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Critique d'album

Pink Floyd


A Momentary Lapse of Reason


(07/09/1987 - EMI - Prog éthéré - Genre : Rock)
Produit par Bob Ezrin, David Gilmour

1- Signs of Life / 2- Learning to Fly / 3- The Dogs of War / 4- One Slip / 5- On the Turning Away / 6- Yet Another Movie/Round and Around / 7- A New Machine Pt. 1 / 8- Terminal Frost / 9- A New Machine Pt. 2 / 10- Sorrow
Note de 4/5
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Note de 2.5/5 pour cet album
"Gilmour reprend le Floyd en main et s'en tire avec les honneurs, mais guère plus"
Nicolas, le 31/01/2012
( mots)

Se pencher de nouveau sur le cas A Momentary Lapse Of Reason en 2011 s'avère beaucoup plus intéressant qu'escompté, car cet album solo de David Gilmour (il faut bien appeler un chat "un chat") nous pose avant tout une question primordiale : quels sont les éléments les plus caractéristiques du son Pink Floyd ? C'est en poussant cette réflexion jusqu'à l'absurde et en s'accordant avec tout un tas de contraintes financières et juridiques que le guitariste a fini par accoucher, dans la douleur, d'une parfaite copie carbone (pour reprendre les paroles, pas si ineptes que cela au demeurant, de Roger Waters) d'un album floydien estampillé années 80.

Rétrospectivement, les charges imputées à Gilmour à l'époque de la sortie du disque semblent parfaitement incongrues. On a taxé l'homme d'opportuniste, de fossoyeur et d'esprit mercantile, mais il faut bien comprendre que ce projet de résurrection du Floyd sans Waters s'avérait éminément risqué, que ce soit en terme d'héritage ou de dividendes. Un seul faux pas, une seule fausse note et c'était la chute assurée, ça plus la certitude que la déchéance floydienne serait imputée à Gilmour et à lui seul. Par ailleurs, bien que la tournée qui suivit la sortie de l'album fut l'une des plus rentables des années 80, le succès de l'opération était loin d'être acquis à l'avance.

Quand Roger Waters annonça son départ de Pink Floyd, "force épuisée" alors accusée de mettre un frein à sa carrière solo, le géniteur de The Wall pensait sérieusement que le groupe n'oserait pas continuer sans lui, s'estimant à ce point irremplaçable qu'à ses yeux, un Floyd sans sa personne n'avait absolument aucun sens. Manque de bol, c'est dans cette brèche de l'amour propre piqué au vif que s'est engouffré un David Gilmour authentiquement frustré d'avoir dû rester dans l'ombre du bassiste à l'égo surdimensionné depuis une bonne décennie, rameutant derrière lui un Nick Mason qui, lui, pensait surtout à son compte en banque et à ses voitures de sport (chacun ses priorités). Mais que faire avec un demi-Floyd à peine, nombre comptable permettant au moins à Gilmour de revendiquer le nom de la franchise ? Pas grand chose si ce n'est d'essayer, avec les meilleurs musiciens studio de l'époque, de recréer au mieux le son floydien. C'est Tony Levin (King Crimson) qui récupéra la basse orpheline de Waters, et Bob Ezrin, le producteur de The Wall, qui se chargea de palier à la cruelle absence de Rick Wright aux claviers et de compenser les carences rythmiques de Mason à la batterie (ce dernier se contenant de chapeauter les effets sonores de l'album). Quinze autres musiciens (!) furent appelés en renfort pour étoffer cette superproduction, et ce n'est qu'à la toute fin du projet que Wright finit par se greffer à son tour sur le disque, mettant fin, par cet acte toute de même assez courageux, à une dépression de près de dix ans suite à son éjection du groupe par le bassiste tyran à l'époque du Mur. Avec trois quarts des effectifs originels du Floyd partis prenante dans l'opération, A Momentary Lapse Of Reason, bien que conçu de A à Z par Gilmour, n'en devint ainsi pas moins légitime que le Final Cut intégralement aux ordres de Waters.

Il y a un autre paramètre à prendre en compte dans le processus créatif de l'album, c'est le climat de tension omniprésente qu'a vécu le groupe durant cette période. D'une part, David Gilmour a dû endosser la totalité du projet avec tout ce que cela implique en terme de pression. Pas question pour lui de donner dans la copie watersienne, le guitariste étant bien incapable de pondre le moindre concept album. Il lui a fallu imaginer le Pink Floyd du futur en se callant sur la meilleure période du groupe de son point de vue : celle comprise entre Meddle et Wish You Were Here. Mais là encore, pas question d'accoucher d'un disque atypique, bringuebalant ou anti-commercial. Compte tenu de l'attente du public et de la tournée future à promouvoir, Gilmour devait donner des garanties de succès à EMI, faute de quoi le projet n'aurait pas pu être financé. D'où ce compromis entre rock mainstream ultra-calibré eighties avec l'appui du compositeur Anthony Moore (c'est à lui que l'on doit une bonne part des hits "Learning To Fly" et "On The Turning Away") et tentatives plus proches de l'esprit floydien original. D'autre part, il a fallu que Gilmour se batte comme un chien contre Roger Waters qui, dès qu'il a eu vent de ce projet de reformation qui l'excluait, a tout fait pour mettre des batons dans les roues de ses anciens co-équipiers. La production de l'album a même dû se déclocaliser aux Etats Unis afin d'empêcher les avocats de Waters de harceler Gilmour au téléphone. Ce n'est que peu après la sortie dans le commerce du disque que le litige juridique fut réglé, privant Waters de toute velléité de représaille à l'égard d'un groupe qu'il avait lui-même quitté, et c'est d'ailleurs ce qui a joué en sa défaveur. L'élément qui paracheva la résurrection du Floyd légitimé fut le retour de Storm Thorgerson à l'élaboration de l'aspect graphique du disque : le Mur s'est effondré, et c'est tout un symbole.

