Arcade Fire
WE
Produit par Win Butler, Régine Chassagne, Nigel Godrich
1- Age of Anxiety I / 2- Age of Anxiety II (Rabbit Hole) / 3- Prelude / 4- End of Empire I-III / 5- End of Empire IV (Sagittarus A*) / 6- The Lightning I / 7- The Lightning II / 8- Unconditional I (Lookout Kid) / 9- Unconditional II (Race and Religion) / 10- We
Aux yeux de l’auteur de cette chronique, Arcade Fire est le parfait exemple de ces groupes dont la capacité à séduire est inversement proportionnelle à leur talent. S’il est impossible de nier qu’il y a dans le groupe de Win Butler une patte, une personnalité et des compositions aussi recherchées que rafraichissantes, il n’en demeure pas moins vrai que leur son à part, sophistiqué, relève d’une forme d’élitisme qui laisse au bord de son chemin les amateurs de rock moins ambitieux, figés à l’écoute des tubes comme “No Cars Go”, “Reflektor” ou encore “Rebellion (Lies)”.
Difficile de savoir si un train musical pris avec du retard tient de la maturité auditive de celui qui (re)découvre un groupe ou bien si c’est le groupe lui-même qui est à complimenter. Nous nous arrêterons sur cette seconde hypothèse de manière factuelle.
Le sixième album d’Arcade Fire tient du voyage auditif. WE est une vraie odyssée musicale contenue sur un disque de quarante minutes, une durée idéale, bien loin d’un empilage gargantuesque qui aurait pu rebuter les néophytes et non-adeptes des québécois. Cette nouvelle production a une capacité assez géniale à tenir l’auditeur en haleine grâce à construction toute aussi intelligente qu’efficace. Les 12 titres sont découpés en quatre sections qui peuvent être abordées indépendamment les unes des autres mais dont les morceaux de chaque partie ne sauraient se suffire à eux-mêmes tant leur indissociabilité est un impératif pour être transporté dans leur ambiance.
Passé, présent, réalité alternative et futur : bienvenue dans la traversée des monts temporels du collectif Canadien.
Aux doux échos du passé
L’enchainement “End Of The Empire I-III”, “End Of The Empire IV (Sagittarius A*)”, renvoie irrémédiablement à une époque : le début des années 70 et, inévitablement, à un artiste : David Bowie, plus précisément à son premier hit “Space Oddity”. A l’image de l’œuvre de son illustre prédécesseur “End Of The Empire” transporte celui qui l’écoute dans un espace si aérien que la réalité terrestre s’en trouve réduite à un vague souvenir. Les délicats chœurs de Régine Chassagne ajoutent encore de la profondeur à cette sensation de plénitude qui se marie remarquablement avec le propos morose des accords de piano et de la mélodie chantée par Win Butler. Les solos de saxophone distillés ça et là posent l’authenticité nostalgique perçue dès les premiers instants.
Comme on se retrouve
La section “The Lightning” (I & II) nous rappelle que nous avons bien ici affaire à un album Arcade Fire. Après une ascension vertigineuse qui débouche, au début de la seconde partie, sur une introduction ardente concentrée autour du trio piano/basse/batterie, on est imprégné du style propre au collectif canadien où se mêlent chaleur et allant mélodique.
Cette rareté de titres pleinement conforme au registre habituel des montréalais permet d’en apprécier toutes les nuances. D’apparence assez simpliste, “The Lightning II” n’en reste pas moins riche de nombreuses profondeurs à découvrir au gré des écoutes comme le cri ténu de Régine Chassagne ou ces quelques lignes de violon distillées ici et là.
Présent décomposé
WE se poursuit et la section suivante (“Unconditonnal”) s’avance comme une réalité sonore alternative de la musique d’Arcade Fire plus épurée car concentrée dans une forme de minimalisme qui se joue pour le meilleur et aussi le pire.
“Unconditional I (Lookout Kid)” ne comporte aucun défaut : tout y est dans ce morceau. Construit à la guitare acoustique, le texte déroulé par Butler est une splendide déclaration de vie et d’amour parental :
“I’ll give you my heart and my precious time” (“Je te donnerai mon cœur et mon temps si précieux”).
Musicalement l’entrée fracassante de la batterie apporte une sensation d’épaisseur émotionnelle. Le gimmick en fin de refrain insuffle la dose nécessaire à l’incrémentation dans l’inconscient collectif, et que dire de ce final aux notes de piano si vaporeuses que le morceau s’envole dans des sphères encore plus radieuses. Clairement le temps fort de WE.
La suite, “Unconditonnal II (Race and Religion)” enregistré avec Peter Gabriel, se trouve à l’opposé des intentions de son devancier. Si le propos reste minimaliste la surdose électronique et les accentuations vocales répétées dans le chant de Régine Chassagne rendent l’ensemble pompeux pour un résultat extrêmement fade.
La réalité alternative d’Arcade Fire a donc deux visages diamétralement opposés. Si leur mission était d’ouvrir la voie aux orientations musicales à suivre, il faut espérer que les québécois retiendront l’approche mélodieuse entendue sur “Uncondtionnal I (Lookout Kid)”.
A conjuguer au futur
Le début d’album avait tout pour laisser perplexe tant la section “Age Of Anxiety” porte en elle le principal défaut des canadiens évoqué dans l’introduction de cette chronique : l’élitisme. Une sensation qui sera évacuée par l’intelligence et la souveraineté dont jouit Arcade Fire sur ces deux parties tant elles semblent avant-gardistes. Les montréalais réussissent à désautomatiser l’électronique en lui donnant vie grâce à la maitrise de leur son (ce riff de basse terrible d’efficacité) couplé à la tangibilité du piano ou encore au mariage des voix entendues sur la seconde partie (“Age Of Aniety II (Rabbit Hole)”).
La bande de Wil Butler fait ici étalage de toute sa science et confirme que ce groupe est loin d’avoir tout dit dans une forme de contrôle musical actuelle et pointue.
La sixième production d’Arcade Fire les voit évoluer, dans un quasi sans faute, sur tous les terrains auxquels ils s’attaquent. Sans jamais trop en faire, avec la très bonne idée de ne pas s’éterniser sur la longueur, WE est un album qui a largement de quoi contenter les fans du collectif canadiens.
Pour les moins aguerris et les néophytes, les différents sentiers stylistiques empruntés entrouvrent plusieurs portes qui permettent de (ré)appréhender l’œuvre du groupe. La troupe de Wil Butler affirme ici toute sa science, son intelligence musicale et semble en tout cas prête à continuer de rayonner quelle que soit l’orientation à suivre.
A écouter: “Unconditionnal I (Lookout Kid)” ; “The Lightning II” ; “Age Of Anxiety I”