Villagers of Ioannina City
Age of Aquarius
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1- Welcome / 2- Age of Aquarius / 3- Part V / 4- Dance of Night / 5- Arrival / 6- Father Sun / 7- Millenium Blues / 8- Cosmic Soul / 9- For the Innocent / 10- Sparkle out of Black Hole
A l'heure où démarre la rédaction de ces lignes, les Albums Rock Awards 2019 ont déjà livré leur verdict depuis quelques semaines. Les Foals, Tool, Last Train et autres Rival Sons se taillent la part du lion, de façon assez logique il faut bien le reconnaître. A quelques jours près, et si j'avais été, avouons le, un peu plus réactif sur ma liste de recommandations à écouter, mon palmarès aurait pu être tout à fait différent, et ce Age of Aquarius des Villagers of Ioannina City aurait sûrement trôné dans le trio de tête.
Absence de suspense, absence de débat : cet album est un coup de cœur, une tuerie, un enchantement, amplifié par le fait qu'au delà de sa qualité, c'est une surprise totale et inattendue.
Age of Aquarius est le second album d'un groupe qui nous vient de Grèce, de la ville d'Ioannina comme leur nom l'indique, ville du Nord-Ouest du pays et capitale d'Epire pour les amateurs de géographie.
N'étant pas toujours adepte de musique folkorique ou d'un mélange des genres trop prononcé, je suis toujours prudent au moment d'écouter des artistes venant de contrées un peu "inhabituelles" (inhabituelles pour moi qui écoute essentiellement de la musique anglo-saxonne). Et pour faire simple, c'est typiquement le genre de disque très prompt à faire tomber toutes les barrières, à faire franchir toutes les frontières tant il réunit à la fois les aspects de la musique occidentale que l'on affectionne, en y apportant une bonne dose d'éléments folkloriques, savamment distillés tout au long des 10 titres qui construisent cette oeuvre. Encore une fois, le terme "oeuvre" est totalement justifié tant la construction est réfléchie, cohérente et solide.
L'album s'ouvre sur "Welcome" formidable introduction, à la manière d'un concept album, se fond littéralement avec Age of Aquarius, première grosse pièce maîtresse du disque, reprenant le thème de" Welcome" et qui cache sous les riffs stoners tournoyant de l'introduction une chanson totalement habitée, sur plus de 8 minutes absolument brillantes et qui semblent bouffer à tous les râteliers. Est ce du stoner ? Du post-rock ? ou bien même du métal progressif ? On se questionne au fil de la compo jusqu'à ce que notre absence de certitudes soit balayée d'un revers de main par l'entrée de quelques instruments plus folkloriques vers le dernier tiers du morceau.
Au passage, c'est une belle et subtile manière de brouiller les pistes en installant confortablement l'auditeur pendant 6 minutes, et de le faire sortir de sa zone de confort une fois conquis par la chanson.
"Part V" curieusement placé donc en 3ème position, s'y prend de la même façon pour nous charmer : riff lancinant entre stoner Kyussien et post rock, rendant l'album déjà presque addictif. La production est très réussie, moderne, claire, et les nombreux passages instrumentaux sont très bien mis en avant et servent encore une fois totalement le propos général. Les Villagers of Ioannina City prennent leur temps : seulement 3 titres en plus de 20 minutes, sans nous perdre, sans nous ennuyer une seule seconde, et en nous proposant toujours quelque chose, comme cette dernière minute dantesque de "Part V" presque "death-métal" (toutes proportions gardées) avec hurlements, grosse batterie et guitares pachydermiques.
On se plait à dérouler l'album en étant à chaque fois surpris de l'alliage entre instruments traditionnels et influences "modernes", comme c'est le cas sur "Dance of Night", où l'on navigue dans des contrées médiévales, mais toujours avec ce je ne sais quoi qui nous tient en haleine (ici ce petit riff de guitare glissant précédant les passages de clarinette). Déformation personnelle oblige, l'un des ponts instrumentaux de "Dance of Night" m'a même rappelé The Gathering et leurs inspirations parfois World-Music des débuts. J'ignore si les néerlandais sont une potentielle référence pour les Villagers of Ioannina City, mais plusieurs passages du disque m'ont clairement fait penser à la bande d'Anneke Van Giersbergen (l'interlude d'"Arrival" et son côté très Mandylion).
C'est un des charmes de ce genre d'album d'un groupe "nouveau" : pouvoir identifier les éventuelles inspirations. Et à ce petit jeu, les grecs se font à malin plaisir à nous balader du stoner au prog, du post rock à l'atmosphérique, tout en conservant leurs racines profondément ancrées dans leur Grèce natale. Dans ce sens, "Father Sun" et son incantation au Soleil scandée "..To the Sun I pray" est une synthèse parfaite entre éléments traditionnels, passages plus aériens et une base rythmique très solide. Pour ceux qui ont écouté leur premier album, à ne surtout pas négliger, Riza, sorti en 2014, le plus gros changement est le passage du chant de la lanque grecque à l'anglais, et si on peut légitimement regretter cette concession importante, l'anglais demeure sans doute inévitable pour qui veut exporter sa musique bien au delà de ses frontières.
Pour avoir beaucoup écouté les deux albums, les progrès sont colossaux, Age of Aquarius bénéficiant d'une meilleure production et d'une meilleure cohérence, même si de nouveau, le groupe essaie habilement de nous perdre au fil des morceaux, comme sur le très particulier "Millenium Blues", son intro aux relents.....reggae !, ses choeurs féminins lorgnant vers les Pink Floyd pour se transformer au bout de 4 minutes en explosion guitaristique Kyussienne qui transpose le désert de Palm Spring au milieu des Oliviers d'Epire, dans un régal sonore et un solo de guitare à l'image de cette fin de morceau : fumant, inspiré et psychédélique.
Oui ce Age of Aquarius pioche sans vergogne dans plein de styles très différents, mais c'est suffisamment bien foutu et bien interprété pour que ça ne sonne pas comme catalogue des bonnes influences à posséder. Si l'on songe au stoner et au prog, certains morceaux vont proposer d'autres saveurs, moins convenues, comme sur "Cosmic Soul" qui pour ma part m'a ramené du côté du Savatage des années 90 (accentué par l'évident côté épique d'un tel album), notamment au niveau du refrain très nineties. Et dans le genre "retro" qui s'assume, difficile de ne pas penser à Ghost sur "For the Innocent", qui sans être raté, propose un hard fm un peu plus stéréotypé que le reste de l'album, mais c'est vraiment pour pinailler.
En résumé, l'album est riche, très riche, et s'il nécessite pas mal de temps pour l'apprivoiser (10 titres mais plus d'une heure au compteur), il est de ce genre d'album qui continue de se livrer écoute après écoute. Ce qui n'est (déjà) plus le cas de certains albums présents au palmarès des Albumrock Awards !