Jimi Hendrix
Electric Ladyland
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1- ...And The Gods Made Love / 2- Have You Ever Been (To Electric Ladyland) / 3- Crosstown Traffic / 4- Voodoo Chile / 5- Little Miss Strange / 6- Long Hot Summer Night / 7- Come on, Pt. 1 / 8- Gypsy Eyes / 9- Burning Of The Midnight Lamp / 10- Rainy Day, Dream Away / 11- 1983... (A Merman I Should Turn To Be) / 12- Moon, Turn The Tides...gently gently away / 13- Still Raining, Still Dreaming / 14- House Burning Down / 15- All Along The Watchtower / 16- Voodoo Child (Slight Return)
L'histoire est ainsi faite, mais si nous ne devions retenir qu'un seul album du Jimi Hendrix Experience, il n'y aurait pas à chercher bien loin. Ne serait-ce que par respect pour la mémoire de l'artiste. Ce n'est pas compliqué, Electric Ladyland est LE chef d'œuvre d'Hendrix. Pas simplement parce que cet album reste un des albums majeurs sortis ces quarante dernières années, ni même parce que les retombées en terme d'influence et d'inspiration se font encore ressentir aujourd'hui. Non, en s'attardant un peu sur la courte discographie de l'artiste et sur l'histoire qui l'entoure, on se rend rapidement compte qu'Electric Ladyland est peut être l'album studio représentant le mieux la musique du gaucher de Seattle. Si Are You Experienced est de loin l'album le plus emblématique, alliant l'énergie débordante et l'insouciance d'un artiste au début de sa carrière solo, et si Axis : Bold As Love est certainement le plus lyrique, ce dernier n'est ni plus ni moins que l'aboutissement d'un concept musical. A travers ce disque, l'objectif d'Hendrix était clairement affiché : ériger son propre style musical afin d’être enfin reconnu pour ses talents de composition, et non plus simplement pour ses prestations scéniques.
Pour comprendre la genèse de cet album, il faut regarder un peut en amont dans la vie d’Hendrix. Se rappeler que toute sa vie tournait autour de son instrument, au point qu'il devenait incapable de s'adresser à un public sans sa guitare, et des expérimentations sonores auxquelles il s'adonnait avec son compère Eddy Kramer. Dire que Jimi et sa six-cordes ne faisaient qu'une seule et même personne n'est pas très loin de la réalité, le groupe assurait alors un à deux concerts par jour et finissait souvent ses nuits en jammant dans des clubs. Mais au delà de l'aspect technique et des sensations qu'il pouvait ressentir en live, le goût d'Hendrix pour la production grandissait de jour en jour, au point que son appartement à New York ressemblait de plus en plus à un pseudo studio d'enregistrement. Freiné en partie par Chas Chandler lors de l'élaboration d'Axis : Bold As Love, Jimi souhaitait désormais tout contrôler de sa musique, n'hésitant plus à réenregistrer les parties de basse de Noel Redding quand elles ne lui convenaient pas, ni à multiplier les prises d'un même morceau pendant des jours durant. Au fil de l'avancement, le verdict tomba. Electric Ladyland serait un double-album, fait suffisamment rare étant donné qu'à l'époque seuls les Beatles avaient osé franchir le cap. Et pour mener à bien son projet, il n'hésitera pas à opter pour un studio à la mesure de ses ambitions : le studio Record Plant de New York. Tout juste équipé d'un 16 pistes, l'établissement permettait alors des orchestrations encore inespérées.
