Pink Floyd
The Endless River
Produit par David Gilmour, Andy Jackson, Phil Manzanera
1- Things Left Unsaid / 2- It's What We Do / 3- Ebb and Flow / 4- Sum / 5- Skins / 6- Unsung / 7- Anisina / 8- The Lost Art of Conversation / 9- On Noodle Street / 10- Night Light / 11- Allons-y (1) / 12- Autumn '68 / 13- Allons-y (2) / 14- Talkin' Hawkin' / 15- Calling / 16- Eyes to Pearls / 17- Surfacing / 18- Louder Than Words
À l'occasion de la sortie de The Endless River, nous avons entamé une discussion à la rédaction pour savoir comment traiter ce dernier témoignage de l'un des groupes de rock les plus influents à avoir jamais existé. Et nous avons eu la surprise de constater que, bien que partageant un avis globalement identique sur le disque en question, un avis plutôt favorable, nous avions apprécié ce disque de Pink Floyd pour différentes raisons. Et plutôt que de dresser, chacun de notre côté, une critique contradictoire qui n'aurait pas vraiment lieu d'être, nous avons plutôt essayé de discuter autour du disque et de nous renvoyer la balle sur des points pouvant prêter à litige...
Dossier réalisé par : Alan, Nicolas, Steven
Nicolas : Lorsque l’on avait couvert les rééditions de Pink Floyd en 2012, on pensait avoir définitivement clôt le sujet. De mon côté, en refermant le chapitre The Division Bell, je me rappelle m’être interrogé sur le fantasme que représentait les fameuses sessions d’Astoria, ces heures de bandes enregistrées sur la péniche-studio de David Gilmour et qui furent abandonnées au profit d’un stadium rock qui ne faisait que rarement songer à l’alchimie existant entre Gilmour et Wright dans les années 70. Or, si ce fameux Big Spliff ne verra finalement jamais le jour, voilà que les deux actuels survivants de cette époque tentent de faire revivre le passé. The Endless River a donc vu Gilmour et Mason replonger dans les archives d’Astoria, en exhumer une petite heure de compositions et agrémenter le tout de pistes instrumentales supplémentaires ainsi que d’une chanson écrite a posteriori. Curieux procédé pour un résultat qui, pour ma part, m'a convaincu. Je trouve que ce “chant du cygne” de Rick Wright, pour reprendre une tournure fréquemment employée dans la presse spécialisée, parvient à renouer avec un certain esprit floydien qui s’était perdu, non seulement avec A Momentary Lapse of Reason et The Division Bell, mais aussi avec les deux, allez, trois derniers albums de la période watersienne.
Alan : Tout d’abord dans la forme bien évidemment : de par sa nature purement instrumentale, The Endless River s’exempt de toute contrainte de format dans son interprétation et renoue ainsi avec le caractère libre et très éthéré des pièces maîtresses du répertoire de Pink Floyd, “Echoes” et “Shine on You Crazy Diamond” restant selon moi les plus référencées. Il faut effectivement voir ici non pas un album compilant dix-huit morceaux, mais bel et bien une pièce unique déclinée en quatre tableaux de 12 à 15 minutes chacun ; ainsi, à la manière de Dark Side (continuité esthétique et stylistique) ou The Wall (continuité narrative), on retrouve dans The Endless River une unité et une continuité qui constituent un contexte d'écoute au sein duquel chaque morceau prend tout son sens. À l'inverse, ceux-ci perdent toute leur portée lorsqu'écoutés de manière isolée : il est donc nécessaire d'appréhender The Endless River non pas comme un simple recueil de chansons, mais comme une entité indivisible où les morceaux sont indissociables les uns des autres, et ce afin de comprendre au mieux quelles pouvaient être les intentions de Gilmour.
Nicolas : Oui mais justement, la sortie de cet album montre à quel point la démarche de Gilmour ayant consisté à singer les concepts albums de Waters s'est révélée vaine. En essayant de se frotter à un exercice qu'il ne maîtrisait pas pour soi-disant ne pas traumatiser le public du Floyd (et risquer au passage de perdre plusieurs millions de dollars), le guitariste a prolongé artificiellement la carrière du groupe sans reproduire l'osmose qui régnait tant avant la charnière “Echoes” qu'après. En ce sens, The Endless River me semble bien mieux pensé, et surtout bien plus réussi, que les deux albums fades qui ont fait suite au départ du bassiste égotique. À quoi bon se forcer à verser dans le stadium et/ou le songwriting “classique” (couplets/refrains) quand un long jam instrumental peut suffir à nous emporter ailleurs ? De ce point de vue, le single “Louder Than Words”, quelconque, illustre par l'absurde cette asertion. Par ailleurs, tu as raison : on retrouve sur cet ultime disque des réminiscences de la connivence qui existait entre la Stratocaster de Gilmour et les claviers futuristes de Wright durant la période pré-watersienne. “It's What We Do” renvoie clairement à “Shine On You Crazy Diamond”, “Sum” fait beaucoup penser à l'ambiance de “Welcome To The Machine”, “Eyes To Pearls” reprend pas mal d'éléments présents dans “One Of These Days”. En somme, David Gilmour et Rick Wright ont fait du neuf avec du vieux, et si certains reprocheront forcément un manque d'originalité dans cette mécanique bien huilée, force est de constater que la recette fonctionne encore plutôt bien. Enfin disons, la plupart du temps.
