Genesis
Selling England by the Pound
Produit par John Burns, Genesis
1- Dancing with the Moonlit Knight / 2- I Know What I Like (In Your Wardrobe) / 3- Firth of Fifth / 4- More Fool Me / 5- The Battle Of Epping Forrest / 6- After the Ordeal / 7- The Cinema Show / 8- Aisle Of Plenty
Une fois n’est pas coutume, commençons par une anecdote personnelle. Très jeune, je suis devenu un grand amateur de rock progressif des années 1970, bien qu’étant né dans les années 1990 et n’ayant pas connu l’âge d’or du genre. Pourtant, je boudais Genesis. J’ai découvert bien des albums improbables et inconnus avant de me plonger dans l’œuvre de cette formation que j’ignorais de façon intransigeante et un peu sectaire. La raison ? Je ne connaissais d’eux que peu de choses, et seulement des titres issus de leurs albums des années 1980-1990, que je ne supportais pas et que je ne supporte guère plus aujourd’hui. Soit dit en passant, je comprends pourquoi les amoureux du groupe, ayant suivi sa carrière depuis les débuts, observent avec une certaine bienveillance Duke ou Abacab : mais c’est une attitude difficile à adopter pour celui qui écoute cela avec une oreille rétrospective.
Un jour néanmoins, je devais avoir 22 ou 23 ans et plusieurs années de boulimie progressive derrière moi, je décidais de laisser une chance à Genesis et de comprendre par quel mystère cette formation FM avait pu être classée dans le courant progressif. Imaginez l’électrochoc quand j’entendis les premières mesures de "Dancing with the Moonlit Knight". La légèreté des notes de guitare, presqu’évanescentes, le chant magnifiquement nuancé, entre douceur et intensité épique, la richesse des claviers toujours modulés avec soin et variés dans leurs sonorités … Les évolutions du titre sont toutes pertinentes, sans jamais céder au remplissage ou à la démonstration pure. Alors quel plaisir jouissif de recroiser ce thème d’une subtilité incroyable au final de l’album sur "Aisle of Plenty", la plus belle conclusion de l’histoire du rock.
Depuis ce jour, ce titre est devenu mon préféré du groupe et Selling England by the Pounds l’album que j’écoute avec le plus de passion tant il concentre et sublime toutes les qualités du Genesis historique. Un résultat époustouflant au regard d’une gestation complexe où l’inspiration mit du temps à venir, alors que le groupe était sous pression de la maison de disque.
Selling England by the Pound est une ode à l’Angleterre dans tout ce que le pays peut avoir de shakespearien ("The Cinema Show"), de médiéval, de grotesque, de décalé, de flegmatique et verdoyant (référence à la magnifique pochette). Défilent devant des personnages dignes de Lewis Carroll ou du Monty Python, en particulier lors de la terrible "The Battle of the Epping Forest", morceau tortueux où se rencontrent des combattants farfelus sur une succession parfois décousue de thèmes étranges ou plus canoniquement progressifs, voire même jazzy.
L’album comporte peut-être les fresques les plus fameuses de Genesis, en tout cas les mieux composées et construites – davantage que le titre fleuve "Supper’s Ready" sur Foxtrot (1972). Commençons par "Firth of Fifth", dont l’introduction au piano est interrompue par un basculement symphonique qui fait la part belle aux claviers avant qu’Hackett ne dévoile un solo d’une mélodicité somptueuse. Il laisse entendre en quoi le groupe devint la principale source d’inspiration du néo-progressif dix ans plus tard. Majoritairement instrumental, parfois planant, il reste malgré tout plus énergique que "The Cinema Show" à l’ambiance cotonneuse de boite à musique apportée par les instruments à vent, les voix éthérées et par le synthétiseur ARP qui s’élance dans un long développement cadencé par une batterie virtuose.
À côté de ces épopées, les titres les plus courts font un peu pâle figure, d’autant plus qu’ils sont d’une qualité variable. La chansonnette "More Fool Me" retombe sur son refrain qui n’aurait pas été boudé par les Eagles et "I Know What I Like (In Your Wardrobe)" recycle le psychédélisme planant mais souffre aussi de la faiblesse de son refrain cette fois-ci digne des Bee Gees … On leur préférera l’atmosphère Renaissance d’"After the Ordeal", bien plus inventive et sans aucune facilité d’écriture.
Au sein de la quadrilogie qui s’étend de Trespass à Selling England by the Pound, il est difficile de départager les amateurs pour savoir lequel est le plus abouti, tant toutes ces œuvres sont magistrales. Il me semble tout de même que le plus cohérent et abouti en matière de composition soit le dernier opus de cette série – ce fut en tout cas le plus grand succès commercial de cette ère du groupe.
À écouter : "Dancing with the Moonlit Knight", "Firth of Fifth", "The Cinema Show"