Message
From Books and Dreams
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1- Sleep! / 2- Dreams And Nightmares (Dreams) / 3- Turn Over! / 4- Sigh / 5- Dreams And Nightmares (Nightmares)
Si je me passionne à sortir des limbes des groupes et des albums improbables et oubliés, je ne suis pas de ceux qui surévaluent la portée et le poids d’une formation (plus que) secondaire. Pour autant, certaines d’entre elles, comme le groupe Message de Düsseldorf, ouvrent des perspectives sur l’état d’une scène en un lieu et une époque donnés, et présentent même certaines originalités qu’il serait dommage de négliger.
Dans les années 1970, l’Allemagne (RFA et Berlin) est dominée par une scène progressive très spécifique, le Krautrock, une version psychédélique, expérimentale et parfois électronique de ce genre musical. Parallèlement, le Heavy prog’ est assez dynamique (Birth Control, Lucifer’s Friend) alors que la scène symphonique, plus proche des grands courants britanniques, met un peu plus de temps à prendre son envol (Nektar, Eloy, Novalis, Triumvirat). Dans ce panorama, Message est, avec Scorpions sur son premier album peut-être, l’une des rares formations à hybrider ces différentes esthétiques : le Krautrock, le Heavy prog’ avec ses guitares lourdes et saturées, et quelques lignes proches de Nektar qui l’entraînent vers le rock progressif symphonique légèrement space-rock. Cette parenté esthétique avec Nektar est d’autant plus intéressante que comme ce dernier, Message possède aussi plusieurs musiciens britanniques (écossais pour être précis) : Tom McGuigan au chant, au mellotron et au saxophone et Allan Murdoch à la guitare. Mais il s’agit bien d’un groupe plurinational, là où Nektar est un groupe anglais installé en Allemagne.
En 1972, Message avait fait paraître un premier album, The Dawn Anew Is Coming, mais dans la postérité, c’est bien From Books and Dreams qui restera dans les mémoires : il doit beaucoup à sa pochette gothique, une vanité très crue traversée par un serpent – Alice Cooper peut retourner à ses cauchemars.
Du Krautrock donc, que Message déploie dans sa petite introduction bruitiste, "Sleep!", sur laquelle une narration hypnotique bardée d’effets tente de nous plonger dans un sommeil paradoxal, entre rêve et cauchemar. C’est le titre du grand œuvre de l’album, "Dreams and Nightmares", divisé en deux parties d’environ treize minutes chacune. Le premier mouvement ("Dreams"), déploie une mélodie de guitare serpentine et répétitive qui ondule devant une section rythmique lourde : c’est Heavy à souhait, avec des relents psychédéliques qui s’expriment également dans les diverses lancées de guitare et les chorus hendrixiens. Pour ceux qui auraient l’oreille attentive, vous trouverez certaines lignes mélodiques et un jeu de guitare qui évoquent le Nektar d’A Tab in the Ocean (1972). Si le second mouvement ("Nightmares") possède des traits communs avec "Dreams", il s’en distingue par une inclinaison plus douce, en témoignent l’introduction qui mêle arpèges, claviers et chant habité, ou le solo de saxophone plus jazzy que celui de la première partie, plus furieux. Les montées en puissance et les passages Heavy sont toujours compensés par des phases apaisées voire jazzy.
La plus belle synthèse du métissage entre rock progressif classique, hard-rock et Krautrock se dévoile sur "Sigh" où l’on retrouve vraiment Nektar dans les crescendo de l’introduction et plus loin dans les passages spatiaux, associé à un chant hurlé avec vibrato qui semble parodier les 1960’s à la mode Krautrock, démarche qui s’invite à nouveau lors des interventions expérimentales du saxophone. Enfin, de nombreux riffs renvoient au hard-rock 1970’s dans sa forme la plus pure. Néanmoins, Message ne se montre jamais aussi expérimental que sur "Turn Over", dominé par un saxophone jazzy et envoûtant, pour se conclure sur un effet de vinyle rayé offrant une répétition infinie et mécanique de "Turn Over", "Turn Over", "Turn Over" ...
Entre rêves et cauchemars, Message propose surtout une musique au carrefour des différentes esthétiques présentes dans l’Allemagne rock des 1970’s : un album qui relève du zeitgeist, mais qui par son esprit de synthèse, en devient une curiosité intemporelle.
À écouter : "Dreams and Nightmares (Dreams)", "Sigh"