Jack White
Fear Of The Dawn
Produit par Jack White
1- Taking Me Back / 2- Fear of the Dawn / 3- The White Raven / 4- Hi-De-Ho / 5- Eosophobia / 6- Into the Twilight / 7- Dusk / 8- What's the Trick? / 9- That Was Then, This Is Now / 10- Eosophobia - Reprise / 11- Morning, Noon and Night / 12- Shedding My Velvet
Nul besoin de rappeler dans ces pages à quel point nous aimons Jack White depuis ses débuts au sein des White Stripes – tiens d’ailleurs, qu’est-ce qu’elle devient, Meg ? Ceci étant posé, on n’omettra pas de pointer une petite inquiétude quant à l’évolution stylistique du lascar qui s’est certes montré impérial durant les années 2000 mais nettement moins irrésistible la décennie suivante. Derniers méfaits en date, un Raconteurs pas foufou dans son style (Help Us Stranger, trop inconstant pour séduire sans réserve) et surtout un imbitable disque solo (Boarding House Reach) qui en a laissé plus d’un sur le carreau – dont votre serviteur. Trop éclaté, bigarré, « avant-gardiste » avanceront les esprits les moins chagrins… et en définitive totalement bordélique et sérieusement inécoutable. Pourtant, on se souvient de nos souhaits à la sortie de Lazaretto en 2014, 8 ans déjà : que Jack prenne enfin quelques risques, qu’il sorte de sa zone de confort. Vœu pris sans doute pris un peu trop à cœur sur Boarding House Reach, certes, mais 2022 signe peut-être le temps d’une vraie réalisation pour l’homme qui incarne encore pour beaucoup l’alpha et l’oméga du rock n’ roll.
Le premier contact avec Fear Of The Dawn se montre méfiant, tant chat échaudé craint l’eau froide. Pourtant, "Taking Me Back" est une totale réussite tout autant qu’un réel soulagement. Balancé longtemps en amont pour intégrer le dernier opus de la franchise Call of Duty, le titre témoigne d’une part de réelles qualités d’écriture, mais surtout d’une mise en boîte sonore épatante. La guitare bourdonne avec acidité, la batterie délivre des sons métalliques classieux – on est loin des essais merdiques de Lars Ulrich sur St Anger – et on retrouve un Jack White enflammé au micro, au bord de l’hystérie mais conservant toujours sa maîtrise. Sans doute les expérimentations foireuses du disque précédent étaient-elles nécessaires pour parvenir à en extraire quelques vraies idées formelles savamment exploitées ici, et si l’on a parfois l’impression de surfer avec l’électronique, nul doute que White a encore une fois tout réalisé à l’ancienne dans son Third Man Studio de Nashville, tout en pédales et modulations d’amplis. En résulte un son réellement novateur, puissant sans être lourd, ronronnant sans être agressif, épuré sans être terne, ponctué de larsens et bruitages aigus qui se réverbèrent à qui mieux-mieux et de soli brefs qui épatent toujours par leur acuité ("Fear Of The Dawn", aussi frontal qu’intellectuel). Il y a aussi un petit côté Rage Against The Machine avec cet organe hurleur qui scande plus qu’il ne chante et cet enrobage aussi compact qu’innovant ("What’s The Trick"), et pas seulement parce qu’un chanteur de hip hop vient l’épauler sur l’étrange "Hi-De-Ho", sorte de croisement improbable entre appel à la prière du muezzin et goguette acide bluesy dans une banlieue yankee hispanophone, avec en toile de fond une guitare qui menace toujours de nous éclater en pleine figure. Victoire : cette fois-ci l’expérimentation paie car elle reste contenue et lisible, pour notre plus grand plaisir.
Si la production fourmille de merveilles et flatte immodérément les tympans, il y a aussi de vraies chansons dans Fear Of The Dawn, qu’elles prennent de rares sentiers de traverse progressifs ("Eosophobia" pour le coup scindé en deux parties, ce qui le rend plus digeste, avec son leitmotiv qui sert de fil rouge au disque) ou qu’elles se livrent à nous – et c’est la règle – dans le plus simple appareil ("Shedding My Velvet", blues de piano bar hallucinant de classe) en passant par des atours sémillants et sautillants ("Into The Twilight" aux voies bidouillées aussi improbables qu’enthousiasmantes). On retient ici une matière féconde qui demeure facilement en tête, bien qu’il faudra nombre d’écoutes pour faire sienne toute cette masse musicale. Mais on retient surtout une mise en forme qui sort véritablement des sentiers battus, résolument rock n’roll mais riche d’un kaléidoscope d’influences (joueuses sur "That Was Then, This Is Now", revêches et à fleur de peau sur "The White Raven", zeppeliniennes mode 2020 sur "Morning, Noon and Night"). Compact – 12 minutes pour 40 minutes –, puissant, futé et accrocheur, le premier cru 2022 de Jack White vise juste en toutes circonstances, et si la fraicheur d’antan ne reviendra sans doute plus jamais, on ne peut que saluer cette tournure résolument adulte et moderne, dans le bon sens du terme. Oui oui, premier cru car on attend pour juillet un Entering Heaven Alive qui versera dans la folk pure et dure. So, welcome back Jack, et ne vous y trompez pas : si Boarding House Reach vous avait perdu, Fear Of The Dawn aura tôt fait de vous ramener au bercail, et vous verrez que vous ne trouverez rien à y redire.
À écouter : "Taking Me Back", "Fear Of The Dawn", "The White Raven", "Into The Twilight", "Shedding My Velvet"... tout, en fait