Metallica
72 Seasons
Produit par Greg Fidelman, James Hetfield, Lars Ulrich
1- 72 Seasons / 2- Shadows Follow / 3- Screaming Suicide / 4- Sleepwalk My Life Away / 5- You Must Burn! / 6- Lux Æterna / 7- Crown of Barbed Wire / 8- Chasing Light / 9- If Darkness Had a Son / 10- Too Far Gone? / 11- Room of Mirrors / 12- Inamorata
À quoi bon chroniquer ce nouvel album de Metallica ? Après tout, chacun se sera déjà fait sa propre opinion, personnelle, bien sûr - on ne comptera pas le nombre d’auditeurs qui se seront frottés à la bête - ou via les tombereaux de critiques d’ores et déjà publiées depuis des semaines. Critiques pléthoriques, donc, et positives pour la plupart, on pourrait même dire “paresseusement positives” tant il est facile d’aller dans le sens de l’emportement général et des superlatifs. “Le plus grand groupe de metal de tous les temps”, et bla bla bla, et qu’ils ont encore la pêche pour des sexagénaires, et bla bla bla, et qu’Hetfield s’est mis à nu comme jamais sur ce disque, et bla bla bla, et que les soli de Kirk Hammet sont bien plus simples mais bien plus mélodieux, et bla bla bla. Un concert de louanges tout aussi bruyant que fatigant, rebattu à longueur de journées sur les réseaux sociaux et autres médias spécialisés, mais quoi d’étonnant quand on sait à quel monstre artistique et marketing on a affaire ?
À l’inverse, il est tout aussi facile de bêler contre la meute et de rire aigre de cet inutile - ne nous mentons pas - onzième disque studio tout aussi long, interminable diront certains, que ses cinq prédécesseurs immédiats. Soit dit en passant, si on constate en effet que Load, Reload, St Anger, Death Magnetic et Hardwired… To Self Destruct remplissent la galette jusqu’à son comble de 75 bonnes minutes (tout comme 72 Seasons, donc, et en cela il n’y a absolument rien de nouveau sous le soleil), on oublie un tant soit peu que Metallica a aussi commis juste avant deux disques bien pleins avec le Black Album et …And Justice For All qui frôlent les 65 minutes - ce qui est déjà vraiment beaucoup. Finalement, seuls les trois premiers - les moins inattaquables, soit dit encore en passant - se contiennent dans une durée “raisonnable” de 50 minutes environ, et avouez qu’on est bien loin des disques de garage rock d’antan. Metallica est bavard, certes, mais ça ne date pas d’hier. So what? Qui feint encore de s’en étonner ? On ne va pas les changer maintenant. Ce procès en longueur ne rime donc à rien, et qu’on n’aille pas nous dire qu’en 2023 il n’est plus possible d’écouter - et donc de commercialiser - un album de 75 minutes. Ben voyons. Au contraire, même, libre à chacun de se faire sa propre tracklist, de sucrer ce qui ne lui convient pas, voir d’équarrir les longueurs selon son bon vouloir à l’aide d’une saucissonneuse à mp3 - certains s’y sont essayés sur YouTube, c’est amusant mais on est sûr que vous êtes déjà au courant. Bref, 72 Seasons est long, sans doute trop. OK, next.
Le pari d’une critique à chaud - car c’est un pari, n’en doutez pas - est de tenter de prédire si le disque, en vertu de ses qualités ou en dépit de ses défauts, marquera ou non durablement les esprits, qu’on en retiendra quelque chose, qu’il constituera une balise, un repère dans la disco du groupe voire de son genre d’attache. Or ce pari ne peut plus guère s’opérer pour Metallica, un groupe qui a depuis bien longtemps déjà redéfini la face du heavy metal - il en a même ciselé toutes les angulations ou presque durant les années 80. Qu’on se le dise : Kill ‘Em All, Ride The Lightning et plus encore Master Of Puppets constituent des références du genre, indétrônables, insurpassables. Et même si certains vouent à …And Justice une certaine admiration, on sent déjà que quelque chose s’est brisé à partir de ce quatrième essai (décès de Cliff Burton ou non, là n’est pas la question). Et même si le Black Album s’est vendu par camions entiers, on sait qu’à ce stade les Four Horsemen n’avaient (presque) plus rien à dire - d’ailleurs la moitié du disque a minima est déjà à écarter sans trop de scrupules. Ils se seraient arrêtés là qu’on ne leur en aurait guère voulu. Dès lors, tout le reste peut être considéré comme superfétatoire, vain, et par là-même sans réel intérêt. Dès lors, observer le niveau des ventes de 72 Seasons ou son classement dans les charts ne rime à rien, sauf à mesurer une certaine forme de popularité dans l’opinion - et avec Metallica, on dépasse la seule sphère des metaheads. Dès lors, vérifier si certains titres intégreront ou non - et on prend d’emblée le pari de la seconde option - les setlists futures des concerts des Californiens n’a aucun sens. Le passé du groupe est derrière lui, et ce depuis maintenant trente ans. Fin de l’histoire. Circulez, y’a plus rien à voir. La note de ce disque ne formulera donc aucun oracle, si ce n’est celui qu’il ne causera pas le moindre remous dans l’histoire du groupe tout comme dans celle du heavy metal. Tu parles d’une prophétie…
