The Decemberists
What a Terrible World, What a Beautiful World
Produit par Tucker Martine
1- The Singer Addresses His Audience / 2- Cavalry Captain / 3- Philomena / 4- Make You Better / 5- Lake Song / 6- Till the Water’s All Long Gone / 7- The Wrong Year / 8- Carolina Low / 9- Better Not Wake the Baby / 10- Anti-Summersong / 11- Easy Come, Easy Go / 12- Mistral / 13- 12/17/12 / 14- A Beginning Song
Après une année 2014 on ne peut plus satisfaisante sur le plan du rock n’ roll, en tout cas de l’avis d’une majorité de rédacteurs à Albumrock, voilà que se profile 2015 et certaines promesses que l’on espère voir tenues. S’il est encore trop tôt pour apprécier de quoi les douze prochains mois seront faits, même si nous avons tenté de vous appâter avec un dossier sur les disques dans lesquels nous mettions le plus d’espoir, on peut déjà affirmer que le rock indé américain à tendance mélodique va revenir en grande pompe. Pensez, janvier n’est pas encore achevé que l’on attend déjà les nouveaux émoluments de Death Cab For Cutie, de Calexico et surtout de Modest Mouse. Mais c’est Colin Meloy et ses Décembriers qui sont en charge d’ouvrir les hostilités, et le moins qu’on puisse dire, c’est que la barre a d’emblée été mise à un certain niveau.
The Decemberists, on peut se l’avouer, n’est pas un groupe propre à déchaîner les passions, du moins pas au premier abord. La fibre indé est bien là, le talent aussi, la touche folk-country apporte une note d’originalité, mais il manque peut-être à Meloy un album phare, un disque incontestable qui le propulse au sommet des charts et qui le popularise auprès du public. Le côté raconteurs des premiers disques n’ayant finalement pas fait recette, c’est sans réelle surprise que l’on avait vu débarquer The King Is Dead il y a quatre ans de cela, un disque opérant une rupture et renonçant à une thématique / à une histoire commune tout en lorgnant vers plus d’accessibilité façon R.E.M. - et la présence de Peter Buck en guest sur ce disque n’était évidemment pas le fruit du hasard. Au final, nombreux sont ceux qui ont été déçus par ce sixième album jugé trop commercial ou pas assez sincère, ce qui revient finalement au même. Pourtant, avec du recul, cet hommage au testament musical des Smiths (The Queen Is Dead, faut-il le rappeler), eut égard à l’admiration que voue Colin Meloy à Morrissey, n’a rien de déshonorant et déroule avec réussite de jolis morceaux bien fagotés et conservant suffisamment d’enracinement ricain pour séduire et assurer une certaine pérennité dans les écoutes. Question : son successeur parvient-il à faire mieux ?
Réponse : oui. Et pour ce faire, il fallait à Meloy rééquilibrer ses choix de morceaux vers un peu plus d’authenticité et moins de tape à l’oeil. Le rock REMiste, tout en gardant encore une certaine exposition (impeccable “Cavalry Captain” avec son lumineux riff de trompette, et limpide “The Wrong Year”), recule au profit de titres globalement plus calmes. Si la verve folk se fait moins affriolante (finies les jigs au violon genre “Rox in the Box”), elle gagne en revanche en sérénité et en contemplation. Les Decemberists prennent un certain risque en enchaînant presque bille en tête trois chansons placides dépassant les cinq minutes, un choix qui assoit le parti pris tranquille de WATWWABW (c’est plus simple comme ça, non ?) et qui convainc vraiment : si “Make You Better”, le titre le plus réussi de l’album, ferait de l’ombre à Benjamin Gibbard et son taxi de la mort tout en tressant de jolies secondes voix féminines, “Lake Song” y va de son alliage gratte sèche - piano sur lequel la voix de Meloy peut se balader avec amertume avant de céder la place à une sorte de blues crépusculaire, triste comme un coucher de soleil portant l’espoir d’un nouveau jour à venir après une nuit de ténèbres (“‘Till The Water’s All Long Gone”). Avec ce gros bloc, le groupe bétonne le socle de son disque et peut se laisser aller ensuite à plus de variété. Cela peut aller de la triste déclaration d’amour (“Carolina Low”, touchante dans son dépouillement) à la gaudriole adolescente vicelarde typée California 60’s (“Philomena”) dans laquelle notre cher barbu à lunettes joue les voyeurs en essayant de mater une jolie fille à poil. La country n’est jamais loin avec deux courtes pièces, presque des intermèdes (“Better Not Wake The Baby” et ses teintes irlandaises, tonique et revigorant, et le plus roots “Anti-Summersong”), et l’évasion vers les terres plus chaudes du sud arrive sans que l’on s’en rende compte (“Easy Come Easy Go”, presque western spaghetti par instants). Et puis il y a le joli “Mistral”, preuve que Colin Meloy est un songwriter sincère et méritant car son slow marie une jolie mélodie à une batterie d’arrangements ouatés, saxo, piano, orgue Hammond, guitare électrique douce, du tout bon. Folk ambivalent pour finir avec l’harmonica triste et les riffs de guitare sèche en mode majeur de “12/17/12”, censés refléter les sentiments contradictoires ressentis par Melloy lorsqu’il a appris, le 17 décembre 2012, le massacre survenu à l’école primaire de Sandy Hook alors que lui-même, nageant alors dans le bonheur, attendait son deuxième enfant.
On n’a pas parlé de l’intro crescendo du disque, “The Singer Addresses His Audience”, très réussie, ni de l’outro, “A Beginning Song”, plus dispensable, car à ce stade un certain enthousiasme est de mise. Peut-être ne s’agit-il pas là du disque le plus réussi des Decemberists (on lui préférera sans doute The Crane Wife, plus abouti, plus profond), mais What a Terrible World, What a Beautiful World, moins facile que The King Is Dead, parvient à séduire tout en restant accessible et authentique. Une valeur sûre qui entame cette année placée sous le signe de l’indie sous les meilleurs auspices. La balle est maintenant dans le camp de la concurrence.