SaintSombre
Earth Dust
Produit par
Préambule
Après avoir observé trois secondes durant La tentation de Saint-Antoine peinte par Salvador Dali (1), feu mon père – qui avait le sens du raccourci saisissant – a brièvement déclaré : "Il y a quand même des types qui sont fort tracassés...".
Puis il a allumé une Saint-Michel sans filtre et est passé à autre chose.
No comment.
Noir, c’est noir
Earth/Dust est l’album d’un "duo" qui n'en est pas un puisqu'il est composé d’un artiste solo qui n’aime pas les concessions et d’un spleen obscur poussé à l’extrême. Tellement à l’extrême que le concept conduit à la lumière.
Pas une lumière conventionnelle. Non. Une lumière noire, comme celle de Wood.
Multi-instrumentiste, Steve Renard est orphelin de Sacrarium, son groupe de Black Metal (2) qui, soit dit en passant, n’a pas vraiment été épargné par la critique du Grand Est. A croire qu’une liturgie de messe noire ne peut s’accommoder d’un vin de Moselle.
Le musicien décide alors de se plonger (ou se perdre) dans un projet plus intimiste qui a les allures d’une chimère. Car cette musique relève du fantastique, aux confins même du délire foutraque.
Je n’ai aucune prétention de tout connaître. Mais je dois avouer que je n’avais jamais entendu auparavant ce que j’ai découvert ici. Et il me faudra du temps pour m’en remettre.
Si je m’en remets un jour.
Nos chimères sont ce qui nous ressemble le mieux
La musique post-metal de Steve Renard est bâtie sur des mid-tempos martelés par une batterie qui trônerait volontiers dans les forges de Vulcain. C’est ultra-pesant mais à mille lieues des travers du Black Metal. Jamais pollué par des excès techniques ou des blasts beats caricaturaux, le jeu percussif est presque mécanique, métronomique, à la limite de l’académisme (c’est du B-A-BA de drumming binaire). Quelques fills ou des effets d’écho – jamais envahissants – rompent parfois la sensation de monotonie.
Portées par cette vague inexorable et répétitive, de grosses guitares saturées tricotent des rythmiques qui prennent le temps de poser d’étranges mélodies narratives. Jamais joyeuses.
De façon très "naturelle", des touches électroniques (souvent générées par un arpégiateur) se glissent insidieusement dans les espaces sonores. Il me semble excessif de parler de black électro ou d’électro black parce qu’il n’y a pas "fusion" à proprement parler. Les sonorités synthétiques tiennent plus souvent de l’enluminure réussie que du propos principal. Mais le résultat est saisissant et convaincant.
Puis débarque la voix. Je ne suis certainement pas fan de chant black metal. Mais le procédé est tellement maîtrisé et tellement "décalé" par rapport au support musical hybride sur lequel il vient s’exprimer que l’ensemble s’impose à l’esprit comme une forme d’évidence.
Ceci dit (3), il faut reconnaître que c’est plutôt une musique d’homme, même si (pour les boomers qui ont encore la référence) nous avons tous connu une Polonaise qui en écoutait au petit déjeuner.
Au bout du tunnel, il y a…
En général, cette phrase se conclut instinctivement avec "la lumière".
Or, s’il y a bien un concept que l’on ne s’attend absolument pas à dénicher sur un album comme Earth/Dust, c’est bien la lumière (ou l’espérance, son corollaire symbolique), même si l’artwork (vraiment très classieux) laisse transparaître quelques larmes plus claires.
Pourtant, à l’exception de la plage titulaire qui évoque la fin apodictique de notre monde ("Cette terre retournera en poussière"), les textes de SaintSombre sont globalement résilients et parfois même "solaires". Il est évidemment possible qu’il y ait, dans le propos, une forfanterie cachée au second degré (auquel cas, le soleil ne serait pas vraiment le soleil) mais cet artifice résiste à une lecture (ou une écoute) attentive.
La démarche est très conceptuelle. Un homme (seul) souffre. Un homme tombe. Mais il trouve la force de se relever ("Delivrance", ma plage préférée) de reprendre espoir ("Sun"), d’affronter et renier le fantôme malfaisant qu’il est ("Reflection"), puis de chercher son chemin de rédemption en suivant une voie nouvelle qui conduit vers une lumière générée par un cercle rédempteur ("Circle").
Ce parcours initiatique n’est supportable durant les quarante-sept minutes que dure l’opus qu’à la condition d’être solidement préparé à l’épreuve. SaintSombre nous conduit dans un univers extrême et malaisant (glacé comme un hiver d’Immortal) sans vraiment garantir qu’il y aura un voyage de retour.
Comme le gaillard pratique l’art du "c’est à prendre ou à laisser", il n’est jamais question ici de faire la moindre concession ni, pire encore, de céder à la légèreté.
Par conséquent, je laisse le soin aux petits rockers d’adhérer ou non à Earth/Dust.
Personnellement, ce genre de musique ne régale pas mon quotidien mais je me refuse de fermer mon esprit et mon âme aux formes d’expression "différentes".
Et celle-ci se refuse à tout compromis.
Savourons le présent
Ceci nous montrera la voie
Le centre divin nous illumine
Car la vérité est enfin disponible
Les ténèbres s'enfuiront
Ne laissant plus de place aux morts
Et révélant ainsi le chemin (4)
(1) J’aime beaucoup de choses en peinture mais je reviens souvent à cette œuvre à la fois métaphorique et cryptique.
(2) Le groupe était assez extrême dans certains choix technologiques qui donnaient un caractère artificiel (non humain) à sa musique dont la production était parfois maladroite.
(3) Je sais que notre vénéré rédacteur en chef déteste les citations du genre de celle qui va suivre mais je suis momentanément possédé par un démon boomer.
(4) "Sun".