Doves
Kingdom of Rust
Produit par
1- Jetstream / 2- Kingdom of Rust / 3- The Outsiders / 4- Winter Hill / 5- 10:03 / 6- The Greatest Denier / 7- Birds Flew Backwards / 8- Spellbound / 9- Compulsion / 10- House of Mirrors / 11- Lifelines
Doves constitue l'archétype du success-band anglo-anglais, particulièrement connu et reconnu outre-Manche mais peu voir pas du tout connu chez nous. De fait, le désaveu relatif de notre cher hexagone à l'égard de ces lads s'avère assez incompréhensible compte tenu de leur niveau musical. Le trio de Manchester a en effet réussi à prouver, avec ses trois premiers albums, que la pop anglaise sait se montrer passablement irrésistible pour peu qu'elle soit bien exécutée. Et ce n'est pas Kingdom Of Rust qui fera mentir cet adage.
Produit par John Leckie (Mr The Bends), cette quatrième fournée voit Doves évoluer légèrement et prendre des sentiers moins conventionnels. Preuve en est le titre liminaire de la galette, "Jetstream", happé par son électro synthétique louchant assez nettement vers un krautrock à tendance gigoteuse. Une intro pénétrante qui peine pourtant à décoller pleinement faute de ligne mélodique convaincante, même si le travail d'arrangement s'y révèle assez bluffant. Quand on aborde "Kingdom Of Rust", c'est tout le contraire : on touche là à une sorte de quintessence de la pop song british, avec une jolie mélodie entêtante servant de tremplin à un accompagnement instrumental tour à tour intimiste et gargantuesque. Résultat, l'air ne met pas longtemps à se loger dans notre boite crânienne. Autre son de cloche avec le bulldozer "The Outsiders", qui taille dans le lard sans faire de détail : batterie stroboscopique, synthés charnus, mélange de guitare claire et de basse vrombissante, l'instrumentation guerrière développée par le trio pousse une mélodie lancinante qui, si elle peut laisser un poil sceptique lors des couplets, ne peut que faire chavirer les foules lors du refrain monumental qui s'en suit. Idem pour "The Greatest Denier", dont les parties vocales pas très élaborées se retrouvent galvanisées par son rendu massif qui n'est pas sans évoquer un certain (et excellent) "Speed Of Sound". De la pop de stade, par un certain côté assez primaire, mais d'une puissance émotionnelle et d'une humanité assez rares chez la concurrence. Non, je n'ai pas cité Coldplay.
Toute la force de Doves repose dans sa facilité à élaborer des mélodies pas forcément très accrocheuses de prime abord, mais portées par un crescendo d'arrangement qui ménage ses effets à la perfection. Ainsi, si le couplet (encore) de "Winter Hill" n'a rien de transcendant, son refrain génère à l'inverse une très forte attirance, tractant ainsi le titre vers des sommets inattendus. Cette classe innée, intensifiée par une production poids lourd mais pourtant étonnamment digeste, permet aux trois mancuniens de se sortir sans trop de dommages de quelques ornières dans lesquelles ils ne manquent pas de se vautrer un peu trop facilement. Certains auront ainsi du mal à ne pas sourir devant l'affectation parfois bourrue dans laquelle se complaisent les vocalises de Jimi Goodwin, notamment lors des titres lents que sont "10.03" ou encore le lénifiant "Birds Flew Backwards". Peu importe finalement : tant que Doves est capable de sortir de son chapeau des pépites comme un "Spellbound" ou un "Lifelines", véritables cartes d'identité de la pop anglaise dans ce qu'elle a de meilleur, ou encore comme un "House Of Mirrors" qui donne dans le western héroïque made in Albion, on pourra tout pardonner. Et on aura même le droit en prime, avec "Compulsion", à un petit tour de dancefloor typé dub relevé, une fois n'est pas coutume, par le chant d'Andy Williams (qu'on entend d'ailleurs aussi sur "Jetstream") tandis que Goodwin s'éclate derrière les fûts.
Kingdom Of Rust n'est probablement pas l'album de l'année, mais l'ensemble est quand même de très bonne facture. Il manque peut-être à ces onze titres un poil de constance et un micro-chouilla d'inspiration pour emporter totalement l'adhésion des masses non britanniques. Malgré tout, Doves a su conserver dans ce disque une certaine forme de sincérité et d'authenticité, tout en évoluant vers une musique plus fouillée et audacieuse. Une sincérité revigorante qui fait parfois cruellement défaut chez la concurrence. Non, je n'ai pas cité Coldplay.