Magnum
Here Comes the Rain
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1- Run Into the Shadows / 2- Here Comes the Rain / 3- Some Kind of Treachery / 4- After the Silence / 5- Blue Tango / 6- The Day He Lied / 7- The Seventh Darkness / 8- Broken City / 9- I Wanna Live / 10- Borderline
Où le chroniqueur se montre inhabituellement sombre
Ben oui, voilà la pluie…
Cette épiphanie 2024 n’a pas été comme les autres. Chaque année, tandis que je découpe la galette des Rois, je prie discrètement pour que ma part contienne la fameuse fève. Je ne triche pas vraiment (Dieu ne me le pardonnerait pas) mais il arrive parfois que le fil aiguisé de la lame du couteau oriente la destinée. D’une pichenette.
Ce 7 janvier 2024, la frangipane de la fête de la lumière a été doublement amère. J’ai loupé la fève et Anthony Michael Clarkin est mort (1).
Depuis 1972, Tony Clarkin était (c’est dur d’en parler à l’imparfait) le guitariste leader de Magnum. Il a composé tous les titres des vingt-trois albums que le groupe a enregistrés au gré de tant de fortunes diverses.
Sous l’émotion, le temps a cette particularité de se froisser comme une feuille de papier qui devient un origami. En observant la pâtée dorée de ma part de galette, je me suis revu, un bref instant, en 1978 en train de scruter la pochette illisible de Kingdom Of Madness, le premier vinyle de Magnum. J’ai toujours eu cette habitude d’essayer de "deviner" la musique en observant l’artwork.
Malgré son nom, ce groupe n’a jamais été et ne sera jamais "important". Il est même rare qu’il figure parmi des playlists de la planète classic rock. Mais il m’était essentiel comme il l’était pour ses fans fidèles parmi lesquels se trouve un ami personnel de Tony Clarkin qui m’est également formidablement cher : Rodney Matthews.
- Alors, qu’est-ce qu’on fait, les petits rockers ?
- On pleure à chaudes larmes, Oncle Dan !
- Exact ! Et on pleure parce que… ?
- Parce que… sous le cuir noir de notre Perfecto, il y a un cœur sensible !
- Parfait ! Et, sous nos Ray-Ban Aviator, il y a… ?
- Des larmes de tristesse que l’on cache par dignité, Oncle Dan !
- Vous allez me faire chialer, bande de gugusses !
Où l’on sèche ses larmes pour célébrer la vie en rock pompier
Si The Monster Roars (2022) avait laissé les fans sur leur faim en ne proposant que des titres vaguement génériques, l’ironie du destin veut que Here Comes The Rain renoue avec les meilleures recettes de l’Adult Oriented Rock pompier du groupe. Avec cette délicatesse qui caractérise les Anglais au moment des adieux, Tony Clarkin a dégainé ses meilleures cartouches pour concevoir son opus ultime.
L’artwork somptueux de Rodney Matthews bat le rappel de ses classiques : il y a ce vieux Conteur qui aime tant radoter, le jeune Ecolier téméraire et le chien noir et blanc si cher à l’illustrateur (2). Les personnages s’apprêtent à affronter une menace qui se cache au verso du gatefold.
Et la pluie qui s’annonce n’est pas banale…
Il ne peut évidemment s’agir d’un hasard. Rodney Matthews a conçu une pochette d’album qui se lit de droite à gauche, comme s’il s’agissait de regarder ce qui a été fait jadis et non pas ce que demain porte de rêve(s). Etrange, non ?
A une exception près, les sublimes photos de Rob Barrow qui illustrent les lyrics de chacun des titres ajoutent à ce sentiment douloureux d’inespérance (3).
Du Magnum des origines (en 1972…), il ne subsiste que le chanteur Robin Adrian Bob Catley (qui participe aussi avec récurrence à l’aventure Avantasia) et feu le guitariste Tony Clarkin. A titre plus anecdotique, le groupe aura connu, au gré de ses configurations, cinq bassistes, six batteurs et quatre claviéristes (sans compter les renforts scéniques en tournée).
Here Comes The Rain définit le tout meilleur de ce que peut (encore) représenter ce style old school musclé, désuet et typé eighties. Même si le propos est globalement pessimiste et sombre (guerre, âge, solitude, injustices, destructions, …), l’album n’est jamais l’œuvre d’un auteur aigri. Il y a toujours une généreuse part d’humanité dans les tristesses un peu compassées de Tony Clarkin.
Et si cinq des dix titres sont simplement du Magnum traditionnel, cinq autres compositions (l’essentiel de ce qu’aurait été la face B d’un vinyle) explosent tous les compteurs.
Avec l’excellent "Blue Tango", le groupe propose le meilleur riff hard de toute son histoire, laissant le champ libre à Bob Catley pour une interprétation d’une puissance et d’une raucité réjouissantes.
Porté par une section de cuivres explosifs et décomplexés, le costaud "The Seventh Darkness" évoque certains travaux en solo de Phil Lanzon (le claviériste de Uriah Heep).
Sombre et sublime à la fois, "Broken City" magnifie la voix de Bob Catley, portée ici par une simple nappe orchestrale rehaussée d’une harpe ensorcelante.
"I Wanna Live" présente un caractère prémonitoire assez perturbant, renforcé par son final riche en orgue et en chœurs pompiers. "Il te faut vivre / Peu en importe le coût…".
Et, pour conclure en richesse, "Borderline" et ses délicates notes finales de piano donne définitivement l’envie d’y revenir même en sachant qu’il n’y aura plus de prochaine fois.
Le silence après ce Magnum-là est encore du Magnum (4). Pour l’éternité…
Où l’on conclut par un coup de pied au cul
- Une dernière question pour aujourd’hui, les petits rockers !
- Pas trop difficile, Oncle Dan !
- Rien n’est difficile pour les petits rockers qui ont bien révisé leurs leçons ! Voici la question : pourquoi portons-nous réglementairement des Dr. Martens ou des combat shoes ?
- (en chœur) Pour botter le gros cul de la Mort, Oncle Dan !
- Parfait ! Congé pour tout le monde !
- Youhou !
(1) Peu avant Noël 2023, le groupe avait déjà publié sur son site un message peu réjouissant de son leader : "Je crains d’avoir une mauvaise nouvelle à vous annoncer, les gars. Au cours de cette année, j’ai beaucoup souffert du cou et de la tête. Les médecins m’ont découvert une maladie rare et potentiellement dégénérative de la colonne vertébrale. C’est incurable. Il existe bien un traitement, mais je ne sais pas en quoi il va m’aider."
(2) Il était déjà caché sous la table sur la remarquable pochette de On A Storyteller’s Night.
(3) Ce sera mon néologisme de la semaine.
(4) La version Deluxe de Here Comes The Rain contient le DVD d’un chouette concert enregistré en décembre 2022. Pour prolonger un peu la magie…