psychédélisme à forte raisonnance 70's, Fuzzy Grass constitue assurément un ambassadeur de choix au sein de cette scène locale en pleine effervescence. Pour son deuxième album (dont le titre humoristique évoquera l'art de l'absurde d'un Frank Zappa), le quartette français poursuit son exploration de cette esthétique vintage, profitant pour l'occasion du matériel analogique vintage mis à disposition par le studio de la Trappe (Toulouse). Particulièrement à l'aise dans ce registre, le groupe s'en donne à coeur joie et adopte une approche nettement plus progressive, propice à l'expérimentation et aux phases d'improvisations instrumentales débridées. En attendant une éventuelle contre-attaque de la pistache dorée, il est clair que cette cacahuète bleue restera un des apéritifs les plus délectables de cette année 2023 !
Le meilleur du Rock instrumental
Path of Ilya - Heterostasis : Une victoire est dite à la Pyrrhus quand le vainqueur subit tellement de pertes qu'il aurait moins souffert d'une défaite. Dans cette optique, on pourrait peut-être parler de Victoires à la Pyrrhus de la Musique. Parce que le palmarès 2024 (qui résulte de présélections caricaturales) inflige plus de dommages que de gain à l'art "multiple" que nous sommes tellement nombreux à chérir. Parler de "Musique" en excluant des pans entiers de cette forme d'expression équivaut à confier une chaire de géopolitique à ce brave Joe Biden (j'écris ça avec tendresse et humour parce que, si j'étais Américain, je serais démocrate). Ce qui me rassure, c'est que le plébiscite organisé d'une artiste (certainement) intelligente, clone allumée de Zazie et de Daho, n'empêchera jamais un groupe comme Path Of Ilya d'exister et de faire prospérer une "autre approche". Parce que ce trio d'extraterrestres français opère dans une dimension différente, loin du strass, des Ciryl et des Léa, des Bernard en larmes et des Rita en rides, des Tétêhou et des Pâlà. Heterostasis est un grand disque rock progressif inclassable qui a hanté 2023 et qui reviendra hanter les années suivantes. Ce n'est pas une musique qui a besoin de victoires parce qu'elle incarne, en elle-même, la victoire d'un art polymorphe et rebelle sur le silence et sur la soumission aux règles du mainstream.
Septénaire - The World Upright : Certains artistes n’ont pas besoin de mots pour faire parler leur musique. Le défi réside en partie dans la capacité à exploiter toutes les nuances offertes par un instrument, de transporter par l’intermédiaire d’une progression mélodique finement ciselée, et de varier judicieusement l’intensité pour capter l’attention. Ce subtil équilibre se retrouve plutôt bien retranscrit à travers le premier EP de Septénaire. Le trio breton interpelle au détour d’une instrumentation de qualité voyant le traditionnel combo guitare-basse-batterie cohabiter avec l’élégance d’un saxophone ou d’une flûte traversière. Pris dans l’engrenage de compositions qui ne se reposent jamais sur leurs acquis, nous poursuivons notre écoute à la manière d’un récit que l’on ne peut se résoudre à interrompre avant son dénouement. Résolument progressive, la musique des Français sait aussi se montrer entrainante et incisive, filtrant avec le metal à l’occasion de certaines montées en intensité qui évoqueront Porcupine Tree et Tool. La densité de l’EP fait finalement oublier sa relative brièveté et invite à s’y replonger immédiatement pour en capter toutes les nuances.
A Short Time Ago - Everyone Has Heard Echoes : Les amateurs d’univers SF dystopique et de riffs incisifs seront à coup sûr séduits par le premier album de A Short Time Ago. Les Français développent un son massif et tranchant, entièrement instrumental, reposant sur des lignes de guitares dantesques et une excellente section rythmique, calibrée pour tenir la cadence infernale tout au long des 13 morceaux qui composent cet album. L’absence de chant n’empêche pas au groupe de donner beaucoup d’expressivité à sa musique et de multiplier les développements mélodiques tout en parvenant toujours à retomber sur ses pattes autour d’un thème fédérateur comme sur les excellents "Among Us" et "Peace of the World". Les Français savent diversifier leur jeu, passant d’une wah-wah dévastatrice sur le morceau éponyme à des lignes de guitares angoissantes qui habillent des arpèges ténébreux sur "Lunar Impact". On appréciera également les changements de rythmes nombreux et les montées en tension permanentes sur "Secret War" et "In Vivo", selon nous les meilleurs titres de l’album. Une belle réussite qui nous fait dire que définitivement, ce Everyone has Heard Echoes n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd.