La stratégie de Gilmour s'est finalement révélée payante, car avec près de 9 millions d'exemplaires écoulés, A Momentary Lapse Of Reason a pulvérisé les ventes médiocres de The Final Cut et a permis au Floyd de toucher un nouveau public, plus jeune et moins versé dans les expérimentations du passé. Concrètement, après réécoute attentive, il apparait que, des trois albums du Floyd post-Wall, c'est encore cette perte de raison momentanée qui s'en tire le moins mal. Bien évidemment, il faut se faire à la couleur eighties, à la batterie très artificielle et aux synthés parfois surannés, moyennant quoi cet effort a pour lui le mérite d'une esthétique cohérente et l'absence de déchet trop voyant. "Signs Of Life" représente parfaitement cet exercice de style auquel se sont adonnés Gilmour et Bob Ezrin : coller à l'esprit du Floyd, même privé ses membres originels. Tout y est : ambiance planante, synthétiseurs futuristes, jeu de guitare chatoyant, rythmique contemplative, on croirait presque être revenu peu après Wish You Were Here. L'analogie avec ce disque se poursuit même avec "Dogs Of War" qui rappelle furieusement l'esthétique de "Welcome To The Machine", Gilmour y arranguant l'auditoire avec une hargne toute watersienne. Plus loin encore, "Terminal Frost", encadré des déclamations vocodérisées "A New Machine" (analogie, analogie...), poursuit le trip instrumental avec une réussite certaine, tout comme le conclusif "Sorrow" qui constitue certainement le sommet du disque. Avant cela, il aura bien sûr fallu passer par les bassesses pop FM concédées à la maison de disque, mais même là, la catastrophe a été évitée. "Learning To Fly" n'est finalement pas si moche : les effets de guitares du riff principal sont extrèmement bien fichus, les solo sont courts mais efficaces, et l'ensemble passe plutôt bien malgré le moule stadium eighties. La pilule est un peu plus difficile à avaler avec "On The Turning Away", typiquement dans le style des grands hymnes humanitaires des années 80, "We Are The World" et autres abrutissements de masse. Mais même là, on peut encaisser la charge sans trop de difficulté grâce au talent de David Gilmour qui évite de trop verser dans le pathos vocal et qui conclue l'affaire avec de beaux arrangements de guitare. Plus discutable, en revanche, se trouve le passable "One Slip" et ses effets d'écho pas très subtils qui lorgnent vers un U2 un peu moins expressif, mais au moins le titre fait-il preuve d'harmonie de ton avec le reste du disque, ce qui n'est déjà pas si mal.

Reste malgré tout une tentative de recréation du Floyd considérée, de l'aveu même de son géniteur, comme un échec : jamais on ne retrouve, sur A Momentary Lapse Of Reason, les coups de génie d'un groupe décédé après avoir chuté du Mur. Ce disque n'est qu'un erzatz de Floyd, une copie rendue viciée et impure par les concessions faites au music business, le faire valoir d'un groupe qui était plus attendu pour sa tournée mondiale que pour un éventuel renouvellement musical. Ceci étant, la tentative ultérieure, The Division Bell, plus légitime car plus collégiale, n'a pas réussi à faire mieux, bien au contraire. Une bien maigre consolation pour ceux qui auraient souhaité, de tout leur coeur, la résurrection artistique de Pink Floyd ...

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Commentaires
jpgil, le 25/02/2018 à 20:11
Excellente critique d'un album très moyen. Je suis d'accord sur tout sauf sur le titre avec les effets d'écho, je pense que ce n'est pas "One Slip" mais "Yet Another Movie". Est-ce que je me trompe ou pas ?
SylvainFoulquier, le 28/12/2016 à 17:27
"Sorrow", l'un des rares morceaux du Floyd entièrement écrits et composés par David Gilmour, est vraiment un pur joyau, lyrique er majestueux. C'est sans doute avec "High hopes" (dans l'album suivant) l'un des deux derniers classiques du groupe mythique.
Foulquier, le 06/09/2016 à 07:23
'A momentary lapse of reason", malgré les critiques sévères de certains, est un bon album contenant plusieurs joyaux (dont le superbe "Sorrow", ou encore"Learning to fly", "On the Turning away"...). La faiblesse du disque, en l'absence de Waters, réside surtout dans les paroles, mais sur le plan musical il est bien meilleur que "The final cut". L'album 87 a de plus été pour Gilmour, Wright et Mason l'occasion de lancer la tournée la plus triomphale du groupe, avec presque deux cents concerts étalés sur environ dix-huit mois.