Les dix albums de rock préférés de Nicolas
À mon tour de vous faire découvrir les dix albums de rock qui m'ont le plus marqué dans mon parcours musical et, plus généralement, dans ma vie. Pas forcément les meilleurs ou les plus incontournables "au sens large" tel que l'on peut en voir dans moult classements de par le monde et les décennies passées, mais plutôt ceux que je préfère écouter, qui me définissent et accessoirement que je ressors le plus souvent pour passer sur ma platine. Go !
Porcupine Tree - Fear Of A Blank Planet
Il est un fait que je dois beaucoup à Steven Wilson dans mon regain d'intérêt pour le rock au début des années 2000. Je me souviens encore avec pas mal d'émotion la découverte qu'a constituée l'écoute de In Absentia au casque du Virgin Megastore de Strasbourg (paix à son âme), sans doute la plus grosse claque musicale de toute ma vie, d'autant plus sidérante que je me suis totalement laissé prendre par surprise. Par la suite, tous les disques de Porcupine Tree ont longuement occupé ma platine, In Absentia donc, mais aussi Deadwing, Lightbulb Sun, Stupid Dream et tant d'autres. Je passe rapidement sur les autres œuvres de Wilson, sa disco solo (The Raven That Refused To Sing, affolant de classe), ses contributions à Blackfield (les 2 premiers sont magistraux) ou à No-Man. Bref, un artiste parmi ceux que j'admire le plus et que j'ai d'ailleurs eu la grande chance de rencontrer et d'interviewer.
Néanmoins si je ne devais retenir qu'un seul disque de SW, ce serait Fear Of A Blank Planet. Parce que c'est le meilleur disque de Porcupine Tree, le plus abouti, celui où les différentes influences du bonhomme sont le mieux digérées, celui où Gavin Harrison s'avère le plus exceptionnel à la batterie. Le point de liaison ultime entre heavy metal et rock progressif. Un concept album désenchanté sur l'hyperconnectivité froide de la jeunesse laissée à l'abandon par des adultes à la dérive dans un monde déshumanisé. Des titres haletant, le colossal "Anesthetize", le fabuleux "Sentimental", une ambiance sombre, froide et tétanisante. Du grand art, carrément.
Accessoirement, Fear Of A Blank Planet est le premier disque que j'ai chroniqué en arrivant sur Albumrock il y a bientôt treize années de cela, et ce n'est pas rien quand on sait que la barre des 500 critiques d'album est désormais franchie par votre serviteur ! D'ailleurs je l'ai encore écouté pas plus tard qu'avant-hier : il n'a pas pris une ride. À bon entendeur.
Rush - Clockwork Angels
Rush tient une place à part dans l'histoire du rock. Trio surdoué refusant les étiquettes, au style inimitable, la formation a été l'une des plus durables et prolifiques de toutes celles vaguement estampillées hard rock 70's - et devenue entretemps le fer de lance du hard rock progressif. Pensez que Geddy Lee, Alex Lifeson et Neil Peart sont quasi contemporains de Led Zeppelin ! Néanmoins Rush n'a pas suivi la même voie que les autres, celle sur laquelle ils auraient pu thésauriser avec le succès du bouillonnant 2112. Se remettant sans cesse en question, évoluant largement au style des années et des époques, le groupe a traversé toutes les tempêtes sans jamais baisser pavillon, même s'il a connu des hauts et des bas durant sa carrière.
S'il fallait ne citer qu'un seul disque au sein de l’œuvre de Rush, plutôt que de verser dans les poncifs habituels (2112, Moving Picture, certes d'authentiques masterpieces), je me rangerais plutôt derrière le tout dernier, preuve de l'époustouflante vitalité dont a pu faire preuve ce groupe jusque dans ses tout derniers moments d'existence. Concept album basé autour d'une histoire steampunk rocambolesque (novelisée d'ailleurs par Brian J Anderson qui a écrit un roman fort intéressant à quatre mains avec Peart, batteur et parolier du trio), Clockwork Angels se pose comme un grand disque de par ses compositions inattaquables, sa technique ébouriffante, son artwork écarlate fascinant et son très haut niveau d'écriture. S'il n'est pas forcément évident de découvrir Rush eut égard à des mélodies pas toujours immédiates (mais inoubliables une fois rompu au style des trois canadiens) et à la voix braillarde de Geddy Lee (mais on s'y habitue vraiment très vite), je ne peux que conseiller très largement Clockwork Angels qui jouit d'une impeccable production (Nick Raskulinecz à son sommet), d'une tonalité rock bien trempée et de fabuleux moments de bravoure. "Caravan", "Seven Cities Of Gold", "The Wreckers"... mais pourquoi tous les citer ?
