Roger Waters
The Dark Side of the Moon Redux
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1- Speak to Me / 2- Breathe / 3- On the Run [Explicit] / 4- Time / 5- Great Gig in the Sky / 6- Money [Explicit] / 7- Us and Them / 8- Any Colour You Like / 9- Brain Damage / 10- Eclipse
Où le chroniqueur feuillette son vieil agenda rock
1956 - Elvis Presley dérobe "Blue Suede Shoes". Devant une caméra de télévision, il déclenche la révolution rock en déchaînant toutes les passions adolescentes. C’est Carl Perkins, l’auteur du titre, qui aurait dû défendre son single durant le Perry Como Show. Mais il a été victime d’un terrible accident de la route en se rendant à New-York pour l’enregistrement. Cloué sur son lit d’hôpital avec trois vertèbres brisées, il reçoit du futur King une simple carte postale : "Meilleurs vœux". Ambigu…
1967 - Procol Harum triomphe avec "A Whiter Shade Of Pale". La ligne mélodique sera pastichée par Jean-Sébastien Bach en 1729 sous le titre "J’ai un pied dans la tombe" (1).
1971 - Led Zeppelin compose "Stairway To Heaven". En novembre 1967, le titre sera repris à l’identique par Randy California qui l’appellera "Taurus".
1978 - Mark et Bob Mothersbaughs déclarent avoir composé le single "(I Cant’t Get No) Satisfaction". Ils précisent en conférence de presse que leur œuvre sera ultérieurement reprise en 1965 par de jeunes anglais encore inconnus. C’est la théorie de la dévolution. The Residents en profitent pour préciser qu’ils sont les vrais inventeurs du titre depuis 1976. Qui croire ?
1999 - En panne d’inspiration, Metallica réédite ses classiques avec un épouvantable orchestre symphonique. James Hetfield balance que cette réinterprétation serait une idée de Cliff Burton (qui n’est pas là pour s’en défendre puisqu’il est mort depuis 1986).
2002 - Ozzy Osbourne fait réenregistrer les pistes de batterie et de basse de Diary of A Madman pour mettre un terme aux demandes répétées de Lee Kerslake et de Bob Daisley (qui avaient enregistré les versions originales) d’être justement crédités. En 2020, le chanteur daignera expédier un disque d’or au batteur en fin de vie. Une des pires indignités du rock.
2004 - Brian Wilson recompose complètement Smile, le maître ouvrage de sa discographie qui lui avait été volé en 1967. Aucun Beach Boy (ni aucun membre survivant du Wrecking Crew) n’a été convié en studio.
L’histoire du rock est truffée de petites traîtrises, de conspirations, de moines copistes, de réécritures, de mensonges et d’apophtegmes…
Où la machine à explorer le temps réintègre le présent
En 2023, Roger Waters (re)compose et (ré)interprète TDSOTM dans une version Redux (Le retour). Est-ce que cet album sera repris par un jeune cover band anglais lorsque nous serons revenus en 1973 ? C’est une simple question de patience et de temps.
Au même titre que, depuis cinq décennies, tout le monde sanctifie TDSOTM sans jamais l’écouter, tout le monde (rock et, surtout, pas rock) se sent obligé de publier un avis outré sur Redux. C’est la pire curée médiatique musicale depuis l’électrification de ce grand bêta de Dylan. Même si c’est un chien qui figure sur la pochette de l’album de Waters, il est de bon ton de hurler avec les loups. Sans avoir écouté le disque afin de respecter la "tradition".
L’essentiel de la confusion provient du fait que, contrairement à ce qui se dit (et à ce qui s’écrit), TDSOTM n’est pas le meilleur opus de Pink Floyd. Mais, alors, qu’est-ce qui explique sa sacralisation ? Il s’est vendu à 45.000.000 d’exemplaires. Il est resté classé durant 1.716 semaines dans le Billboard. Mais il doit plus son extrême popularité au savoir-faire d’Alan Parson qu’à son contenu. En intégrant des techniques d’enregistrement inédites et très novatrices, le fabuleux ingénieur du son a créé le produit idéal pour échantillonner les chaînes hi-fi…
Or, il se fait que c’est à ce moment précis que le marché de la haute-fidélité s’est ouvert aux rockers qui gagnaient en âge et en revenus. Chaque magasin avait alors son auditorium et un vendeur ganté (pour ne pas laisser d’empreintes sur les disques). La démonstration du matériel se faisait toujours avec les mêmes scies : des albums témoins qui diffusaient des sons quelconques calibrés en stéréophonie (voire en quadriphonie) ou des vinyles 180 grammes de musique classique (Deutsche Grammophon de préférence). Il était impossible d’accrocher les oreilles d’un rocker avec un fourbi pareil.
TDSOTM est tombé au parfait moment. Avant de basculer dans le domaine public et devenir la bande-son de toutes des épouvantables "soirées diapositives" de nos oncles et de nos grands-pères.
Si l’on excepte cette vieille scie de "Money" et, pour les plus savants, "Great Gig In the Sky" (2) ou "Us And Them", il y a peu de petits rockers qui sont capables de fredonner trois mesures de l’œuvre ultime…
"Faire du rock, c’est simplement hurler à la Lune" a très justement chanté Steve Walsh de Kansas. Tiens, tiens ! La Lune. Justement. Encore elle.
