Gojira
Salle : Olympia (Paris)
Première partie :
Gojira défend avec ferveur et toute puissance son dernier album et réussit un tour de force.
Depuis vingt ans que Gojira existe, le groupe a écumé salles de concert, festivals, stades immenses en France, en Europe et dans le monde. Lorsqu’on en vient à penser que leur tout premier concert en Île-de-France s’était déroulé à l’arrache dans une cave miteuse du 94 devant un petit attroupement de curieux avec quelques autres groupes de metal tout aussi amateurs, on ne peut s’empêcher de s’émouvoir devant les mythiques lettres rouges de la devanture de l’Olympia ce soir. C’est ici que se déroulent les deux dates parisiennes du Magma Tour, la tournée de leur dernier opus sorti en juin 2016, qu’ils défendent corps et âme depuis l’été. Passés par les Etats-Unis puis par toute l’Europe, les garçons originaires d’Ondres posent finalement leurs matos et leurs amplis à Paris avec Car Bomb en première partie.
Car Bomb, groupe originaire de New-York dont le dernier album Meta a été produit par Joe Duplantier, a la lourde tâche d’engager les hostilités avec le public de l’Olympia. Dès la première note (par "note" comprendre "fracas venu tout droit des enfers") on se prépare à s’en prendre plein la figure, à se faire tartiner par cette guitare d’une agressivité sans précédent, à s’oublier jusqu’au bout de la nuit et puis… absolument rien. Si les premiers accords nous laissent coi, on se retrouve au bout de quelques minutes seulement à délaisser le spectacle. Non pas que le mathcore déchaîné du groupe soit désagréable à l’oreille ou que la double-pédale ne donne pas la furieuse envie de déchirer le t-shirt de son voisin, mais l’énergie qu’essaye de faire passer Michael Dafferner, le chanteur du groupe, se perd dans l’immensité et l’immobilité de la salle.
Durant presque la moitié du set, de Best Intentions à From The Dust of This Planet, la voix de Michael ne s’entend tout simplement pas. Ce n’est qu’au morceau Gratitude, le sixième sur une setlist de huit, qu’on percevra enfin quelques bribes de paroles. Le public reste inanimé, attendant que quelque chose, n’importe quoi, veuille bien se produire. Le jeu des lumières n’aide en rien : plongés dans un noir quasi abyssal, seules quelques lueurs blafardes viennent jouer avec le rythme. La performance des new-yorkais laisse un sentiment d’inachevé pour un set qui aurait être complètement dingue mais qui finit cafouilleux.
L'Olympia nous offre vingt minutes d'entracte et à ce stade de la soirée la salle est quasiment remplie. On commence à jouer des coudes dans la fosse pour ne pas perdre la scène de vue. L’une des particularités de l’Olympia, en plus d’être considérée comme la salle mythique de Paris, rien que ça, c’est sa fosse en pente. Plutôt pratique si comme moi vous mesurez 1m40 les bras levés et qu’une horde de chevelus colossaux décide de se tenir en rang d’oignon juste devant vous. Il est 20h lorsque la foule commence à perdre patience et à clamer le nom de Gojira, à hurler, siffler, applaudir et piétiner. Le groupe attendra encore un bon quart d’heure avant de fouler la scène du pied.
C’est Mario Duplantier qui s’installe le premier derrière sa batterie, nous saluant, baguettes en main, et un quidam de crier "Super Mario !", extatique. Bientôt rejoint par son frère et ses comparses, le groupe entonne Only Pain tandis que dans la salle la chaleur monte d’un cran et les pogos commencent. La prestation est incroyable, vivifiante, pure et damnée à la fois. D’une puissance et d’une justesse folle, Gojira gardera ce haut niveau de performance tout le long du set. Passé The Heaviest Matter of the Universe, ce sont Silvera et Stranded, deux morceaux phares de leur dernier album, qui suivent alors, et au Chaos avec un grand C d’envahir l’Olympia. Au milieu de la fosse on se bagarre, on se pousse, on tombe, on s’aide à se relever mutuellement. C’est fraternel. Aux balcons on en voit certains debout, penchés par-dessus la balustrade comme aimantés par le bordel en contrebas.
Le groupe alterne ainsi des morceaux de From Mars To Sirius et Magma durant toute la première demi-heure. Suivent en effet Flying Whales, The Cell et Backbone dont la foule hurle les paroles et salue les prouesses de Christian Andreu. Entre deux morceaux, Joseph prend la parole "On s’appelle Gojira au cas où certains s’étaient perdus en route. On n’en revient pas d’être ici, de jouer du metal à l’Olympia." Et pourtant, quelle belle salle pour accueillir du metal. Son acoustique rend la sonorité diaphane, céleste presque. C’est encore plus frappant lorsque les premières notes de Terra Inc. se mettent à doucement retentir, calmant les âmes les plus fougueuses, terrassant les accès d’ardeur. On ferme alors les yeux et on profite du calme avant le retour de la tempête, se balançant sur un pied puis sur l’autre. Terra Inc. est aussi et surtout l’occasion de reprendre son souffle, quitte à sortir la ventoline de sa poche.
Dans une ambiance plus feutrée qu’au début et encouragée par un éclairage tirant sur des tons chauds, L’Enfant Sauvage, premier titre de l’album éponyme joué ce soir, apparaît soudain comme le morceau qui manquait à cette soirée. La fureur reprend et l’échange entre le groupe et son public est plus que jamais présent. La chanson terminée, tous quittent la scène à l’exception de Mario. Il exécute alors, seul face à la marée humaine que nous constituons, un solo de batterie dont le seul défaut aura été sa durée. Il aurait pu nous emporter au-delà de nous-même mais s’est cantonné à quelques petites minutes réglementaires, certes fort appréciables et appréciées. Il est bien évidemment applaudi, car quand on est le batteur de Gojira on mérite une certaine marque de respect et de reconnaissance. Le reste du groupe vient remettre une couche de pesanteur dans nos faces déjà courbaturées avec Shooting Star dont la presque douceur nous sauvera sans doute d’une déchirure musculaire à force de pogos.
C’est quand on se croit un peu tranquille que Toxic Garbage Island fait exploser ce qui semblait encore endormi en nous, si tant est que quelque chose dormît encore avec tout ce tintouin. Les garçons reviennent ensuite sur l’album Magma avec Pray, une ode au nouveau monde teinté de désespoir. Autour de moi la plupart des garçons sont torse-nus, un nombre incalculable de verres en plastique jonchent le sol et une bière est jetée en l’air, baptisant au passage une bonne vingtaine d’adeptes. Pour le rappel on nous prévient : "On va vous jouer un vieux morceau. Il est un peu plus vénère." Hein, quoi, un peu plus vénère que ça ? Evidemment c’était sans compter sur Clone qui nous assène un gros coup de nostalgie sur la nuque. Ah, qu’elle était belle cette époque de Terra Incognita en l’an de grâce 2001. Le groupe draine nos dernières ressources avec Oroborus et Vacuity qui sonnent à elles deux la fin de ce concert.
Outre sa monstrueuse puissance et la finesse de son exécution, la volupté de ses envolées mélodiques et la force dévastatrice de ses musiciens, la performance de Gojira à l’Olympia c’est surtout un symbole fort, le symbole d’une musique de niche devenue grande. On sort de la salle couvert de bière et de sueur, des bleus plein les membres, les jambes chancelantes, et on se dit alors tout simplement "ça valait vraiment le coup".