Jordsjø

Grâce à une musique impeccablement composée et à une très grande activité en studio, dont témoignent les nombreux albums parus avec une belle régularité, Jordsjo est désormais un groupe installé au sein de l’opulente scène progressive norvégienne. Preuve en est, Hakon Oftung, le multiinstrumentiste du duo, a été convié au sein du supergroupe The Chronicles of Father Robin dont le premier volet vient de paraître. La concurrence est rude en Scandinavie, mais Jordsjo s’est distingué par le brio avec lequel il incarne le rock progressif norvégien dans ce qu’il a de plus caractéristique : références 70’s assumées, inspiration puisée dans le renouveau suédois des 1990’s, et ambiance folk, forestière et mystérieuse. À ce titre, les deux derniers albums en date étaient des ouvrages somptueux et Salighet poursuit cette brillante épopée musicale.

Tambour battant, "Invokasjon" est une courte introduction camelienne et surtout, une présentation synthétique des multiples faces de la musique de Jordsjo, dont on retrouve l’esthétique, déjà affirmée depuis plusieurs albums, sur "Stjernestigen", longue pièce finale caractéristique du combo, avec des passages un peu plus Heavy.

En effet, il est notable que la guitare électrique soit plus présente et plus virtuose qu’à l’habitude, en témoigne le bluesy très tullien "Danseritualer fra Jordsjø - Prosesjon & Ekstase" et le riff saturé de "Sankeren", titre qui développe ensuite une ambiance boisée et folk typique du rock progressif norvégien contemporain (ici mise en lumière par la flûte et la guitare acoustique). On y entend également des références claires aux 1970’s, comme les lignes de claviers proches d’ELP et un final jazzy à la King Crimson. L’utilisation de claviers analogiques d’époque favorise évidemment ce rendu vintage d’une maîtrise épatante.

Au sein des deux parties de la suite intitulée "Salighet", c’est Gryphon qui vient à l’esprit. Après un premier mouvement très mélodieux et lancinant où la guitare et la flûte mènent un dialogue éthéré, "Salighet I" évoque la première époque de Gryphon lors d’une transition associant percussions organiques et clarinette, alors que "Salighet II" regarde davantage vers le sublime Red Queen to Gryphon Three. Dans une moindre mesure, "Ura" reprend également cette ambiance Renaissance par ses sons de clavecins, même s’il s’en éloigne avec ses citations guitaristiques à Camel un peu revisitées.

La qualité constante des musiques composées par Jordsjo ne peut que laisser sans voix et il est bien dommage que parmi les grands noms de la scène progressive norvégienne actuelle, ces musiciens ne jouissent que d’un succès d’estime. Les trois derniers opus en date peuvent aisément être considérés comme faisant partie de ce que le rock progressif a proposé de meilleurs ces dernières années, il ne manque qu’une rencontre avec un public élargi. Voici le carton d’invitation.

À écouter : "Salighet II", "Sankeren"