Giallo et Rosso. Quand le rock progressif italien faisait son cinema.
Si vous avez été intrigué voire séduit par les quelques chroniques sur le rock progressif italien qui apparaissent de temps en temps sur Albumrock, on ne peut que vous conseiller de vous plonger dans la bibliographie de Louis de Ny. Depuis plusieurs années, cet auteur passionné propose chez Camion Blanc des ouvrages très recommandables et fournis sur le sujet, dont on peut lister de manière exhaustive : Le Petit Monde du Rock progressif Italien (2015), Plongée au Cœur du Rock Progressif Italien (2018), Patrick Djivas, Via Lumière (2020, il a été traduit en italien). Les deux premiers volumes offrent, après leurs très intéressantes introductions respectives qui remettent le genre en contexte ou donnent des témoignages de musiciens, une série conséquente de chroniques d’albums couvrant non seulement l’âge d’or des 1970’s mais également les décennies qui suivent, jusqu’à nos jours, preuve d’une scène toujours vivante.
La sortie en 2022 d’un nouveau tome retraçant cette épopée est donc une nouvelle que nous avons reçue avec beaucoup d’enthousiasme, d’autant plus que bien que bon connaisseur du "RPI", nous avouons avoir un véritable angle-mort que Louis de Ny vient éclairer : celui des OST réalisées par les groupes italiens, une mine foisonnante qui méritait d’être creusée et mise en valeur par des textes minutieusement composés. Car disons le tout de suite, la sélection opérée par l’auteur est très pertinente et le style impeccable.
A propos des liens entre cinéma et rock progressif durant les années 1970, le mélomane ou cinéphile averti évoquera sans doute More des Pink Floyd, les collaborations nombreuses avec la scène Krautrock allemande (Popol Vuh, Can, Tangerine Dream …) ou encore l’ex Aphrodite’s Child, Vangelis. L’amateur de gialli, ces thrillers italiens riches en hémoglobines, intrigues à tiroir et éventuellement en tenues légères, sait également que les bandes son, toujours cultes, ont été composées par des groupes progressifs, ou plutôt, par Goblin lors de ses multiples collaborations avec Dario Argento. Mais au-delà …
C’est donc sans grande surprise que, dans la première partie de l’ouvrage, qui traite spécifiquement des collaborations entre des groupes progressifs et des réalisateurs, Goblin ait droit à une soixantaine de page. La qualité de leur œuvre, la quantité de BO produite, le prestige d’Argento, nombreux sont les arguments qui justifient une aussi grande place accordée à cette formation, avec entre autre des détours par Profondo Rosso ou Suspiria – à voir et à écouter.
Au-delà de ce terrain conquis, la crème du rock progressif italien s’insinue dans ces pages, les Napolitains d’Osanna (Milano Calibro 9), les incontournables de Banco (Garofano Rosso), bien sûr l’album culte de la scène qu’est Concerto Grosso d’I New trolls … Il y a d’autres surprises inconnues du profane et pourtant d’un grand intérêt, au moins pour l'originalité de l'anecdote : The Trip qui incarne un groupe de rock dans une des seules collaborations du genre ou encore la participation de deux musiciens de PFM à la bande-son d’un nanar du plus mauvais gout.
Louis de Ny a la sagesse d’organiser ses chapitres de façon rigoureuse, présentant rapidement le contexte et l’intrigue du film ainsi que sa réception, rédigeant des biographies efficaces et synthétiques des groupes pour les néophytes (ou pour les lecteurs plutôt cinéphiles que mélomanes), décrivant enfin les albums avec attention, morceau par morceau, en relation avec les scènes du film afin de soulever leur intérêt cinématographique. On soulignera encore la plume de l’auteur ainsi que la convocation subtile du vocabulaire technique sans que jamais le texte n’en devienne hermétique.
La deuxième partie, plus courte, nous permet de découvrir des compositeurs dont l’œuvre, quand il s’agissait de musiques de film, a pu s’inspirer du registre progressif. Sans déflorer le contenu du livre et gâcher les surprises qu’il réserve, on pourra apprécier la biographie de Luis Bacalov dont le rôle de passeur culturel fut central, le travail de Fabio Frizzi auquel Louis de Ny est attaché et, plus inattendu, les expérimentations d’Ennio Morricone avec le Gruppo di Improvvisazione.
Louis de Ny a bien fait de saisir l’occasion de compléter son panorama du rock progressif italien avec cet angle bien particulier, fruit du dialogue entre les arts et photographie d’une époque où l’Italie brillait dans ces deux domaines qui ont su collaborer. Le résultat donne non seulement envie de se plonger dans ces OST grandioses mais également de regarder ces bijoux du septième art, ce qui prouve que l’auteur a atteint son but.
Camion Blanc, 2022, 316 pages.
A lire : interview de l'auteur sur le site.