Pour la petite histoire (mais ce sont souvent les anecdotes qui se montrent les plus signifiantes), sachez que l'intro de "Headlong Flight" constitue ma sonnerie de portable depuis presque huit ans maintenant et que je n'ai aucunement envie d'en changer. Pouvoir réécouter feu Neil Peart dans sa charge de cavalerie la plus mémorable n'a pas de prix, alors plusieurs fois par jour, quel bonheur !
Nine Inch Nails - The Downward Spiral
Tout a déjà été dit sur ce manifeste jusqu'au-boutiste de Trent Reznor, cette ode à la noirceur, à la dépression et à la haine de soi. Rien de très réjouissant certes, mais affirmer que The Downward Spiral est un disque qui m'a construit relève de l'euphémisme.
Chacun traverse des phases difficiles à un moment où à un autre de son existence, et moi-même je ne fais pas exception. C'était en 2006. Trop de travail, trop de stress, trop de pression, le burn-out, classique. Une période terrible durant laquelle je peinais à me reconnaître moi-même tellement je manquais de confiance en moi voire d'estime de moi. Il est parfois salutaire de trouver son miroir chez d'autres personnes, et ce miroir, c'est Reznor qui me l'a offert.
Car il faut avoir affronté cette horreur qu'est la dépression pour comprendre véritablement la portée abyssale du propos de Reznor et apprécier cette mise en forme coup de poing. The Downard Spiral est un concentré d'émotions crues, haine ("Heresy"), colère ("March Of The Pigs"), terreur ("I Do Not Want This"), violence ("Mr Selfdestruct"), luxure ("Closer"), dégoût, désespoir, résignation... jusqu'à la terrible spirale du suicide qui trouve son aboutissement avec une émotion et une tristesse infine sur le sublimissime "Hurt". Derrière les guitares qui vous décollent les ongles, les percussions qui vous passent à tabac et cette voix en souffrance qui vous vrille les tympans, derrière toute cette brutalité, cette ire hurlée comme un appel à l'aide, la beauté tragique finit par apparaître au bout du chemin. Chef d’œuvre de metal indu à la croisée des genres (punk, trip hop et pop ne sont jamais très loin), The Downard Spiral est un disque que je ressors encore régulièrement et que je ressortirai jusqu'à la fin de mes jours. Pour comprendre, pour me souvenir, pour expurger... et ne plus jamais revivre ça.
Guns N' Roses - Appetite For Destruction
Appetite For Destruction est le disque de hard rock ultime, parfait en tous points, inégalable, insurpassable, l’œuvre de toute une vie d'un groupe alors en parfaite adéquation avec sa musique. Cette bande de cinq pieds nickelés, de "cassos" brisés, ces alcooliques en puissance qui ne jurent que par le Night Train et les meufs, qui vivent comme des clodos dans des bouges sordides tapissés de posters pornographiques et au sol parsemé de seringue d'héro, ces cinq potes issus d'univers musicaux si différents (le duo Elton John - Freddie Mercury pour Axl Rose, Joe Perry et tous les guitares héros défroqués pour Slash, la scène punk libre et contestataire pour Duff McKagan, le blues des Stones qui colle aux doigts pour Izzy Stradlin, le glam metal le plus cradingue et libidineux pour Steven Adler) ont donné naissance à bien plus qu'un album : un manifeste, un bréviaire, un Évangile du stupre. Et c'est tout ce qui en fait le sel.