Le meilleur du Metal
Klone - Meanwhile : S'il est évident pour tous que le gang de Poitiers n'en est pas à ses premiers méfaits, avec Meanwhile, il signe un disque grandiose, sorte de quintessence de ce que l'on pourrait qualifier de metal atmosphérique. Un disque où l'ambiance instrumentale se fait tour à tour orageuse et céleste, tourmentée et apaisée, transportée par le chant tellurique de Yann Ligier qui n'a sans doute jamais autant habité ses titres. Il n'y a qu'à écouter un titre comme "Bystander", à l'approche simple mais qui développe des trésors de progressivité dans l'émotion, pour comprendre à quel point Klone maîtrise son œuvre et son style, sans compter que le reste de l'album vole au même niveau. Un grand disque, mais plus que ça : une référence.
Molybaron - Something Ominous : Marquant les esprits en 2021 avec un second album faisant office de véritable uppercut (The Mutiny, 2021), Molybaron a su assoir sa position en 2023 avec un nouvel opus des plus redoutables : rythmiques soutenues, guitares acérées, refrain ravageur et entêtant, et toujours ce sens du groove qui fait toute la différence! Le groupe franco-irlandais continue d'entretenir sa singularité grâce à un brassage stylistique maitrisé (concocté à partir d’éléments de heavy, de rock alternatif ou encore de stoner) et au phrasé atypique de son chanteur, qui à lui-seul amène les compositions dans des directions complètement inattendues : on pensera aux effluves celtiques émanant du refrain de "Set Alight" ou encore à l’improbable esthétique hip-hop/hardcore de "Billion Dollar Shakedown". Something Ominous constitue ainsi une confirmation mais aussi une belle progression dans l’ascension d'une formation qui dispose désormais de tous les ingrédients pour se hisser parmi les plus hautes sphères du metal moderne.
Koudeta - Koudeta : Né en 2019 de la réunion de musiciens aguerris issus de différents univers, Koudeta constitue assurément une des révélations les plus évidentes de la scène metal française en 2023. Exploitant à bon escient un large spectre d'influences (évoquant de manière plus ou moins évidente Rage Against The Machine, Pantera ou encore Alice in Chains), le groupe nous propose un patchwork metal détonnant, parsemé d’effluves nostalgiques typiquement 90’s. Direct et sans concession, ce premier album se révèle aussi addictif que vivifiant grâce notamment à ses riffs acérés et percutants, et le flow redoutable de sa chanteuse. Un groupe prometteur, à retrouver sur le désormais indispensable label Klonosphère.
Le meilleur du Metal progressif
Sunbeam Overdrive - Diama : Premier opus de cette formation marseillaise, Diama est le résultat d’un long travail de composition et d’enregistrement qui s’est étendu de 2020 jusqu’à 2021. Évoquant par moment des formations telles que Alice in Chains, Pantera, Machine Head ou encore Karnivool, le quatuor français propose un univers musical concocté à base d’éléments de rock alternatifs 90’s et de metal prog moderne ; des fondations esthétiques permettant de s’adonner à une musique à l’intensité variable et progressive, reposant sur des riffs lourds et une section rythmique plutôt féroce. Sans pour autant viser le concept album, Diama présente une cohérence d’ensemble évidente, générant une véritable sensation d’ascension au fur et à mesure de sa progression. De l’introduction sensorielle marquée d’effluves orientales jusqu’au plus frénétique "Out of Plato’s Cave", l’intensité monte de manière crescendo, évoquant des traversées périlleuses en pleine tempête sonore, mais aussi des instants d’accalmie favorisant les instants plus contemplatifs. Bien plus qu’une simple révélation, le combo marseillais pose de solides pour la suite, et semble plus déterminé que jamais à franchir de nouveaux sommets.
