Big Star
Radio City
Produit par John Fry et Big Star
1- O My Soul / 2- Life Is White / 3- Way Out West / 4- What's Going Ahn / 5- You Get What You Deserve / 6- Mod Lang / 7- Back of a Car / 8- Daisy Glaze / 9- She's a Mover / 10- September Gurls / 11- Morpha Too / 12- I'm in Love with a Girl
Dans le top 3 des groupes géniaux que personne connaît et qui ont traumatisé des tas de musiciens, je voudrais… je voudrais… Big Star ! A l’occasion du (quasi) cinquantenaire de l’éclosion de ce grand groupe, il est urgent de mettre en lumière ce maître étalon de la Power-pop avec leur album phare : “Radio City”.
En cette fin d’année 1972, Big Star se retrouve dans la panade : ils se retrouvent orphelins de leur “Lennon” maison, Chris Bell, compositeur de la moitié du premier album. Ils devront donc se reposer entièrement sur les frêles épaules de leur "McCartney", Alex Chilton pour donner une suite à ce bijou intemporel qu’est 1 Record. Aucun problème pour lui, il va réinventer la musique de son vaisseau personnel. Il en a l’habitude. Il l’a fait et le refera encore durant sa carrière. C’est d’ailleurs l’une des facettes de son génie foutraque et protéiforme.
Soulman à la voix rauque au sein de The Box Tops (il n’avait que 16 ans !), Chilton découvre le top des hit-parades avec le raz-de-marée planétaire "The Letter". Désirant s’affranchir rapidement des carcans imposés par des producteurs peu scrupuleux, le petit génie claque la porte et se réfugie à New York pour s’initier aux joies de la folk. Lassé de la Big Apple, Chilton rentre au bercail (Memphis), délaisse son timbre rocailleux pour emprunter une voix haut perchée, et part s’acoquiner avec d’anciens acolytes. Ils vont fonder Big Star. A contre-courant total de cette époque de "Presse moi le citron bébé" et de sexualité trouble, la bande de Chilton sort 1 Record. Sous l’ombre tutélaire des Byrds et des Beatles, ce premier effort fait la part belle à de splendides ballades folk, mais hérissé de puissantes saillies power pop. Ce sera un bide intersidéral. Qui provoquera le départ de Chris Bell ainsi que de sa santé mentale.
C’est donc en formation resserrée (et la boule au ventre) que Big Star entre en studio fin 1973 pour mettre sur bande le toujours difficile deuxième album. Dès le morceau d’ouverture, on est scotché (c’est souvent le sceau des grands albums). "O My Soul" est un tour de force Rythm’n’Blues. Guitares syncopées, breaks fracassants, solo décomplexé qui chevauche la ruée effrénée de la section rythmique… Il faut le dire d’emblée, Radio City est un grand album de guitares électriques. Les prises de sons de la Stratocaster de Chilton sont fabuleuses, d’une fraîcheur intemporelle : ici elles carillonnent, là elles tranchent dans le vif, un peu plus loin elles distillent leur venin insidieux. 1 Record consacrait quasiment une face entière à des morceaux folk, ce nouvel opus gagne en viande rouge, toutes guitares électriques dehors. Chris Bell évaporé, Chilton assume toutes les parties de guitares, dévoilant au passage quel prodigieux guitariste il est devenu en quelques années.
Même si ce morceau d'ouverture se veut euphorique, un sentiment de malaise latent se fait jour. Tapi dans l’ombre, prêt à surgir à n’importe quel moment, comme si le groupe jouait constamment sur la corde raide, donnant ce sentiment d’urgence à toute cette entreprise. Ce goût pour l’auto-destruction, ces fêlures vont rapidement se transformer en abîmes infernaux sur l’album suivant.
Après cette gourmande entrée en matière, Chilton calme le jeu. Sur "Life is white", il déverse tout son fiel de sa voix écorchée, soutenu par un harmonica brisé. Et puis vient"You get what you deserve". Cette merveille absolue, inégalable, au pied de laquelle tous les suiveurs du rock indé américain vont se prosterner, le regard fou, la bave aux lèvres. Ce millefeuille sonore où se superposent guitare acoustique, batterie détendue, basse menaçante, guitare dissonante (fan de Red Krayola, Chilton accentuera cette inclination envers la dissonance dans ses prochains albums)… Et l’enregistrement en seize-pistes qui rend l’ensemble aérien et inquiétant à la fois. Encore une fois, des sentiments complexes et contradictoires s’entrelacent, comme un goût de cendre sur le bout de la langue.
Changement de face et de décor avec un boogie putassier à la T-Rex où Chilton s’ébroue avec un plaisir coupable ("Mod Lang"). S’ensuit un reliquat de la période Chris Bell avec "Back of a car", tuerie pop aux impressionnants roulements de batterie et à la mélodie imparable, saupoudrée d’accords grinçants. "Daisy Glaze" est une autre pièce de choix. Chilton y semble exténué, à bout de force. Il entonne une douce mélopée alanguie qui, sur un violent coup de butoir, va muter en une impétueuse furia big starienne. On en reste bouche bée. Et là mes petits pères, arrive certainement la plus belle chanson power pop de tous les temps, qui illuminera vos tristes jours jusqu’à leurs fins. "September Gurls", ce joyau brillant de mille feux, cette mélodie divine (certainement dictée par Dieu lui-même) embuée de douce nostalgie, accompagnée de ces chœurs célestes… Trop c’est trop ! Rien que pour ce morceau, Chilton devrait être canonisé, non loin des Kinks et des Beach Boys !
Comme le soulignait Jim Dickinson (producteur de l’album suivant, le terrifiant Third/Sister lovers) "A vrai dire, aucune des douze chansons de Radio City n’aurait fonctionné si ces garçons n’avaient été des musiciens hors pair". Ce diamant brut, éblouissant toute part, va hélas souffrir d’une distribution inexistante et disparaître dans les limbes des charts, nourrissant la fameuse légende noire du groupe. Mais va connaître un succès d’estime grandissant et servir de mamelle nourricière à toute la floraison de Rock indé américain des années 80 (REM, Replacements, Posies…) qui va se reconnaître dans les tourments existentiels et les harmonies sublimes de Chilton.
Et j'espère qu’après ça, vous irez prêcher la bonne parole autour de vous, enfin… Si vous aimez bien vos amis.