Alors certes, balancer un poncif comme Appetite dans ses albums préférés, ça fait un peu "tarte à la crème". Néanmoins, je ne peux nier que ce disque a acquis, au fil des années, une importance toute à fait conséquente dans ma vie. J'étais trop jeune pour avoir pu l'apprécier à sa juste valeur à sa sortie, et ce n'est qu'après avoir succombé aux Use Your Illusions au début des 90's que j'ai pu en retirer toute la substantifique moelle. Depuis ce disque ne m'a jamais quitté, trustant régulièrement mes platines et autres lecteurs CD (puis mp3). Et puis il y a eu cette belle opportunité d'écrire un livre sur les Guns N' Roses chez Le Mot et Le Reste il y a deux ans de cela, et c'est à ce moment-là, en me replongeant par le détail dans la biographie mouvementée des Gunners, que j'ai pu redécouvrir et savourer plus encore ce monstre sacré du hard rock. Plus encore que ma réécoute des Black Sabbath de la période Ozzy, c'est dire.
Pixies - Doolittle
Je suis un adolescent des 90's, c'est cette période du rock qui a défini tous mes goûts musicaux. J'ai grandi avec Nevermind, avec Ten, avec les Use Your Illusions, puis plus tard avec The Stone Roses, Definitely Maybe, No Need To Argue et Without You I'm Nothing. L'évangile de Nirvana, j'ai du l'écluser des centaines de fois sur mon walk man, au casque, dans ma chambre. Alors pourquoi ne pas avoir cité l'album au bébé nageur dans ce top, au-delà du poncif que tout le monde n'aurait pas manqué de relever ? Parce qu'au fil du temps et des années, déjà durant la décennie 90 mais plus encore pendant les deux suivantes, je me suis rendu compte que je revenais bien plus souvent sur cet album-ci, cette galette couleur rouille avec ce singe auréolé jonglant avec ces 5,6 et 7. Parce que je me suis rendu compte que s'il ne fallait retenir qu'un disque de ces années-là, un disque sans lequel aucun des autres cités n'aurait pu connaître autant de succès, il n'y avait pas photo : Doolittle s'impose, et de loin, devant tous les autres.
Le disque emblématique des Pixies flirte sans cesse avec l’exceptionnel. Rien n'y est laissé au hasard, ni sa production phénoménale (Gil Norton mériterait d'être canonisé pour son job), ni sa science de la composition jamais prise en défaut, ni sa forme à la fois foutraque et diablement jouissive. Il y a tout dans cette grande marmite, tout, rock, pop, punk, délires barés, fun asphyxiant, colère salvatrice, avalanche de coups de poings et de caresses. À la fois extrême dans sa délivrance et fichtrement addictif au fil ds écoutes, Doolittle impressionne dès les premières notes de basse de "Debaser", sans doute l'entame la plus époustouflante de tous les temps, sobre, racée, simple et spectaculaire. Dans Doolittle, Black Francis hurle ou flatte, Kim Deal assure le socle mélodique le plus cool et inattaquable qui soit, Joe Santiago assassine nos esgourdes à grands coups de médiators tandis que David Lowering achève de nous convertir à la force de ses biceps. Impossible de préférer un morceau plutôt qu'un autre : c'est l'extase non stop du début à la fin de ce disque qui en a tant influencés. Chapeaux bas, les Lutins.
Black Mountain - In The Future
Je pense pouvoir me caractériser comme quelqu'un de difficilement influençable, et j'avoue avoir naturellement bien du mal à me pousser à écouter un album qui m'a été conseillé par quelqu'un d'autre, que ce soit de vive voix ou par article interposé. Écrivant pourtant des critiques de rock, j'éprouve les pires difficultés à faire confiance aux avis de mes condisciples du web ou, pire encore, de la presse écrite. Si l'ilot d'Albumrock représente tout de même une petite exception, il faut souvent que je me pousse à accepter de me diriger vers l'endroit que l'on m'indique, ayant systématiquement tendance à aller voir ailleurs si l'herbe n'y serait pas plus verte. Que voulez-vous, à quarante piges passées, il sera difficile de me refaire.