Mais voilà, un disque peut aussi nous prendre par les sentiments. Load et Reload avaient un côté ennuyeux dans leurs redites et leur paresse à une époque où on croyait encore à un sursaut, cristallisant les crispations et le ressentiment. St Anger avait exaspéré tout le monde en jetant de l’huile sur le feu de par ses errances et ses renoncements aux fondamentaux, sans parler de la batterie de casserole de Lars Ulrich, tel un syndicaliste de FO jouant la BO de la fronde anti Macron avant l’heure. À l’inverse, Death Magnetic avait réjoui, comme quand un gamin retombe enfin sur le doudou qu’il a perdu depuis des mois, sauf que la peluche en question est toute dégueulasse, puante, déchirée et élimée, les lauriers tressés à la hâte ayant eu tôt fait de finir au bûcher. Et Hardwired… Eh bien en définitive Hardwired… a tout simplement indifféré tout le monde à une époque où on ressentait le besoin viriliste des quatre millionnaires alors quinquagénaires de se prouver (à eux plutôt qu’aux autres) qu’ils étaient encore des mâles dominants. Tout cela joue sur le ressenti que l’on a en écoutant un disque, indépendamment de la qualité intrinsèque de celui-ci. Or comme plus personne n’attend rien de Metallica en 2023, comment ne pas accueillir favorablement un album qui contient de bonnes choses en son sein ?
Car il y a de bonnes choses sur ce 72 Seasons. De très bonnes, mêmes. Déjà le disque est plus aéré, plus diversifié que son prédécesseur immédiat - qui officiait tel un rouleau compresseur auditif. Le rendu sonore global n’en est que meilleur, même si Metallica n’a pas encore pigé que la loudness war ne rimait plus à rien. Il paraît que la version vinyle de ce 11e cru est plus nuancée côté mixage : vous nous excuserez de ne pas nous en être enquis par nous-mêmes (à quarante-cinq balles la double galette, on préfère temporiser encore un peu). Son moins dense que celui de Hardwired… , nettement moins saturé que celui de Death Magnetic : c’est tout bénef. Bien que dépourvu une nouvelle fois de balade - mais Metallica est coutumier du fait, “Nothing Else Matter” ne constituant qu’une exception dans sa disco -, 72 Seasons ménage son monde. Les tempos sont variés, souvent au sein d’un même morceau, thrash très rapide, thrash modéré, up tempo tonique, mid tempo martial, down tempo solennel, doom, il y en a pour tous les goûts. Avec sa jaquette jaune et noire qui rappelle vaguement une certaine collection de bouquins, on a vraiment l’impression d’avoir affaire à une sorte de “heavy metal pour les nuls”, ce qui en fait, soit dit en passant, un excellent disque pour initier ceux qui ne connaissent rien au genre. L’influence sabbathienne demeure marquée, que ce soit sur les riffs metal gloutons dont la cargaison demeure une fois de plus fort généreuse, ou ceux plus bluesy (et plus rares) qui rappellent la bande à Iommi des débuts. Techniquement, c’est sec et bien en place. Le chant d’Hetfield demeure admirable de hargne toujours sur le fil - d’autant qu’il nous épargne enfin ses fins de phrase appuyées auparavant un peu trop systématiques. Ses paroles seraient aux dires de tous plus personnelles et de fait bien meilleures (sans rire, comme si celles d’avant étaient artificielles, détachées du bonhomme et mauvaises) : on vous laisse juge, et de toute façon ce n’est pas sur ce plan que brille Metallica. Kirk Hammet refusera jusqu’à la mort de se séparer de sa pédale wah-wah, artifice qui lui permet d’exprimer ses sentiments profonds selon lui, et aujourd’hui il refuse d’exécuter systématiquement des exercices solistes ultra-techniques, ultra-véloces et ultra-chiants : eh bien soit, qu’on lui foutte la paix et qu’on apprécie enfin ce talentueux guitariste pour ce qu’il souhaite nous offrir et non pas pour ce qu’on aimerait le voir faire (ou ne pas faire). Lars Ulrich fait le job en imprimant sa patte derrière les fûts, n’en déplaise aux rageux qui l’ont toujours considéré comme un nulos (eh ben, que dire de Meg White, dans ce cas ?). Cerise sur le gâteau, on entend ENFIN la basse de Rob Trujillo dans le mix, quand celle-ci se détache même franchement sur des intros ou intermèdes au moment où les guitares retombent. Voilà autant de motifs de satisfaction à relever, et il y en a d’autres.
