Seasick Steve
Salle : Ancienne Belgique (Bruxelles - BELGIQUE)
Première partie :
Un petit shoot de vinyle…
Ce soir, il n’y a pratiquement personne devant les portes encore closes de l’AB. La petite troupe de rockers en profite pour envahir le magasin de disques sur le trottoir d’en face. C’est que l’enseigne "Caroline", présente depuis les seventies, reste définitivement mythique pour les Belgicains.
Bouffée de nostalgie garantie devant des casiers garnis de vinyles.
Le seul problème est qu’à partir d’un certain âge, le vieux rocker possède déjà tous les vinyles qui lui sont chers. Parfois même en plusieurs exemplaires.
Alors, tandis que nos mains un peu ridées vérifient distraitement si The Beatles n’auraient pas sorti un album inconnu entre Rubber Soul et Revolver, les conversations dévient rapidement sur le temps qui passe, les médicaments de chacun, la mémoire qui joue des tours ou ces mots banals que l’on oublie, la misère des cover-bands, les films de la Hammer et le petit-fils couillon qui croit que Genesis n’est qu’un jeu pour sa PlayStation 4.
Après avoir retourné la moitié de la boutique, la troupe repart quasiment bredouille (1) pour aller s’installer confortablement dans les fauteuils rouges de l’AB avec un gobelet de bière 0 % à la main.
That’s life, people ! Tremendous, isn’t it ?
Et les lumières s’éteignent pour la première partie...
James Dixon
Il est difficile d’écrire du mal d’un jeune gaillard aussi sympathique d’autant plus qu’il est doté d’une voix absolument remarquable et bourrée de nuances. Par contre, il faut se farcir son répertoire. Fairport Convention, Maggie Reilly, Sally Odlfield, Steeleye Span et (parfois) Jethro Tull mis à part, la musique folk britannique n’est pas forcément la tasse de thé du public de nos contrées.
L’Anglais James Dixon est poète quand il parle de sa région natale, fleur bleue quand il évoque sa compagne ou révolté quand il observe le système des soins de santé de son pays ("Tu seras traité selon ce que tu peux payer"). Mais son répertoire devient vite lassant d’autant plus qu’il joue essentiellement sur une Dobro qui n’est, à mon très humble avis, pas spécialement la guitare la mieux adaptée à sa démarche artistique. Jouée de cette façon là (en arpèges folkeux et en accords légers en haut de manche), l’instrument à résonateur sonne un peu comme un chien qui cherche son os dans un conteneur de vieux métaux.
Le set se termine sur une reprise très enjouée du cantique anglican "Amazing Grace". Les vieux rockers se souviendront que la même prière avait été chantée (dans un tout autre registre) par un certain Rod Stewart lorsqu’il courtisait l’Amérique. Signe des temps.
Rideau.
Seasick Steve
On ne m’ôtera pas de l’idée que Seasick était déjà passablement entamé lorsqu’il est monté sur la scène de l’AB (ce qui ne l’empêchera pas d’écluser sa flasque de gnôle pendant tout le set).
Qu’il soit sobre ou bourré, la démarche musicale de Steven Gene Leach restera probablement un mystère. D’autant plus que c’est durant sa vie en Norvège (et non sur les rives du Mississippi) que le bonimenteur aux 77 (ou 73) printemps a pêché son nom de scène.
Seasick a un art consommé de mettre en scène un "non spectacle" absolu. Fagoté comme un balayeur de rue, il se pointe, les mains dans les poches pour aller se poser nonchalamment sur sa vieille chaise en bois. Il va ensuite passer plus d’une heure à martyriser des guitares à deux balles (home made pour la plupart) au son desquelles il propose en rigolant des titres blues épicés de grunge supposés raconter sa vie de damné du Delta du Mississippi (2) qu’il réinvente un peu chaque soir.
Épaulé par son vieux pote Crazy Dan, un batteur binaire et furieux (il a probablement fréquenté l’Académie d’Animal du Muppet Show), l’unique bluesman maudit du cercle Arctique multiplie les anecdotes et les digressions (3), régalant le public de l’AB de balivernes hilarantes.
