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Critique d'album

Tool


Fear Inoculum


(30/08/2019 - Tool Dissectional, Volcano, RCA - Metal progressif - Genre : Hard / Métal)
Produit par Tool

1- Fear Inoculum / 2- Pneuma / 3- Litanie contre la peur / 4- Invincible / 5- Legion Inoculant / 6- Descending / 7- Culling Voices / 8- Chocolate Chip Trip / 9- 7empest / 10- Mockingbeat
Note de 5/5
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Note de 4.5/5 pour cet album
"Un magnum opus qui valait bien treize ans d'attente"
Nicolas, le 18/09/2019
( mots)

Fear Inoculum, l’album de tous les superlatifs. Treize ans de gestations, quatre-vingts minutes de musique, sept titres dépassant les dix minutes, quatre-vingts euros pour la version physique ultra-top-limited-deluxe-so-gorgeous-my-brother (avec au passage une inflation assez phénoménale par rapport à l’objet américain facturé à “seulement” cinquante dollars), numéro un des charts à sa sortie (so long Taylor Swift)... Fear Inoculum, l’album événement de la rentrée, que dis-je, de 2019, que dis-je, de la décennie, que dis-je, de ce nouveau millénaire (exagération, quand tu nous tiens…). Mais au-delà de toutes ces considérations mercantilo-sociétales qui dépassent allègrement les clivages du metal voire de la pop culture dans son ensemble, Fear Inoculum constitue un vrai monument discographique en plus d’une porte d’entrée quasi idéale vers la sibylline discographie de Tool, un groupe qui n’a pas fini de fasciner la planète.


On les disait terminés, brisés, éreintés par des dissensions internes, accidents de la circulation (faites gaffe en mobylette, les gars) et procédures judiciaires diverses et variées. On guettait avec plus de morgue que d’espoir les rares avancées de ce travail de titan, on riait jaune à chaque saillie désabusée de Maynard James Keenan, probablement tout aussi excédé que les fans face à la lenteur pachydermique de ses collègues instrumentistes. Et puis le déclic a fini par se produire pas plus tard qu’il y a un an, et là on savait que le processus d’écriture irait jusqu’au bout et que le successeur de 10.000 Days verrait bel et bien le jour. Entretemps on a pu se délecter de l’excellent Eat The Elephant qui soldait de façon encore plus exotique le retour du supergroupe de luxe A Perfect Circle autour du même Keenan  - il a décidément de la patience, le bougre -, sachant tout de même que le Cercle Parfait a réussi à surpasser l’Outil d’une année entière : quatorze ans d’attente contre treize ! Et voilà qu’août 2019 a mis un terme à cette longue traversée du désert en introduisant par ailleurs Tool sur les services de streaming : le dinosaure quadricéphale a fini par plier face aux exigences de la consommation musicale moderne, tout en en profitant pour essorer ceux de ses adeptes qui ont bien voulu casser leurs tirelires pour s’offrir une certes chouette mais bien chère version physique. Les affaires sont les affaires, que voulez-vous, d’ailleurs entre nous le carré de Los Angeles n’a sans doute pas tort : quitte à ce que la musique ne vaille plus rien, autant la rendre hors de prix. On vous laisse méditer là-dessus...


L’essentiel n’est pas là, car rares sont ceux à avoir acheté Fear Inoculum, nous sommes bien d’accord, alors point d’hypocrisie. Fear Inoculum est avant tout un album de Tool, et Tool est l’un des rares groupes de rock contemporains à pouvoir se targuer d’un style tout à fait personnel. Tool joue du metal, certes, mais pas que, et pas n’importe comment. Tool aime autant la complexité que la délivrance brute, la cérébralité que la viscéralité, sorte de point de ralliement hautement improbable entre King Crimson et les Melvins (si si, c’est possible). Tool aime autant le son que les ambiances, deux aspects qu’il soigne tout particulièrement - conception, construction, interprétation, production, mixage : rien n’est laissé au hasard. Tool aime surtout perdre ses auditeurs au gré de signatures rythmiques aussi complexes que lancinantes, suscitant la plupart du temps une sorte de transe musicale hypnotique à laquelle on pourra s’abandonner ou qui nous en touchera l’une sans remuer l’autre selon l’idée même que l’on accordera à l’écoute d’un objet musical. Ainsi, l’œuvre de Tool ne laissera personne indifférent : soit on adore, souvent à l’excès, soit on s’en contrefout comme de l’an 40. Indépendamment de ces caractéristiques, il est un fait que Tool peut se reposer sur des musiciens singuliers qui pensent leurs instruments autant qu’ils en jouent. La guitare protéiforme et insaisissable d’Adam Jones, la basse puissante et claquée de Justin Chancellor, la précision et la sagacité des percussions de Danny Carey n’ont d’égales que le chant hanté et concerné de Maynard James Keenan, faisant de chacun des quatre lascars l’un des tout meilleurs techniciens, si ce n’est l’un des tout meilleurs musiciens actuels à son poste. Rien que pour ces raisons purement académiques, Tool mérite ô combien la découverte.


