Muse
The 2nd Law
Produit par Muse
1- Supremacy / 2- Madness / 3- Panic Station / 4- Prelude / 5- Survival / 6- Follow Me / 7- Animals / 8- Explorers / 9- Big Freeze / 10- Save Me / 11- Liquid State / 12- The 2nd Law: Unsustainable / 13- The 2nd Law: Isolated System
Les lois de la nature sont ainsi faites que, la plupart du temps, le principe entropique de la critique, par définition rédigée et construite dans une certaine urgence, ne parvient pas à saisir pleinement la portée d’un disque dans son immédiateté. Le rédacteur en arrive ainsi souvent à corriger son jugement a posteriori sur l’album qui lui fait suite en une sorte de vase communiquant oiseux, porté notamment par tout un tas d’à-côtés parasites, attitude d’un groupe sur scène ou en promo, matraquage de singles à la radio, importance en terme d’influence musicale et stylistique, etc. Voir, à ce sujet, les tombereaux d’éloges reçus par le Meds de Placebo et les déferlements de haine qui ont suivi la sortie de Battle For The Sun, pourtant autrement meilleur. Dans le cas de Muse, tout était ainsi réuni pour que l’auteur de ces lignes se permette de descendre en flèche, sans autre forme de procès, ce 2nd Law avant même de l’avoir écouté. De fait, avant d’entrer dans le vif du sujet, un sérieux coup d’oeil dans le rétroviseur s’impose.
Avant d’attaquer le sixième album du trio de Teignmouth (tiens marrant d’ailleurs, même dans leur ville d’origine, on retrouve le patronyme "teigne"), il convient de revenir sur la pantalonnade qu’est le n°5, The Resistance, galette proprement absconse, irrégulière, fade, laide et boursouflée, dont on ne retire clairement que quelques sympathiques bravades post-metal au sein de "Unnatural Selection" (terriblement ennuyeux dans son intégralité), des passages un peu plus costauds de "MK Ultra" et à la rigueur une certaine verve pop habitée par le single "Uprising". Symbole d’un groupe au paroxysme de sa mégalomanie atavique, ce disque empile les pires abjections au sein d’une farce d’opéra lyrique sombrant au choix dans l'appel du pied pas très finaud aux masses ("Undisclosed Desires"), la grandiloquence pompière ("United States Of Eurasia" et la trilogie "Exogenesis") ou dans le ridicule pur et simple ("I Belong To You", son solo de clarinette et les vocalises maniérées de Bellamy). Une horreur innommable qui nous a rendu nettement moins indulgents envers un groupe que nous avions pu, un jour, tant aimer. Un groupe qui a quand même réinventé l’alternatif anglais à la fin des années 90 tout en relançant à son corps défendant un goût certain pour le rock progressif moderne, et ça n’est pas rien.
C’est un fait peu connu du grand public, mais autant la trajectoire de Muse est restée plutôt solitaire au sein des radios mainstreams, autant la reconnaissance de ce rock aux envolées vocales improbables qui ne rechigne jamais à faire appel aux claviers et aux digressions instrumentales a été d’un grand secours pour la scène post-progressive née quelques dix années plus tôt. Même les ténors du milieu, Steven Wilson en tête (pour ne citer que le plus représentatif), saluent en Muse un exemple en termes de valeurs musicales - à défaut d’en partager pleinement la sensibilité outrancière, tandis que d’autres (Dream Theater, The Butterfly Effect, The New Regime voir même plus récemment The Parlor Mob) y sont allés de leur petit emprunt / plagiat (rayer la mention inutile). Il est un fait que Muse, aujourd’hui, compte véritablement dans le paysage musical international, ce qui nous rend d’autant plus odieux les divagations de plus en plus hors de contrôle d’un Matthew Bellamy piégé par sa propre grandiloquence alors qu’il avait fait part d’un désir de retour à une certaine forme de simplicité. Malheureusement, tandis que Matt pouponne Bingham en compagnie de Kate Hudson, The 2nd Law nous est livré et ne va pas arranger nos affaires : on n’attendait certes pas un manifeste d’humilité de la part du trio, mais au moins pensait-on avoir droit à un résultat faisant preuve d’un minimum de discernement. Raté, sur toute la ligne.