Une propension à la bonne humeur et quelques bons titres ne font pourtant pas un concert inoubliable. D’autant plus (ou d’autant moins) que, sur les titres les plus puissants, la voix était souvent complètement égarée dans le mixage. Mais, comme le dit souvent un mien ami ingénieur du son, les meilleurs réglages du monde ne servent pas à grand-chose si le chanteur s’époumone à côté de son micro.
Ceci mis à part, le barouf du Diable que Seasick Steve propose à son public, joyeux et complice, est réellement jouissif même s’il ne casse jamais trois pattes à un canard. Le vieil homme est plus un amuseur qu’un virtuose et son (absence de) show n’est accepté(e) par le public que parce que la légende a précédé le gaillard et sa gouaille.
La seule parenthèse "sérieuse" de la soirée sera consacré à la honte non feinte que le chanteur ressent vis-à-vis des épouvantables dérives droitière de son pays. Le titre "Abraham, Martin And John", une reprise du fabuleux Dion DiMucci (4) restera pour moi le moment (très) fort de ce concert, avec "Backbone Slip", l’excellent single extrait du dernier album.
Est-ce que quelqu’un parmi vous
A vu mon vieil ami Abraham
Pouvez-vous me dire où il est parti
Il avait libéré tant de monde
Mais il semblerait que les justes meurent jeunes
J’ai tourné la tête et il n’était plus là...
Pour être honnête, j’ai largement préféré la prestation de Seasick Steve en ouverture de Bruce Springsteen sur la plaine flamande de Werchter. Peut-être parce que ses blagues potaches fonctionnent mieux en guise d’apéritif qu’en plat de résistance.
Peut-être.
Codicille
Au vu de la moyenne d’âge dans la salle et de l’attitude extrêmement bonhomme du public, j’ai été très offusqué de la hargne totalement inutile dont a témoigné le "service d’ordre" de l’AB pendant le concert. Ca faisait longtemps que je n’avais plus vu des spectateurs (fort paisibles, au demeurant) houspillés de la sorte. Si certaines zones ne sont pas accessibles au public pour des raisons de sécurité ou de convivialité, il serait peut-être plus amical de les matérialiser de manière claire plutôt que de mandater des chiens de garde pour aboyer des règles inédites et incompréhensibles. "Peace and love, brothers and sisters !" comme disait Janis Joplin, une lointaine amie de Seasick...
Set-List (5)
My Donny / I Don’t Know Why / Backbone Slip / Good Morning Little Schoolgirl / Roy’s Gang / Soul Food / Summertime Boy / Walkin’ Man / Mona / Funky Music / Started Out With Nothin’
/ Barracuda ‘68 / Let The Music Talk / Bring It On
Encore
Abraham, Martin And John / Thunderbird
(1) Est-ce que l’achat d’un CD de Pierre Rapsat est un "geste rock" ? Non ! Alors, oublions ce moment d’égarement !
(2) Il est en réalité né en Californie.
(3) L’épisode relatif au Thunderbird vaut définitivement son pesant de cacahuètes. Il s’agissait en fait d’un "vin américain" très bon marché (60 cents la bouteille) qui se déclinait en blanc (couleur pisse) et en rouge. La couleur avait peu d’importance puisque les deux breuvages avaient le même goût immonde. Seasick Steve explique son extrême surprise le jour où il a goûté un vrai pinard auquel il a trouvé une saveur très différente de celle du Thunderbird. Pour la petite histoire (et au cas où il y aurait des amateurs), ce vin de contrebande a disparu des rayons des magasins honnêtes mais se trouve encore dans les bars de quelques bases militaires US.
(4) Oui, le génialissime Dion de Dion And The Belmonts !
(5) La set-list est donnée sous toutes réserves. Je ne connais pas suffisamment la discographie du bluesman pour être absolument certain d’avoir identifié correctement tous les titres.