Eh bien In The Future constitue pour moi l'exemple parfait du disque que j'adore et que je n'aurais jamais été chercher par moi-même. Black Mountain gravitant usuellement autour des ténors de la scène heavy psych qui s'acoquine avec le stoner rock, j'avoue que je ne serais pas allé de moi-même dans cette direction pour dénicher une pépite. Et pourtant pépite il y a, et quel lustre ! Tout dans ce disque contribue à me séduire, cet artwork rétrofuturiste si saisissant, ce son tour à tour rugueux et enfumé, cet alliage entre trip de bucheron sous acide et expérience mystique déréalisatrice, ce point de ralliement unique et ultime entre la force sonore de Black Sabbath et les accointances planantes et psychédéliques de Pink Floyd. Si la Montagne Noire a accouché de bien d'autres jolis disques (et le IV trône en belle place sur mes étagères), j'avoue que je ne cesse de revenir à ce n°2 qui réalise la quintessence du groupe, bringuebalé entre les nuées opaques des guitares, l'éclat réverbérant des claviers de Jeremy Schmitt, la morgue lascive de l'artificier Stephen McBeam et le charme ensorcelant de la prêtresse Amber Webber. N'hésitez pas, vous aussi, à succomber à ce disque magique. Note pour plus tard : il n'est jamais inutile d'écouter les conseils des autres sages.
Merci, merci Maxime et Florent de m'avoir fait découvrir cette merveille !
Haken - The Mountain
Il est un fait que je suis assez sensible à la technique dans le rock n' roll. Entendez par là que je préfère à la louche Led Zep aux Sex Pistols, The Who aux Stones et Muse aux Strokes - excusez les analogies foireuses et les comparaisons qui n'ont pas lieu d'être ! Mais la technique ne fait pas tout, bien sûr, il faut aussi du feeling, de la musicalité, de la sensibilité tout simplement, pour achever de m'emporter. Écouter Jimi Hendrix, par exemple, relève de l'expérience mystique tant l'homme parvient à fusionner avec son instrument. J'aurais d'ailleurs très facilement pu citer le dieu des gauchers dans ce palmarès personnel tant je voue au guitariste de Seattle une admiration infinie. Mais j'ai plutôt choisi d'axer mon choix de "techniciens habités" sur le versant du rock progressif, et à ce titre, personne, personne ne peut surpasser Haken.
Si l'on a souvent tôt fait de comparer le sextet anglais à leurs aînés de Berklee - yep, Dream Theater, vous les avez reconnus -, la réalité apparaît toute autre. Bien que régulièrement estomaqué par les prouesses de Petrucci, Myung, Rudess et Mangini (ou Portnoy, peu importe), je ne peux pas dire que les cadors du metal prog m'aient jamais véritablement conquis. Or dès les premières minutes de The Mountain, j'ai su que Haken était le groupe qu'il me fallait. Véritable laboratoire sonore, riche de trouvailles, explorations et expérimentations, la Montagne anglaise est capable de nous transporter loin, bien loin de la plaine terrestre. Entre rock, pop, metal et jazz, les compositions se suivent avec une classe folle, toujours portées par la voix accessible de Ross Jennings (tellement meilleur que James LaBrie...). Et le plus beau dans tout ça, c'est que les membres d'Haken ont la pudeur de ne laisser exprimer leurs époustouflantes compétences techniques que lorsqu'elles s'avèrent indispensables au développement des titres : ainsi, les soli de Richard Henshall, diablement courts, n'en apparaissent que plus phénoménaux. N'oublions pas non plus de signaler que Haken comporte dans ses rangs le meilleur batteur de cette galaxie encore en activité, Ray Hearne - oui oui, encore un pavé jeté dans la mare du topic d'actu le plus consulté sur Albumrock, et je sais que mes condisciples du site vont me voler dans les plumes, mais qu'importe. Eh quoi, vous ne le connaissez pas encore ? Qu'à cela ne tienne, The Mountain vous attend, preuve s'il en est que technicité peut rimer avec musicalité. A écouter et à conseiller largement, sans modération.