Par essence, le rock doit être fait d’outrances, d’irrespects et de remises en question.
Alors, forcément, la démarche actuelle de Roger Waters dérange ce monde bien planplan où les cover-bands tentent désespérément de reproduire à l’identique des ouvrages sacrés des Grands Anciens.
Bullshit.
Fruit d’une démarche inédite, Redux est définitivement un grand disque. C’est dit. C’est fait. L’œuvre d’un vieillard qui range ses étagères et met de l’ordre – son ordre à lui – dans le grenier foutraque de sa création.
TDSOTM n’était déjà pas un disque marrant. Le Pink Floyd post Syd Barrett n’a jamais été marrant. Sauf de façon involontaire. Alors, forcément, quand on sait combien l’âge a rendu Roger Waters plus acariâtre que jamais, Redux reste aux antipodes du Benny Hill Show. Au contraire, ce "regard en arrière", particulièrement acéré, sur une vie d’homme plutôt compliquée a, par moment, des accents très sombres, pour ne pas dire fort funestes.
Et puis, un jour, tu comprends que dix années se sont écoulées. Personne ne t’a prévenu que tu devais courir. Et tu as loupé le signal du départ. Alors, tu galopes pour rattraper le soleil qui se couche déjà au loin. Quand il reprend sa course haut dans le ciel, il est derrière toi. Le soleil est toujours le même. Mais toi, en revanche, tu as vieilli. Ton souffle est plus court et tu te retrouves encore un jour plus près de ta mort…
On ne baigne pas dans l’exubérance. Ce qui sauve définitivement l’album de la tristesse absolue, ce sont ces moments merveilleux où Roger Waters rit. Brièvement (3). Ces rires justifient à eux seuls les 47 minutes et 56 secondes de l’album. Ils rétro-éclairent son personnage de "méchant" idéal de Pink Floyd, incompris et souvent critiqué par principe. Ou par paresse intellectuelle.
Redux est parfaitement infidèle à son sacro-saint modèle. C’est la chapelle Sixtine sans ses plafonds. Et c’est ça qui le rendra définitivement merveilleux. La musique, remarquablement interprétée, reste discrète, sans aucun effet de manche (4). Roger Waters a même l’élégance de ne pas jouer de la basse (5). Tout est réduit à l’extrême essentiel. Les textes, parfois chantés, parfois grommelés en spoken words (à la manière d’Allen Ginsberg, par ailleurs inventeur du terme flower power), ont été remaniés et complétés.
C’est de l’art iconoclaste, certes. Comme un jet de soupe sur un Van Gogh. Une main collée sur un Goya. Une machine qui broie un Banksy Mais c’est de l’art.
Et, ce qui est formidable sur Redux, c’est ce qui ne s’y trouve pas. En particulier les solos de guitare et les enluminures de claviers. A quoi bon réécrire du Gilmour ou du Wright en 2023 ?
Il n’y a vraiment rien d’étonnant à ce que Nick Mason ait récemment déclaré "C’est agaçant… parce que c’est absolument génial !" Agaçant, certainement. Et génial, en effet !
Il faut deux ou trois écoutes pour apprivoiser l’œuvre. Et il n’est pas nécessaire de chercher à la comprendre pour entrer dans le cœur du sujet. Je pense sincèrement que Roger Waters n’y voit même pas un testament. Non, il est probablement capable de remettre le couvert pour faire mieux, pire ou aussi bien. Ou pas.
Un rocker dogmatique, aveuglé par la douleur et la désespérance, a chroniqué que Redux allait tuer définitivement Pink Floyd. Tuer Pink Floyd ? Qu’est-ce que la colère peut faire écrire comme conneries, parfois. Le groupe n’existe plus depuis longtemps. Peut-être même est-il cliniquement mort depuis l’implosion du cerveau de Syd Barrett, lorsqu’il a été viré par ses bons camarades le 6 avril 1968. Ca fait un sacré bail…
Où il est temps de conclure…
Je joue depuis des années sur une Fender Bass Roger Waters Signature. Noire comme les colères, les erreurs, le cœur et les rancœurs du vieux bassiste anglais. Croyez-moi ou pas, l’instrument sonne mieux depuis la parution de Redux. Il est comme… libéré d’un poids.
C’est qu’il y a plus de légèreté dans cette petite plaque (à 10 euros) que dans le coffret réédition tout boursoufflé de TDSOTM de Pink Floyd (à 300 euros)…
Qui a chantonné "Money" ?
(1) On savait rire au XVIIIème siècle…
(2) Le titre original est proprement atomisé par la performance vocale de Clare Torry. Une performance dont Roger Waters a toujours contesté la pertinence.
(3) Je ne préciserai pas où c’est pour obliger les censeur.e.s à écouter le disque afin de vérifier si je ne raconte pas des calembredaines.
(4) Il y a de brefs moments étranges où les arrangements voix / musique rappellent Serge Gainsbourg sur Histoire de Melody Nelson.
(5) Il ne joue que sur "Any Colour You Like" et – forcément – cette ligne de basse, très caractéristique de son style rythmique, détonne avec le reste.