Pink Floyd
Atom Heart Mother
Produit par Pink Floyd, Norman Smith
1- Atom Heart Mother / 2- If / 3- Summer '68 / 4- Fat Old Sun / 5- Alan's Psychedelic Breakfast
"Atom Heart Mother était une bonne idée, mais le résultat est horrible. J'ai ré-écouté cet album récemment : mon Dieu, c'est de la merde ! Probablement notre pire réalisation artistique !" David Gilmour, octobre 2001.
... ce qui n'a pas empêché ledit Gilmour de monter sur scène aux côtés de Ron Geesin au festival classique de Chelsea en juin 2008 pour jouer la pièce maîtresse de l'album incriminé. Comme quoi, il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis. Mais il est vrai qu'Atom Heart Mother reste un album... on va dire "particulier" au sein de la discographie du Floyd, et ce malgré un succès commercial à l'époque considérable (premier n°1 des charts anglais et premier disque d'or pour le groupe). Est-ce pour autant qu'il faut le dénigrer et le traiter par le mépris ? Pas forcément, mais il n'est peut-être pas inutile de défricher le terrain avant de se lancer dans l'exploration de cette bizarrerie.
Replacé dans son contexte, le projet "The Amazing Pudding", nom de code donné à la pièce principale de l'album avant sa mise sur bande, répond à trois impératifs : expérimenter encore et toujours afin de trouver une façon de mettre en valeur au mieux la musique du quatuor, rompre le sacro-saint cercle vicieux du psychédélisme spatio-oriental qui finissait par rendre le groupe prévisible (horreur suprême), mais aussi "coller à l'air du temps" en essayant de croiser les trips de Pink Floyd avec la musique classique, grande utopie des 70's alors en voie d'exploration par ELP et Genesis entre autres cadors du rock dit progressif. Un genre jusqu’ici inhabituel pour une équipe Waters-Gilmour-Mason-Wright par ailleurs peu versée dans les constructions complexes héritées du classique et pas forcément lotie techniquement pour faire face à un tel défi. On ne sera donc pas étonné outre mesure de constater qu'"Atom Heart Mother" a été co-écrit avec le fameux Ron Geesin évoqué en préambule, compositeur contemporain un peu touche à tout qui avait déjà collaboré avec Roger Waters sur la BO du documentaire The Body. C'est à Geesin que l'on doit les grands vecteurs de l’œuvre comme la composition du thème principal et l'idée d'arrangements délaissant les sempiternels violons pour préférer un contraste cuivres - chœurs.
Reste à combler la face B, car on ne va pas se voiler la face : Atom Heart Mother a été enregistré uniquement en raison de sa pièce classique, et tout le reste n'est que remplissage. Chaque songwriter y va donc de sa petite compo personnelle ("If" pour Roger Waters", "Summer '68" pour Rick Wright et "Fat Old Sun" pour David Gilmour), triplette à laquelle on ajoute un morceau expérimental loufoque dans lequel Alan Stiles, roadie du groupe, nous fait vivre l'un de ses petits déjeuners sous la houlette technique de Nick Mason. Et hop, l'affaire est emballée. Et puis tant qu'à surprendre l'opinion, autant le faire à fond ! C'est dans cette optique que Pink Floyd demande à Storm Thorgerson, graphiste en chef de la formation, de concevoir un artwork "simple et terrien", ce qui nous donne au total une pochette sans inscription et parée d'une... vache. Original, c'est certain.
"La mère au cœur atomique" (nom tiré d'un article de journal relatant la mise en place d'un pace maker chez une jeune maman) est une fresque extrêmement atypique pour le Floyd, mais c'est aussi, malheureusement pour elle, une pièce qui a assez mal vieilli. Difficile d'accrocher notamment à ce thème de cuivres pompiers qui fait preuve d'un certain manque de subtilité, difficile, également, de ne pas se perdre dans les méandres d'un morceau à tiroirs qui s'égare parfois dans des dissonances assez glauques. Mais le plus gros soucis de ce morceau est surtout d'ordre conceptuel, car si le projet de Pink Floyd était de faire évoluer sa musique, c'est plus ou moins raté en ce sens que jamais les parties orchestrales ne parviennent à s'emboîter correctement dans les interventions instrumentales du quatuor. Seule exception de taille qui sauve d'ailleurs largement le morceau : la deuxième partie qui voit se superposer un solo de violoncelle avec de magnifiques envolées lyriques de David Gilmour dans ce qui constitue l'une de ses premières grandes épopées à la Fender Stratocaster. On notera aussi de belles utilisation des chœurs dans un registre très néo-baroque (genre Carmina Burana) et une certaine logique dans la progression instrumentale, avec notamment le rappel régulier du thème principal tout au long du morceau. Mais l'ensemble reste inégal et très (trop) atypique, et il n'y a donc rien d'étonnant à ce qu' "Atom Heart Mother" ait été si peu joué en live... et on vous passe les détails logistiques et financiers propres à supporter, en tournée, la présence d'un orchestre classique aux côtés du groupe.
C'est curieusement sur la face B, une face de remplissage, donc, que l'on va découvrir le principal attrait du disque. Pourtant, on pouvait vraiment craindre de se retrouver dans le cas de figure du deuxième disque d'Ummagumma qui, avec ses compositions solo tantôt bancales, tantôt grandiloquentes, n'avait pas laissé une très forte impression (c'est le moins qu'on puisse dire). La surprise est donc de mise ici sur des formats, il est vrai, bien plus courts. C'est d'abord Waters qui s'en tire avec les honneurs sur un morceau folk dans le plus pur style British : "If" laisse libre court à des questionnements existentiels sur fond de petits arpèges acoustiques simples, prémices de sonorités et de thèmes que l'on retrouvera sur Meddle. Vient ensuite Wright et son délectable "Summer '68", jolie construction au piano qui s'envole vite vers des influences jazzy contrebalancées par des cuivres impériaux. Gilmour, quant à lui, verse dans le rock post Sgt Pepper sur un "Fat Old Sun" sensible même si pas extrêmement original, ce qui n'a pas empêché l'intéressé de reprendre ce titre lors de ses récents concerts solo de la décennie 2000 (notamment le sublime Live In Gdansk). Et puis il y a le fameux "Alan's Psychedelic Breakfast", pas forcément inoubliable mais amusant à écouter et surtout remarquablement enregistré pour l'époque. Les bruitages, portes de placards, bols posés sur la table, lait versé sur les céréales, bacon frit à la poêle et autres joyeusetés matinales, sont captés avec une fidélité saisissante, un paramètre qui prend tout son intérêt quand on sait qu'Atom Heart Mother est le premier album au monde à avoir été enregistré en quadriphonie. On ne sera pas non plus étonné de voir que l'ingé son en chef du projet n'est autre qu'un certain Alan Parsons...
Atom Heart Mother n'a pas son pareil dans la discographie du Floyd. Même si ce n'est pas l'album le plus réussi du groupe (ce serait plutôt l'inverse, d'ailleurs), il garde un charme certain en ce sens qu'il nous fait découvrir une face méconnue de la formation, moins futuriste, moins planante, plus en phase avec son époque (fin des sixties, début des seventies). C'est également la seule incursion de Pink Floyd dans le progressif symphonique, voie d'exploration bien vite abandonnée au profit d'un retour vers un mélange de folk hallucinée et de trips visionnaires planants. N'oublions pas qu'il a fallu que les quatre hommes passent par la phase Atom Heart Mother pour se réorienter vers le superbe Meddle, soit l'une des façons les plus magistrales qui soient de tirer les leçons de ses échecs. Et puis franchement, elle n'est pas si mal, cette vache. Non ?