Weezer - Everything Will Be Alright In The End
Weezer a toujours constitué pour moi une évidence, une espèce de groupe de rock ultime alliant simplicité, son, attitude et talent. Ayant goûté assez tardivement à la discographie de Rivers Cuomo and co (la réhabilitation a posteriori de Pinkerton aux premières heures du web, si vous voyez ce que je veux dire), je leur ai toujours trouvé des circonstances atténuantes dans les pires situations, de Make Believe à Raditude (voire Hurley, soyons extrêmes) tout en goûtant particulièrement à certaines livraisons pas forcément très estimées, le White Album en particulier mais aussi Pacific Daydream. Je n'ai même pas réussi à descendre en flèche le Black, pourtant objectivement assez médiocre, et je piaffe d'impatience de pouvoir écouter le futur Van Weezer, en mai dans toutes les bonnes crèmeries (ou boites aux lettres confinées ?). Bref, j'aime Weezer de A à Z ou presque, et je suis ravi d'avoir eu la chance de les voir en live à Paris il y a deux ans et demi de cela.
Pourquoi avoir choisi Everything Will Be Alright In The End plutôt que l'éternel Blue ou le cultissime Pinkerton pour intégrer mon top ten ? Parce qu'il est excellent, déjà, une fort belle surprise après une longue décennie vraiment décevante et un retour en état de grâce vraiment inespéré à ce stade tardif de la carrière du grand W, merci sans doute à feu Ric Ocasek pour cette résurrection. Mais surtout parce qu'il s'agit, et de très loin, du CD qui a le plus tourné en boucle dans la voiture familiale lors de nos divers départs en vacances. De ma fille aînée à mon petit dernier en passant par ma douce moitié, ce disque n'a eu aucun mal à convaincre TOUT LE MONDE, véritable plaidoyer pour une power pop alerte et fédératrice qui a réussi à faire chanter à tue tête les adultes comme les enfants. Avoir une passion pour le rock, c'est bien. Pouvoir la partager sans réserve en braillant en chœur avec ses kids "Back To The Shack", "Go Away" ou "Cleopatra", c'est mieux !
Massive Attack - 100th Window
100th Window, ou l'exemple caricatural du disque décrié et qui pourtant surpasse son point de référence. Petit aparté pour commencer, en forme d'aveu : le trip hop, ce n'est pas trop ma tasse de thé, et dans l'absolu je ne suis pas un immense fan de Massive Attack. Je réserve en général ce courant musical à une période bien particulière de la journée : le soir, soit après un bon repas entre amis (le genre où l'on boit un peu plus de vin que de raison), soit carrément au lit, dans le noir, sur ma mini-chaîne ou au casque. Mezzanine a ainsi bercé bon nombre de mes nuits étudiantes, disque phénomène que je savais déjà phénoménal avant même de m'intéresser à la critique rock et de comprendre a posteriori toute l'aura qu'il possédait. 1998-1999, c'était la saison de Gran Turismo des Cardigans, de Without You I'm Nothing de Placebo, de Californication des Red Hots, de Showbizz de Muse ou encore de Version 2.0 de Garbage, autant de CD qui m'ont marqué au fer rouge peu avant d'entamer ma vie professionnelle, mais je m'égare.
Revenons à nos moutons et à ce sublime 100th Window. Nous sommes en 2003, cinq ans ont passé, avec un mariage, déjà deux enfants... le jeune écervelé que j'étais est entretemps devenu un homme. Internet est bel et bien là, on télécharge alors à tour de bras (c'est à cette époque que Lars Ulrich déclare la guerre à Napster), les disques se succèdent avec plus de frénésie que jamais, mais il y en a un qui finit encore et toujours par revenir sur les baffles de mon ordinateur (en mp3 compressé à 320 kbps, faut pas déconner quand même) : c'est ce vrai-faux album solo de Robert Del Naja, le membre de MA que je préfère et qui ici signe l’œuvre de toute sa vie. Véritable concentré de cool nimbé d'une froideur tour à tour clinique et empathique, 100th Window s'appuie sur la voix détachée de Del Naja et surtout sur l'interprétation phénoménale de Sinnead O'Connor qui parvient même à surpasser celle d'Elisabeth Fraser, la chanteuse qui œuvrait sur le disque précédent. Il y a du désenchantement dans ce joyau à la production hypnotique, mais aussi une lumière aussi glacée que saisissante et, en fin de compte, une authentique chaleur qui pointe sous sa carapace déshumanisée. L'occasion ou jamais de laisser sa chaîne tourner des heures durant quand la nuit pointe son nez... un coup de maître qui, loin d'avoir à rougir face au largement reconnu Mezzanine (et à juste titre), parvient à mon goût sans peine à le surclasser.