Toujours entrecoupés de tournées aux quatre coins du pays organisées dans le but d'éponger les dettes du groupe, l'enregistrement d'Electric Ladyland s'étalera sur des mois et verra l'apparition d'une nouvelle méthode de travail. Si les deux précédents opus étaient marqués par le sceau de la rigueur, les sessions d'enregistrement de celui-ci prenaient plus des allures de grandes fêtes durant lesquelles de nombreuses personnes investissaient les studios, ce qui explique en partie la présence de nombreux musiciens additionnels. De plus, en habitués des clubs voisins, il n'était pas rare que les compères passent leurs soirées à jouer avec tout un tas de musiciens de cette époque, laissant les compositions se créer au fil des jams, avant de finir les nuits devant les tables d'enregistrement. Mais cette nouvelle façon d'aborder la musique n'était pas pour plaire à tous, notamment à Noel Redding qui supportait de moins en moins ces conditions de travail. Résultat des courses, suite à une prise de bec avec Hendrix, le bassiste ratera même l'enregistrement de "Voodoo Chile" en partant des studios un peu trop tôt. La légende veut que le titre, composé sur une scène voisine durant une soirée des plus classiques, soit mis en boîte en seulement trois prises après que Jimi ait invité toutes les personnes présentes dans le club lors de sa fermeture. Au final, ces quinze minutes de blues seront gravées sur les bandes par Jimi Hendrix et Mitch Mitchell, accompagnés pour l'occasion de Jack Casady, à l'époque bassiste du Jefferson Airplane, et de Steve Winwood jouant de l'orgue et alors membre de Traffic. Même si pour l'anecdote, et malgré des conditions d'enregistrements quasi-live, le public que l'on peut entendre en arrière plan durant le morceau ne sera rajouté que plus tard. Et de la même façon, et pour ne citer que les plus célèbres, on retrouve au fil des pistes Buddy Miles, assurant les parties de batteries sur "Rainy Day, Dream Away" et sur "Still Raining, Still Dreaming", Al Kooper jouant du piano sur "Long Hot Summer Night", ainsi que Dave Mason se chargeant de la guitare acoustique sur "All Along The Watchtower" et des chœurs sur "Crosstown Traffic".
Sorti le 17 septembre 1968, l'album atteint directement à la tête des charts aux Etats Unis, en grande partie grâce à la version de "All Along The Watchtower", reprise de Bob Dylan enregistrée quelques temps plus tôt qui réussira à éclipser l’originale. En Angleterre, le disque n'atteint que la cinquième place des ventes, en grande partie à cause d'une pochette extravagante sur laquelle apparaissait des groupies dénudées, ses Electric Ladies comme Hendrix aimait à les appeler, et qui se verra refoulé de certains disquaires qui jugeaient la pochette trop explicite. Mais que se soit l'une ou l'autre des versions, aucune ne correspondait aux instructions laissées par l’artiste qui souhaitait des photos de Linda Eastman en guise de pochette, et notamment celle représentant le groupe assis avec des enfants à Central Park devant une statue d'Alice Au Pays Des Merveilles.
Mais si l'album se révèlera être la plus grande réalisation de l'artiste, la main mise d'Hendrix lors des sessions d'enregistrement sera tellement importante qu'il signera également en grande partie le chant du cygne de l'Experience. Premier à quitter le navire, Chas Chandler, producteur du trio depuis la première heure, jettera l'éponge en mai 68 durant les sessions d'enregistrement de "Gypsy Eyes" en quittant dans la foulée son rôle de co-manager et en cédant ses parts à Michael Jeffery alors beaucoup moins impliqué dans le processus créatif des morceaux. Si ce départ n'affectera pas Jimi Hendrix outre mesure, beaucoup pensent encore qu'il demeure l'élément déclencheur de sa chute vertigineuse dans la drogue et l'alcool. Sans Chandler, l'entourage de la star n'était plus composé que de personnes cédant à tous ses caprices et abusant de sa gentillesse. Jeffery n'était d'ailleurs pas le dernier pour se faire de l'argent sur le dos du guitariste tout en étant considéré comme son "copain d'acide". Pire que tout, les tensions entre Hendrix et ses deux acolytes, et notamment le bassiste Noel Redding, atteignent un tel point que le 29 juin 1969, le trio assurera son dernier concert ensemble durant le Denver Pop Festival, mettant ainsi un terme au Jimi Hendrix Experience. Avant que Jimi revienne sur sa décision durant l'année 1970 et décide de reformer le trio en remplaçant Redding par Billy Cox quelques semaines avant l'issue tragique que tout le monde connaît et avant de terminer la mise en boîte de son nouvel album First Rays Of The New Rising Sun qui sortira malgré tout.