On avait moqué le plagiat de Queen sur "United States Of Eurasia", que dire alors de la pompe inouïe d’ "A Kind Of Magic" avec "Madness", Bellamy singeant tout autant la mélodie que le solo de Brian May quasiment à la note prêt sur certains passages ? Plus loin, ça continue avec les motifs rythmés de piano de "Bohemian Rhapsody", le riff de guitare d’ "Innuendo" et les intonations enflammées de Freddie Mercury qui se retrouvent plaqués au sein de l’olympique "Survival", tellement perclus de choeurs d’opérette et d’emphase lyrique que les premiers passages déclenchent immanquablement l’action des muscles zygomatiques. Ces emprunts même pas digérés à la Reine mettent en relief le plus gros défaut de ce disque : son manque de personnalité. Alors que Muse avait jusqu’ici fait preuve d’une riche identité musicale, chant de stentor, basse terriblement dynamique, tourbillons de claviers, vrombissements de moteurs en fusion (on vous renverra à Origin Of Symetry pour l’application pratique), cette patte stylistique, déjà dangereusement carencée sur The Resistance, tend encore à se diluer parmi d’autres influences plaquées au petit bonheur la chance. Passons très vite sur le rigolo (au propre comme au figuré) "Panic Station", sorte de Stevie Wonder m'as-tu-vu qui arrive à peine au niveau de Christophe Willem, ou même sur les essais dubsteps miteux de "Follow Me" (peut-être le pire du pire de ce que Muse a pu commettre jusqu’ici) et de "Unsustainable", parce que c’est terrible, terrible de prendre conscience qu’un groupe peut éprouver de l’ennui vis-à-vis de sa propre musique au point d’aller faire, littéralement, n’importe quoi à côté. Que Muse s’inspire de Queen, passe encore, à condition néanmoins que l’incorporation des références se fasse de façon un peu plus subtile - et il y a encore clairement des progrès à faire. Que Muse fasse du classique, comme sur The Resistance, passe encore, c’est de bonne guerre et ça cadre avec l’univers baroque et excessif de l’équipe. Mais bricoler du dubstep et du funk, ça ne rime à rien hormis à torcher les pièces de puzzle vacantes d'un disque sans âme ni recherche d'un minimum de cohérence. Même U2, dans ses expérimentations les plus hasardeuses des années 90, n’en est pas arrivé à un tel stade.
Allez, on va arrêter de tailler le short déjà bien élimé de Muse pour se risquer à quelques compliments, et c’est bel et bien Chris Wolstenholme qui va en récolter le plus. D’abord parce que, plus que jamais, sa basse est devenue le ciment du son Muse. Ça commence dès le début avec un "Supremacy" emporté par le riff obèse du loulou, les coups de boutoir d’Howard (qui s’est drôlement amélioré depuis ses débuts rachitiques) et la voix de castrat hystérique d’un Bellamy qui se remet à gémir comme au premier jour. C’est le second enseignement de The 2nd Law : adieu le caractère lisse et policé de The Resistance, Muse s’est enfin redécidé à faire (de temps à autre) cracher ses amplis. Voilà un morceau d’intro qui surprend positivement même si on peut regretter les inévitables surcouches de violons pompeuses empilées jusqu’à l’overdose. Le signal positif se retrouve également avec le fameux "Survival" queenesque censé devenir le successeur sportif de "We Are The Champions", et même si, là encore, les glorias enfiévrés de la chorale en arrière fond donnent la nausée, on se surprend à jubiler devant la puissance d’artifice du trio et la vielle vocale suraiguë du frontman. C’est lourd, puissant, martial, enflammé et totalement assumé, et finalement ça passe plutôt bien.