Hypno5e - Sheol : Voilà maintenant 20 ans que la formation menée par Emmanuel Jessua fascine avec une musique aux multiples visages, trouvant sa singularité dans une certaine prédisposition cinématographique (le groupe parle lui-même de "metal cinématique"). Sheol, le septième opus de HYPNO5E, ne déroge pas à la règle en mettant en exergue tout le savoir-faire du combo montpelliérain. Nuançant son propos à la manière du clair-obscur, le groupe nous entraine dans d’imposantes fresques progressives alternant judicieusement entre moments d’accalmie au lyrisme exalté et véritables instants de frénésie. On pense tour à tour à The Ocean, Ez3kiel, Archive et Alcest, sans pour autant rattacher le groupe à une quelconque étiquette. Autant dire que le voyage proposé vous fera passer par toutes les émotions ; un aspect immersif à mettre sur le compte d'une production sonore de haut vol ! Le metal progressif français tient à n’en pas douter son incarnation la plus puissante et singulière. PS : Prenez également le temps de regarder les différents clips du groupe, car chez HYPNO5E l’audio et le visuel vont de pair !
Wedingoth - Five Stars Above : Le quatrième album du combo lyonnais sera-t-il le bon, celui par lequel cette formation installée dans la paysage national du Metal progressif pourra obtenir une plus forte audience ? En tout cas, tout semble avoir été fait pour - composition aboutie, (auto)production soignée, soli virtuoses. Tout amateur de la scène dans sa forme historique (il y a beaucoup de Dream Theater, avec un chant féminin néanmoins) devrait y trouver son compte : foncez !
Les plus belles trouvailles de La Sélection Albumrock
Selon le même principe que les années précédentes, nous vous proposons une sélection des plus belles découvertes issues de notre concours La Sélection Albumrock.
Gliz - Mass : Gliz fait souffler un vent de fraîcheur sur la scène rock hexagonale avec un très beau deuxième effort qui se distingue par son authenticité et son originalité. Marquée par une signature atypique provenant de l'utilisation d'un banjo et d'un tuba en lieu et place des sempiternelles guitares et basses, la couleur musicale des jurassiens est éminemment singulière, portée par un power trio en fusion et le chant à fleur de peau de Florent Tissot. Un disque avec beaucoup de relief qui alterne entre ballades sensibles et riffs plus lourds qui sentent bon les 70's et qui nous ramènent à l'état sauvage avec un son électrique un peu rocailleux. Une des plus belles révélations de la scène rock française de ces dernières années.
Julien Delaye - Ancient Monster : Mettant à profit, comme beaucoup d'artistes, la pause forcée de la pandémie mondiale pour travailler de nouvelles compositions plus acoustiques, l'auteur compositeur Julien Delaye livre un premier EP solo captivant, véritable porte d'entrée dans son univers musical singulier oscillant entre indie rock et dark folk. Le Marseillais distille 5 morceaux à l’atmosphère sombre et romantique armé de sa voix grave et pénétrante. Chaque titre possède sa personnalité : les guitares dansantes sur le final du morceau éponyme, la lourdeur poisseuse de l'hypnotisant "My Dictionary", la mélodie accrocheuse de "The Meeting Place", portée par la chaleur de ses cuivres ou encore la litanie ténébreuse de "A Mermaid". Sans oublier une reprise très réussie de "Brothers in Arms" des Dire Straits réinterprétée à sa sauce acoustique. Sans rentrer dans des cases et des courants préétablies, Julien Delaye livre donc un premier EP très inspiré qui devrait l'encourager à poursuivre ce travail solitaire à côté de ses autres projets plus électriques.
CCQUEEN - Scavenger : Les Bordelais de CCQUEEN frappent fort pour leur premier album concept dépeignant différentes facettes du cœur humain en 11 titres aussi variés qu’hypnotisants. Porté par un chant particulièrement charismatique et vecteur de multiples émotions, Scavenger ouvre les portes d'un véritable univers musical qui surprend sans cesse et déroute l'auditeur entre déferlantes électriques, ambiances psychédéliques éthérées et ballades aériennes inspirées avec de nombreuses montées en puissance. Le titre d'ouverture "Common Sense" marquera les esprits de son ambiance ténébreuse et le groupe se permet même un véritable tour de force avec cette pièce centrale planante de plus de 8 minutes qui décolle finalement dans un intense fracas de guitares. Il se dégage de l'ensemble une vraie cohérence et originalité ainsi qu'une certaine noirceur qui permet même de réinventer le "Basket Case" de Green Day en lui conférant une tension dramatique particulièrement saisissante. Un très bel album de rock alternatif, varié et puissant, qui brille par son interprétation et qu'il convient donc de mettre en toutes les oreilles.