Dans les faits, la première partie de ce nouveau double album - oui, autant appeler un chien un chien - se montre très satisfaisante. Bien qu’obèse, “72 Seasons” ouvre la bal avec la manière, intro de basse survoltée, tempo racé, succession de trois riffs très dissemblables (thrash, heavy, boggie), chant joliment chargé d’échos, pont qui redonne du peps, jeu de soli intéressants et variés, tous les ingrédients sont là pour que la sauce prenne. Un peu moins rapide, “Screaming Suicide” sonne dans la même veine, bien cogné, bien rentre-dedans, bien contenu, quand “Lux AEterna” condense savamment la formule thrash metal de Metallica en moins de trois minutes trente, soit le second titre le plus court de l’histoire du groupe depuis leurs débuts (seul “Motorbreath” de Kill ‘Em All fait mieux) et une version héroïque convaincante de leur bréviaire. Auparavant, on se sera réjoui du groove de “Sleepwalk My Life Away” (merci Mr Trujillo) sur un titre qui s’amuse à se référencer au célèbre “Enter Sandman” et qui lui donne une fort belle réplique. Noter que ces quatre morceaux restent dans l’encéphale, grâce soit rendue à des airs fédérateurs et des refrains marquants, quand on peine franchement à se remémorer ne serait-ce qu’un titre apparu dans les 5 derniers albums. Pour autant, “You Must Burn!” récite sa leçon sabbathienne gorgée blues sans trop se forcer - à signaler un pont un peu psychédélique dans le chant qui rend le titre intéressant. Finalement, c’est encore “Shadows Follow” qui imprime le moins, trop monolithique, trop plat dans ses circonvolutions mélodiques, trop facile dans son riff princeps. Rien de rédhibitoire, rien de fameux non plus.
La seconde moitié marque le pas, sans foncièrement ennuyer pour autant. Elle se montre surtout assez hétérogène sur le plan qualitatif, et si on s’émeut d’un “If Darkness Had A Son” qui rappelle là encore un grand titre du Black Album (“Whenever I May Roam” pour ne pas le citer) en le réinterprétant d’une manière décomplexée, on s’ennuie réellement avec un “Chasing Light” franchement bas du front qui ne redresse (un peu) la tête que sur un pont gaillard : c’est sans doute le titre le plus faible de cette livraison. Si on peut s’enthousiasmer pour un “Too Far Gone?” là encore crâneur, presque lyrique dans son refrain émotif, on reste un peu de marbre face aux circonvolutions bourrines d’un “Crown Of Barbed Wire” hérité des Loads, pas dégueu dans sa version simplex mais dont les extensions n’offrent que peu d’intérêt. “Room Of Mirrors”a un petit côté “Damage, Inc” en nettement moins percutant, rapport un refrain qui se casse la gueule, et ne laisse pas non plus une trace impérissable. En fait, Metallica séduit là où l’attend le moins, sur un “Inamorata” dépassant les onze minutes (ce qui en fait le plus long morceau de leur carrière) et qui fait carton plein dans son exposition, son thème déchirant et surtout son interlude psyché totalement inédit chez les Four Horsemen, et ce malgré une pompe inouïe du riff de "Are You Gonna Go My Way" de Lenny Kravitz - bizarrement, ça passe crème. Comme quoi longueur ne rime pas forcément avec médiocrité.
72 Seasons se montre raccord avec ce que l’on est en droit d’attendre d’un disque estampillé Metallica à la sauce 2023 - tout du moins selon votre serviteur : sans génie, sans aucune prise de risque, très long (c’est indéniable), avec du déchet (trop, sans doute), mais aussi sérieux, concerné, avec la volonté de bien faire et proposant encore de très bonnes choses. On en retiendra surtout son aération et sa variété, ainsi que quelques morceaux remarquables, “72 Seasons”, “Lux AEterna”, “Sleepwalk My Life Away”, “Screaming Suicide”, “If Darkness Had A Son”, “Inamorata”. Et oui, si vous additionnez les durées de ces six titres, vous obtiendrez 41 minutes 20 secondes, soit un excellent album de heavy metal, concis et pertinent à défaut de consolider encore la légende des Four Horsemen. Allez, à vos playlists, les jeux sont ouverts. Et longue vie à Metallica, surtout. Enfin, aussi longue que possible…
À écouter : Oh, allez, ne nous dites pas que vous ne l'avez pas déjà fait, si ?