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Critique d'album

Procol Harum


Grand Hotel


(00/03/1973 - Chrysalis - Classic Prog - Genre : Rock)
Produit par Chris Thomas

Note de 5/5
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Note de 2.5/5 pour cet album
"J’ai chopé un souvenir à Londres, mais je ne peux pas en parler à ma maman – Keith Reid"
Daniel, le 30/05/2022
( mots)

Procol Harum est un des plus parfaits malentendus de la petite histoire du rock. Parce qu’une immense majorité de la population humaine n’a jamais compris que, derrière cette musique faussement sophistiquée, le groupe officiait essentiellement au second degré.


Il fallait être né à Londres et pratiquer un humour anglais de très haut vol pour apprécier l’œuvre étrange de Gary Brooker (chant et grand piano) et de Keith Reid (textes).


Orphelin d’un musicien professionnel, Gary Brooker va abandonner ses études en zoologie et biologie pour se consacrer au piano.


Keith Reid est le fils d’un survivant de l’holocauste et ses lyrics caustiques font écho à l’humour juif new-yorkais cher à (par exemple) Woody Allen.


A la fin des sixties, lorsque Gary Brooker a débarqué en France pour promouvoir (si c’était encore nécessaire) le single « A Whiter Shade Of Pale » (1967), les journalistes des radios périphériques l’appelaient avec emphase « Monsieur Procol » (authentique). Le gaillard se contentait de sourire dans ses moustaches.


Moustaches et félin, le lien est vite établi. Parce que Procol Harum ("loin – ou au-delà – des choses" en latin) est en fait le nom du chat quelconque d’un lointain copain du duo Brooker-Reid.


"A Whiter Shade Of Pale" (peut-être 10.000.000 de singles vendus) était déjà une aimable "moquerie" de la mécanique mathématique musicale de Jean-Sébastien Bach. Le texte, faussement inspiré d’une poésie aux références pseudo-classiques, évoque en réalité les pensées confuses d’un dragueur saoulard au bord de la gerbe.


C’est devenu le "slow de la décennie" (1). Le piège infernal. Un clou dans le sabot tellement pénible que Gary Brooker décidera un jour de ne plus jamais l’interpréter sur scène.


L’incompréhension de la langue (et, a fortiori, du propos) donne un caractère hermétique à l’œuvre de Procol Harum (2) dont toute l’identité musicale repose sur les épaules du seul pianiste et de son ami auteur. Une charge difficilement surmontable. Les albums principaux du groupe se caractérisent par deux ou trois compositions parfois majeures puis des titres qui fleurent bon le remplissage, même si, une fois encore, leurs textes sont adorables (ou caustiques) au second degré.


En tant que tel, et même s’il a connu des musiciens remarquables (Matthew Fisher à l’orgue Hammond ou Robin Trower à la guitare), le groupe n’a jamais trouvé la stabilité. Procol Harum a toujours été une auberge espagnole musicale sans identité forte. A titre d’exemple, le guitariste Dave Ball a quitté la formation après la réalisation de l’artwork de Grand Hotel (3). Son visage a simplement été effacé et remplacé par celui de son successeur Mick Grabham (qui a réenregistré une partie des lignes de six-cordes). 


Grand Hotel a été le petit chant du cygne de Procol Harum. La suite a été moins glorieuse pour se terminer par une implosion en plein vol lorsque la vague punk a balayé la planète londonienne.


La plage conceptuelle éponyme (qui débute longuement l’opus) est proprement extraordinaire. Elle justifie à elle seule l’achat de l’album et devrait se déguster en costume trois pièces, avec une coupe de Dom Pérignon 1947 (une belle année) à la main. C’est probablement une des compositions les plus extravagantes, les plus contrastées et les plus abouties du duo Brooker-Reid.Aujourd’hui, nous couchons dans des draps de soie


Nous sirotons des vins fins et dégustons des mets raffinés


A la roulette et aux tables de jeux


Nos fortunes se font et se défont


Il y a des bougies et des chandeliers


Des plats en argent en des verres en cristal


Il est difficile d’imaginer mieux (ou pire) dans le style classico-pompier décalé (4).


"Souvenir In London" est l’autre moment fort du disque. La musique est assez quelconque (limite bordélique) mais le propos est fort inhabituel puisqu’il s’agit d’une ode désabusée à la chaude pisse.


  J’ai ramené un peu de Londres à la maison


J’aimerais m’en débarrasser rapidement


Mais pour ça, il faudrait que je m’exhibe devant mon médecin


Parce que ça ne va pas partir tout seul


J’aimerais tant que ça reste confidentiel


Mais les informations continuent de fuiter


L’usure impitoyable du temps, la voix monocorde de Gary Brooker et les limites du style font que les autres plages sont devenues difficilement "audibles". Le compositeur n’avait probablement pas l’étoffe suffisante pour rendre passionnant un album complet.


Certes, "Bringing Home The Bacon" mérite une oreille plus ou moins attentive pour son excellent solo de six-cordes, au même titre que "Fires (Which Burn Brightly)", principalement pour les chœurs (à la Danielle Licari) chantés par la merveilleuse Christiane Legrand (la sœur aînée de Michel).


Finalement, ce drôle de rock méta-symphonique – si difficile à caractériser – a disparu en même temps que son groupe fondateur. Le grand piano s’est désintégré. Comme une baudruche trop gonflée qui aurait frôlé une branche d’aubépine. Une petite flatulence d’hélium que le vent a emporté aussitôt.


Ou, pour faire plus joli, une bulle de champagne brut…


Pfft…


(1) La même absurdité s’est répétée en 1975 avec "I’m Not In Love" de Ten CC, dont les non-anglophones pensaient qu’il s’agissait d’une chanson d’amour. Nous avons tous étreint notre chéri.e du moment en dansant ce slow satanique sur un demi mètre carré de plancher.


(2) Le malentendu linguistique a également contaminé les relations du public non-anglophone avec (pour ne citer très brièvement que ceux-là) The Kinks (Arthur – Or the Decline and Fall of the British Empire), The Beatles (A Hard Day’s Night), Supertramp (Crisis, What Crisis ?), Bruce Springsteen (Born In The Usa), Sparks (Kimono My House), Captain Beefheart (Trout Mask Replica), Frank Zappa (toute son œuvre), …


(3) Il subsiste une vague trace de Dave Ball dans le reflet visible sur le verre de champagne qui figure à l’arrière de la pochette.


(4) Au mieux de sa forme, Freddie Mercury (pourtant surdoué dans le domaine du kitsch) n’a pu qu’effleurer cette emphase ("Killer Queen", "Good Old Fashioned Lover Boy", "Seaside Rendez-Vous" …).

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