Pure Reason Revolution - The Dark Third
On a tous un album que l'on croirait presque avoir composé et enregistré soi-même, un disque qui nous ressemble tellement qu'il nous renvoie un reflet saisissant de nos propres personne et personnalité. Pas forcément un grand disque, ni notre préféré, d'ailleurs, cela n'a finalement rien à voir (ou pas complètement), mais une galette sur laquelle tout semble couler de source, tout semble s'emboîter naturellement et sans effort, une œuvre que l'on connaît presque intégralement avant même de l'avoir écoutée. Ce disque, je l'ai longtemps cherché. J'ai d'abord été fasciné par This Is The Warning de Dead Letter Circus, du new prog australien un peu emo et excité aux entournures, pas très connu d'ailleurs, mais il y a une petite critique qui traîne sur Albumrock. Je m'y reconnaissais alors de façon assez fascinante, et bien que conscient que le groupe en faisait (beaucoup) trop, je savais que mon esprit aurait pu accoucher d'un résultat semblable - avec les instrumentistes adéquats, cela s'entend. Mais tout a basculé le jour où je suis tombé sur le prog rock "révolutionnaire" de Pure Reason Revolution.
Je me souviens parfaitement de ce moment : je trustait alors last.fm à la recherche de groupes affiliés à mes artistes favoris, et lorsque j'ai eu le malheur de lancer "Les Malheurs" de PRR, la bouche m'en est tombée. J'étais sidéré par ce que j'entendais, sans voix, stupéfait, tétanisé. Jamais je n'aurais cru qu'un groupe aurait su à ce point refléter ma psyché la plus intime. "Les Malheurs" était alors extrait de Amor Vincit Omnia, deuxième album de Pure Reason Revolution qui, par ailleurs, souffre de vraies carences et de morceaux plus faibles, mais auquel je vous une affection qui flirte avec mon intimité la plus profonde. Pour autant, à l'heure du choix, il n'y a pas de débat : The Dark Third, première réalisation des anglais, se place à dix kilomètres de hauteur dans l'atmosphère malgré son abord beaucoup plus classique. Il y a tout dans ce disque, de la mélodie, de l'intelligence, du punch, de la grâce, un talent insolent, une vraie continuité, une vraie histoire musicale. Du rock, de la pop, un peu de metal aussi (si peu), tout ce que j'affectionne. Et il y a surtout ce duo vocal magnétique, ce mariage parfait réalisé par John Courtney et Chloë Alper, ce canevas exquis qui ne manque jamais de me faire décoller dans de plus hautes sphères. The Dark Third ne m'a jamais quitté depuis que je l'ai découvert, et il ne se passe pas une semaine sans que je l'écoute au moins une fois. Les PRR, quant à eux, ont eu le mauvais goût de se séparer il y a une décennie de cela après trois ans d'une carrière aussi fulgurante qu'inachevée. Mais la roue tourne : Courtney et Alper se sont retrouvés l'an passé, la Raison Pure a repris le chemin de la Révolution, et Eupnea, quatrième réalisation du duo dont les premiers extraits augurent d'un élégiaque retour aux sources, vient de débarquer en ce mois d'avril 2020 confiné. Je ne sais pas pourquoi, mais je crois savoir quel disque va squatter mon téléphone - et mes oreilles - dans les mois qui viennent...