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Critique d'album

Léo Nocentelli


Another Side


(19/10/2021 - Light In The Attic - Blues, Country, Folk, Western - Genre : Autres)
Produit par Leo Nocentelli

1- Thinking Of The Day / 2- Riverfront / 3- I Want to Cry / 4- Pretty Mittie / 5- Give Me Back My Loving / 6- Getting Nowhere / 7- Till I Get There / 8- You've Become a Habit / 9- Tell Me Why / 10- Your Song
Note de 4/5
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Note de 4.0/5 pour cet album
"Le meilleur album de 2021 a 50 ans ! Ou comment le meilleur guitariste funk américain délivre une merveille country-folk-western."
Maxime L, le 22/01/2024
( mots)

Il est des albums marquants, parce qu’ils fixent un genre, novateur ou aux confins de différents styles. Ça n’est pas le cas de ce disque.
Il est des albums presque révolutionnaires, car ils lancent un mouvement, dont s’inspireront plusieurs générations de musiciens. Ça n’est pas, non plus, le cas de ce disque.
Et pourtant, cet album est un trésor, au sens presque littéral, qui tient tout lieu du miracle puisqu’il est resté secret pendant près de 5 décennies, reléguant Chinese Democracy des Guns N Roses au rang de détail anecdotique et futile de l’histoire musicale.


Nous sommes au début des années 70, le “Funk du Bayou” comme il est alors appelé, est en plein essor, et ce grâce aux exploits d’un groupe de la Nouvelle-Orléans, The Meters, qui (re)définit les contours du genre à force de jammer ensemble nuit après nuit dans les nombreux clubs de la ville. Le bassiste George Porter Jr, le claviériste Art Neville, le batteur Zigaboo Modeliste et le guitariste Leo Nocentelli sont d’excellents musiciens, et, encadrés par le mythique producteur Allen Toussaint, vont donner au funk Louisianais ses lettres de noblesse, via un son mêlant grooves mélodiques serrés, rythmiques syncopées, accompagnés de riffs de guitare et de claviers acérés.


Le premier album éponyme est un succès émérite à sa sortie en 1970, illustré par “Cissy Strut”, premier single qui s’écoulera à plus de 200 000 exemplaires. Leo Nocentelli, le principal compositeur, s’il est jeune, a tout d’un musicien expérimenté. Il a déjà travaillé sur plusieurs oeuvres auprès de très grands noms de la musique noire américaine, parmi lesquels, notamment, Otis Redding, Allen Toussaint ou Cosimo Matassa, deux des pontes du rythm’n’blues local. Et si son talent de guitariste funk commence à franchir allègrement les frontières de sa Louisiane natale, il aspire plus ou moins secrètement à autre chose, d’un point de vue musical.
Loin des compositions suaves et clinquantes de son groupe, il s’isole dès qu’il le peut, dans une petite maison qu’il loue à la Nouvelle-Orléans pour composer des bouts de chansons, plus intimes, plus douces, et inspirées notamment par les lignes de guitares classiques d’Andres Segovia, musicien espagnol ayant oeuvré dans les années 50.
Les petits bouts de compositions deviennent progressivement des chansons, qu’il parvient à enregistrer, grâce à l’aide de Cosimo Matassa et ses studios, avec même la participation discrète et toute en retenue de ses comparses des Meters en backing-band de luxe. Allen Toussaint y va même de sa petite contribution, distillant ici et là quelques accords de claviers sur des chansons acoustiques que Nocentelli qualifie lui même de “country-folk-western”.


Seulement voilà. Au moment de mettre les touches finales à ce qui constituerait son premier album solo, les Meters reçoivent une offre de contrat très conséquente de la part du label Warner, qui va obliger Nocentelli à laisser ses chansons de côté, pour se concentrer exclusivement à la carrière naissante et florissante de son groupe. Nous sommes au mitan des années 70, les Meters enchainent les albums de haute volée (Rejuvenation en tête, une référence en terme de funk que vous devez écouter) et les tournées prestigieuses (ils ouvriront pour les Stones aux Etats-Unis en 1975 et 1976). Nocentelli, conscient du potentiel de son groupe, remise ses chansons “country-folk-western” au fond d’un carton, quelque part dans un studio de la Nouvelle-Orléans.


