Clap Your Hands Say Yeah
New Fragility
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1- Hesitating Nation / 2- Thousand Oaks / 3- Dee, Forgiven / 4- New Fragility / 5- Innocent Weight / 6- Mirror Song / 7- CYHSY, 2005 / 8- Where They Perform Miracles / 9- Went Looking For Trouble / 10- If I Were More Like Jesus
Il fut un temps où des sauveurs du rock sortaient à chaque coup de pied dans un buisson. En 2005, avec un premier album poignant, original et innovant, Clap Your Hands Say Yeah se joignait à la bande messianique. Il faut dire que le groupe avait des atouts : des compositions entraînantes, une vraie fraîcheur et une originalité les différenciant des Strokes, Interpol ou autres Libertines, notamment au travers de leur frontman. La voix nasillarde d’Alec Ounsworth constitue à elle seule un virage radical qui nous embarque si on l’emprunte volontiers, où nous fait sortir de la route si on le suit avec le pied sur le frein. Savant mélange de David Byrne, Bob Dylan et Kermit la grenouille, l’organe du leader du groupe peut en rebuter plus d’un, ou au contraire, prendre aux tripes les âmes sensibles à l’émotion brute dégagée par ce chant singulier.
Seulement voilà, à l’instar de la plupart de leurs comparses du début des années 2000, les suites du succès n’ont pas été qu’un tonnerre d’applaudissements approbateurs pour les bien nommés Clap Your Hands Say Yeah (CYHSY pour la suite de la chronique). Entre productions moyennes voire carrément décevantes et crises internes, on ne donnait pas cher de leur peau. C’est donc avec surprise que le public a accueilli le revigorant The Pilot (2017), avec Ounsworth comme seul rescapé de la formation initiale.
C’est avec ce même line-up que CYHSY fait un retour en ce début d’année 2021, avec ce New Fragility relativement court (10 titres, environ 40 minutes) et assez inégal. New Fragility n’est pas un album qui redonnera le statut de superstar à Ounsworth, mais on peut saluer l’effort de renouveau et de sérieux. Commençons par ce qui fâche, le titre "Dee, Forgiven" souffre d’une longueur non justifiée et d’une certaine pauvreté mélodique où seule la voix d’Ounsworth et ses caractéristiques détaillées plus haut sont chargées de faire le travail. C’est par ailleurs un aspect un peu brouillon qui ressort des dispensables deux dernières pistes. On y voit plus clair sur "Innocent Weight", où la partie vocale est nettement plus réussie et l’instrumentation tout en cordes est convaincante, le tout donnant lieu au questionnement intemporel "I don’t know what I’ve done wrong".
Il y a également de vraies réussites sur cet album, dont "New Fragility", titre emprunté à une nouvelle de David Foster Wallace, qui explore les fins de relation et fait mouche par sa structure et sa complexité mélodique. "Mirror Song", son piano aérien et sa montée en puissance constituent un apex sur le disque. Les paroles de ce morceau sont particulièrement déchirantes ("I miss home I miss that lazy comedy of pulling you up off the lawn"/"Chez moi me manque, la comédie paresseuse de te relever de la pelouse me manque") et l’émotion n’est pas feinte lorsque le finish instrumental prend le relais. Notons également l’efficacité du premier single "When They Perform Miracles", et son finger-picking chaloupé.
CYHSY se trouve un nouveau rôle de porte-étendard d’une Amérique en eaux troubles sur la première piste, nommée de manière pertinente "Hesitating Nation". Cette-dernière résume d’ailleurs assez bien le style musical du groupe : mélodies accrocheuse, guitar crunchy, et chant qui navigue entre la limite du dissonant et vraie réussite harmonique, notamment sur le refrain "you know, the ones who just don’t care". Ce point de vue engagé est repris sur "Thousand Oaks", modèle de transition avec le morceau précédent. Il est ici question d’une énième tuerie dans le pays de l’oncle Sam ("an american massacre in Southern California"). Cette politisation thématique est une vraie nouveauté pour le groupe.
Enfin, "Cyhsy, 2005" est un coup d'œil dans le rétroviseur que tous les fans du groupe apprécieront, de par son honnêteté sur le décalage entre le succès rencontré et les ambitions du groupe. Car c’est ici une question fondamentale: et si la déception de la suite de carrière de CYSHY et des autres membres de la classe new yorkaise du début du nouveau millénaire était simplement due à un crédit accordé à des artistes qui n’en demandaient pas tant ?
Comme réponse toute en résilience à cette question brulante, notre héros du jour propose une interrogation: "But who am I to question fate ?"/"Mais qui suis-je pour mettre en doute le destin ?"