Le Revival rock de l'année
Red Cloud - Red Cloud : Si la vague revival 70’s semble battre son plein sur la scène internationale, force est de constater que la France se montre plutôt timide face à l’exercice, peinant de toute évidence à faire émerger de son vivier de véritables chefs de file. Découvrir un groupe comme Red Cloud dans un tel contexte s'accompagne forcément d’une certaine saveur. Avec pour inspirations Led Zeppelin, AC/DC, Black Sabbath ou encore Atomic Rooster, ce groupe parisien formé en 2018, accouche d’un premier album au pouvoir évocateur certain, faisant la part belle aux riffs acérés, aux sonorités vintages et aux ambiances électriques. Si le groupe joue sans retenue sur la fibre nostalgique en s’appropriant les attributs les plus spontanés de ses illustres modèles, il parvient à tracer sa propre voie en munissant son hard rock de touches plus contemplatives - voire progressives -, mais aussi en optant pour une production sonore plutôt moderne. Outre la qualité de production - d’un album développé et enregistré de A à Z par le groupe -, c’est l’alchimie entre les cinq musiciens qui se fait la plus flagrante. La France dispose désormais d’un très beau représentant sur la scène revival, un groupe à fort potentiel qui semble déjà tout disposé pour le live ! Il y a d'ailleurs de fortes chances que nous réentendions rapidement parler de Red Cloud, le combo parisien ayant déjà en vue l’enregistrement de son prochain opus…
L'OMNI de l'année (Objet Musical Non Identifié)
Nord - The Implosion of Everything That Matters : Avec son deuxième album sorti en 2020 (The Only Way to Reach the Surface), Nord s’est affirmé au sein de la scène progressive hexagonale comme un des groupes les plus singuliers et aventureux de sa génération. Et pour cause, le groupe français proposait une œuvre d’une cohésion remarquable, et ceci malgré un brassage stylistique assez incongru (le groupe maniant aussi bien les codes de la pop que du black metal pour un rendu aussi déstabilisant qu’éclectique) associé à de brusques changements de tonalités qui avaient de quoi décontenancer à la première approche. Désormais éparpillé entre Lille et Paris, le combo s’est nourri du climat anxiogène du confinnement pour aborder certaines thématiques comme l’isolement, la nostalgie, la frustration ou le deuil. The Implosion of Everything That Matters retranscrit finalement toutes ces angoisses auxquelles nous avons - à un moment ou un autre - été confronté, avec en point d’orgue cette question sous-jacente : comment rattraper le temps perdu ? Une partie de la réponse réside probablement dans le fait de se renouveler, d’oser sortir de sa zone de confort, et faire voler en éclat toutes les barrières physiques ou invisibles qui s’opposent à notre développement personnel. S’inspirant pour l'occasion de courants tels que la dark wave, le shoegaze, ou encore le post metal, le groupe relève le défi d’une approche musicale plus synthétique et dépourvue de guitares, tout en conservant l’essence même de Nord. En résulte, un objet musical étrange et singulier, qui décontenancera autant qu’il captivera. Le groupe français nous fait encore une fois profiter de son audace et d’une créativité sans limite. Un album déroutant à la première approche, mais qui semble nous rappeler à lui encore et encore… Et si cette irrépressible fascination était liée à cette inquiétante présence spectrale?
La mention spéciale !
Johnnie CarWash : Ils ont sorti "que" deux singles en 2023, mais faisons fi de ce détail pour mettre en lumière ce trio qui a laissé trainé ses doigts dans les prises et les amplis de FIDLAR. "I'm a Mess" tutoie les Johnny Mafia (entre cousins du même nom on se comprend) en accéléré. Efficace comme un bon Candy Up à la fraise que les vrais connaissent et reconnaissent sur "Anxiety". Un album arrive en mars 2024 !
C'est ainsi que s'achève ce dossier consacré aux réalisations de la scène hexagonale. Une année 2023 qui restera assurément dans les mémoires et qui confirme encore une fois que le rock "made in France" n'a pas dit son dernier mot.
Et si vous n'êtes toujours pas rassasié - musicalement parlant -, vous pouvez consulter à tout moment nos dossiers antérieurs :
- Les Contre-Victoires de la Musique 2020
- Les Contre-Victoires de la Musique 2021
- Les Contre-Victoires de la Musique 2022