Les semaines passent, sans que Nocentelli ne parvienne à aller au bout de son oeuvre solo, dont ses chansons “ne lui ressemblent de toute façon plus tellement”. Les semaines se transforment en mois, en années, puis en décennies, puisque ces compositions resteront dans l’oubli jusqu’en janvier 2016.
Un matin comme un autre, sur le marché de Roadium en Californie, Mark Nishita (collaborateur des Beastie Boys) met la main sur une boite contenant des dizaines de bandes non-identifiées (ou mal identifiées), récupérées par le vendeur lors d’une vente aux enchères. Au milieu des 673 bobines et des plus de 3000 heures de musique, le graal : des chansons inédites de Léo Nocentelli, enregistrées à l’aide d’Allen Toussaint dans le studio de Cosimo Matassa.
Tout un album acoustique dont personne ou presque ne connait l’existence.
Même le principal intéressé pensait les bandes démo perdues à tout jamais. Et pour cause : elles n’ont jamais bougé du studio Sea-Saint de la Nouvelle Orléans ; studio dont 75% des bandes entreposées furent noyées dans les inondations entrainées par l’ouragan Katrina en 2005. Vous l’aurez compris, l’album “country-folk-western” fait partie des 25% des bandes sauvées miraculeusement au milieu du drame, rachetées ensuite par Nishita, et qui finira, avec l’assentiment de Nocentelli, et grâce à l’interêt du label Light In The Attic par voir le jour le 19 Novembre 2021, soit près de 50 ans après avoir été enregistré.


L’histoire, déjà belle, aurait pu s’arrêter là. Mais c’est sans compter sur la qualité intrinsèque de l’album. La première écoute suffit à comprendre le qualificatif utilisé par Léo Nocentelli : “country-folk-western”. C’est de cela dont il s’agit. Un artwork fidèle aux albums de protest-songs foisonnant dans ces années là, et des chansons simples, aux structures évidentes et dénuées d’arrangements.


La sensation d’écouter un kaléidoscope tout en nuances de gris, qui serait à la fois un morceau d’histoire de cette Louisiane là, et l’aboutissement vain de l’oeuvre d’un musicien, d’un homme, qui utilise son art comme une libération du carcan du succès naissant de son groupe.


Difficile de ne pas être touché par la sincérité et la spontanéité des lignes de guitare folk-blues de “Riverfront” ou de “Getting Nowhere”, ou de ne pas s’imaginer sur le siège arrière d’une vieille décapotable américaine, avalant l’asphalte au rythme des couplets soyeux de “Give Me Back My Loving” (et ses délicieuses touches de claviers par Allen Toussaint himself). L’ensemble est très cinématographique (encore plus dès lors qu’on connait toute cette histoire incroyable), et tout le disque est un régal à écouter en voiture notamment (on ne soulignera jamais assez l’importance d’écouter un album au volant, que ce soit pour en juger l’efficacité ou pour s’évader temporairement). On pourrait craindre une perception complètement datée du son des compositions qui ont un demi-siècle ou de la production générale, mais rien ne sonne jamais véritablement daté. On a plutôt une sensation étrange mais douce, d’écouter quelque chose de totalement anachronique, avec cette pointe de sépia dans la voix de Nocentelli, qui rend sa musique si ce n’est complètement désuète, absolument touchante.


Même la basse pas forcément juste sur “Your Song” (somptueuse reprise d’Elton John) ne parvient pas à dénaturer le charme naturel et instantané de la musique du guitariste américain. Et quand bien même l’origine du texte n’a pas de lien direct avec cette destinée hors du commun, on ne peut réfréner un petit sourire ou un léger pincement au coeur doux à la lecture des premiers vers de la chanson inaugurale, la sublime “Thinking” :


"Thinking of Tomorrow
But Tomorrow Never Comes
I guess I’ll be thinking of Tomorrow
Until my life is done
"


Non, Another Side n’est pas un disque novateur, ni révolutionnaire, ni capital pour l’évolution de la musique américaine ; son histoire romanesque l’en a peut-être empêché. En revanche, il est de ces disques qui rassurent presque sur l’homme, qui illuminent une journée morose, et où l’on sent autant la sincérité de son auteur que la chaleur réconfortante qui se dégage de cette Louisiane des années 70.


À écouter : "Thinking", "Give Me Back My Loving", "Your Song".

Commentaires
MaximeLar, le 26/01/2024 à 20:36
Merci Quentin, cette histoire me fascine en effet !
Quentin, le 26/01/2024 à 01:15
Très belle chronique, très belle histoire et très belle découverte musicale ! Merci Maxime !