Mais revenons à Chris Wolstenholme, car la grosse nouveauté de The 2nd Law, ce sont "Save Me" et "Liquid State", soit deux morceaux composés et interprétés vocalement par le bassiste. On pouvait sérieusement trembler devant un tel choix qui semblait indiquer que, plus que jamais, Bellamy lâchait les rênes de son groupe et abandonnait quelques carottes à des compères de plus en plus demandeurs d’exposition. Ceux qui, avant Muse, se sont abandonnés à l’expérience de la délégation de songwriting et de chant s’en sont presque toujours mordus les doigts, cf Weezer et la fin catastrophique du Red Album. N’est pas Pink Floyd qui veut, cela va sans dire. Or ici, nouvelle surprise : Wolstenholme est crédible, plus que crédible même. Il offre à son groupe deux titres très différents des habituelles fanfaronnades prétentieuses de son leader. "Save Me", tout d’abord, étonne par sa pudeur et la douceur de ses guitares avant de se trouver propulsé par un refrain éthéré d’un rare magnétisme, tandis que "Liquid State" donne au contraire dans un stoner metal affiné avec soin (le riff évoque beaucoup celui du "You Think I Ain't Worth A Dollar, But I Feel Like A Millionaire" de Josh Homme) offrant un contrepoint idéal au chant osmotique du bassiste. Voilà une révolution inattendue qui va peut-être relancer l’intérêt que l’on pouvait encore avoir pour le trio de Teignmouth. Si vraiment Bellamy n'a plus d'idées, autant qu'il mette un peu plus à contribution ses petits copains, ça vaudra toujours mieux qui du dubstep ou du funk.
Ceci dit, quand Bellamy se décide enfin à mettre un peu ses crises de grandeur et son nombrilisme de côté, il peut encore accoucher de petits joyaux. En témoigne un "Animals" tout bonnement exquis, porté par un timide motif de synthé, relayé par un chanteur qui emporte progressivement son morceau dans une spirale ascendante du plus bel effet et qui se conclut dans l’ire des décibels et des vociférations de foule en colère. Dommage, en revanche, que "Explorers" se soit viandé dans le pot de miel, et que les couplets de "Big Freeze" soient aussi niais et gluants, parce que ces deux morceaux possèdent un certain potentiel, même si le dernier va plutôt lorgner du côté des éclats pop de Black Holes and Revelations. On n’osera enfin pas trop s’étendre sur le fameux "The 2nd Law" en deux parties qui, s’il parvient à être sensiblement moins atroce qu’"Exogenesis", tient plus du remplissage anecdotique que d’autre chose. Bon Dieu de bon Dieu, quand est-ce que ces trois gus vont comprendre que tout ce qui sort de leur encéphale ne mérite pas d’être exposé sans un minimum d’autocritique préalable ?
Voilà, ça n’est pas bien brillant, mais The 2nd Law, malgré son inconstance hallucinante - le meilleur y cotoyant le pire sans aucune gêne, reste toujours au dessus de The Resistance, ne serait-ce que si on tient compte uniquement de la dynamique sonore. Muse poursuit sa lente dérive narcissico-mégalomaniaque mais se débat avec l’énergie des forcenés, tente de retrouver le sel qui a fait sa renommée (avec un peu de réussite), de donner sa chance à une nouvelle plume (une piste intéressante) mais aussi de manger sans discernement à tous les râteliers, quitte à nous faire vomir. Ceux qui auront pu retenir leur petit déjeûner devant ce grand capharnaüm perclus d’effets pyrotechniques assénés avec la délicatesse d’un dictateur psychotique trouveront certainement de quoi se sustenter. Mais on ne va pas se leurrer : le temps passe, les albums défilent, et nombre d'auditeurs ont de plus en plus tendance à changer drastiquement de régime. Autant confirmer à ceux qui ont été écoeurés successivement par Absolution, Black Holes and Revelations et The Resistance qu’ils ne perdent pas au change à ignorer superbement cet album : on ne saurait honnêtement leur en tenir rigueur.