Alan : Tu soulèves ici ce qui me semble justement être le défaut majeur de cet album : aussi plaisant qu’il puisse être, The Endless River n’ajoute cependant rien à l’oeuvre déjà colossale de Pink Floyd. Peut-être le réel problème réside-t-il d’ailleurs ici : avec un catalogue déjà aussi vaste et influent, à quoi bon proposer près de deux décennies plus tard des compositions qui, bien que réminiscentes de la grande époque et finement exécutées, n’apportent pour ainsi dire rien de vraiment “neuf” justement ? Avant que l’album ne sorte, Gilmour et Mason se plaisaient à déclarer que celui-ci serait, comme tu l’as rappelé plus haut, le “chant du cygne” de feu Rick Wright et comprendrait des compositions dignes d’être entendues. Soit : l’ensemble est globalement réussi, agréable et sympathique à écouter, mais aucune ne se détache selon moi réellement du reste et peut prétendre concurrencer certaines de ses pièces antérieures telles que l’ouverture de “Shine on You Crazy Diamond”, “Us and Them” ou encore - et surtout - “The Great Gig in the Sky”. C’est un constat que je fis avec amertume lors de ma première écoute : au vu de ce qu’on en annonçait, The Endless River ne répondit clairement pas à mes exigences. Peut-être le terme de chant du cygne était-il trop fort ? Quoi qu’il en soit, on se retrouve au final avec un album oscillant entre retour réussi à cette osmose que tu décrivais plus haut et redondance avec ses prédécesseurs de par un manque de réel renouvellement, le tout plombé par ce que tu appelais en coulisses des “maladresses affreuses”...
Nicolas : Oui. Indépendemment de certaines réussites incontestables (on les a déjà citées), il faut bien reconnaître qu'il y a aussi un certain nombre de morceaux dispensables. Beaucoup de transitions sont inutiles. C'est surtout vrai sur la side 4, citons au hasard "Eyes To Pearl" ou encore "Surfacing", et on ne va pas remuer le couteau dans la plaie du single. L'articulation de la side 3 autour du "Allons-y" en deux parties joue sur des contrastes tempo entraînant / placide tout en parvenant mal à masquer un manque de substance global dans les plages contemplatives. Mais le pire, c'est "Anisina", sans aucune contestation possible. Cette espèce de conclusion foireuse de la side 2, entre piano à la Vangelis, saxo de piano-bar ultra-ringard et Stratocaster plan plan fait vraiment très mal à un équilibre global jusque là préservé. C'en est à un tel point que je ne peux plus supporter ce passage et que je le saute systématiquement. Dommage, car la side 2 réserve de très bons moments par ailleurs...
Le mot de la fin est pour Steven, et je pense que son avis résume parfaitement les nôtres.
Steven : À l'heure des retours et des remastérisations à tout va, on peut croire que cet album est une nouvelle fantaisie, une énième et vaine tentative pour raviver l'âme d'un pilier du rock sous couvert d'un hommage à l'un de ses membres. On peut légitimement douter de sa capacité à embarquer l'auditeur. En cela, on peut approcher l'album avec scepticisme et ne pas imaginer se laisser prendre. Et pourtant. The Endless River réalise ce que beaucoup croyaient impossible : rouvrir les voies obscures du trip floydien. Au-delà de l'exploit, la critique est possible. Certains regretteront par exemple le côté très cérébral du disque, le manque de retenue, son caractère plutôt lisse, ou encore la modernité du son et la perte d'un grain qui a rendu mythiques les albums du groupe sous l'ère de Roger Waters. Mais, n'est-ce pas incroyable qu'on en vienne à comparer The Endless River à Dark Of The Moon ? Rien que cela prouve la réussite du pari de David Gilmour et Nick Mason. Et tout est là. À titre personnel, j'ai un goût particulier pour la construction "en puzzle" de cet album, autour des phases d'improvisation. J'aime retrouver les longues notes planantes, le caractère aventureux du synthétiseur, la subtilité de la guitare de Gilmour. Ils sont particulièrement concentrés sur "It's What We Do", un titre qui puise par bien des aspects dans l'inimitable "Shine On You". Il me semble ainsi renouer avec les univers traditionnels de Pink Floyd, entre obscurité tortueuse ("Sum", "Skins") et clarté paisible ("Things Left Unsaid"). Un voyage tout en contraste, donc, qui vaut incontestablement le détour.