Et à ce petit jeu-là, Fear Inoculum aura tôt fait d’en convertir plus d’un, y compris et surtout les allergiques au metal et à tout ce qui touche au gros son. Même s’il s’agit du plus long album du carré californien, c’est aussi le plus doux (ou disons plutôt le moins brutal) et par là-même le plus accessible. Keenan s’y montre plus calme, plus apaisé, loin du pathos convié par un 10.000 Days lourd de signification pour le chanteur, et de ce fait il ne vocifère pour ainsi dire jamais ici. Son chant demeure clair, pur et habité, quoique sans doute moins émouvant que dans certains de ses autres albums (Eat The Elephant, autrement plus personnel). Par ailleurs, les pièces étirées de l’inoculateur de peur brassent finalement peu de thèmes musicaux, en tout cas moins que d’ordinaire chez Tool. Il s’agit là davantage de variations savamment amenées d’une ou deux idées fortes qui finissent par s’exprimer pleinement dans leurs ultimes retranchements avec une cohérence assez rare du début à la fin. Revers de la médaille, il n’y a pas vraiment de liant entre chaque morceau, mais c’était de toute façon déjà le cas dans les albums précédents. Chaque titre s’apprécie seul et pas forcément enchaîné aux autres, et cela peut autant constituer une force - quand on sait que la plupart dépassent les dix minutes - qu’une faiblesse car il n’y a pas de vraie plus value à se les enquiller en intégralité - et encore moins dans l’ordre. À ce sujet, on pourra d’ores et déjà régler leur compte aux intermèdes ajoutés “en exclu” à la version numérique qui n’apportent pour ainsi dire aucune cohésion à l’ensemble et qui peuvent même se révéler passablement inutiles, voire irritants. La voie vocodérisée de “Litanie contre la peur”, les samples futristo-glauques de “Legion Inoculant” ou les scratchs tropicaux de “Mockingbeat”, tout cela se montre bien dispensable. On gardera par contre une place à part pour “Chocolate Chip Trip” - pour le coup bel et bien présent sur le CD ou le LP - qui, sous ses dehors d’interlude, cache un phénoménal solo de batterie de Danny Carey, véritable démonstration de force et de talent de la part du colosse ricain (le bonhomme approche les 2 m) derrière ses carillons orientaux et autres bidouillages informatiques indus.


Restent sept longs morceaux qui constituent le cœur de Fear Inoculum, et que dire si ce n’est qu’ils se placent sans conteste comme les plus réussis du quatuor metal prog. Oh certes, on entend déjà les aigris pérorer : trop de thèmes déjà entendu, de riffs recyclés, de lignes de basses réchauffées. C’est à la fois vrai et faux, car le style musical même de Tool, drastiquement tonal et obnubilant, se perd automatiquement dans une certaine forme de réitération de ses propres artifices. Donc oui, certains motifs s’articulent sur une seule note tonale usant de syncopes et autres décalages rythmiques, mais peu importe finalement du moment que lesdits motifs servent le titre qu’ils supportent, et c’est globalement toujours le cas. Le seul grief que l’on pourrait soulever ici, c’est le motif psyché de quatre cordes en arpège inversé introduisant “Descending” qui sous-tendait déjà presque à l’identique “10.000 Days, Wings Part 2” sur le disque précédent. C’est vrai qu’on aurait souhaité que Justin Chancellor parvienne à trouver une autre idée dans le cas présent, et soit dit entre nous, en treize ans, on imagine qu’il a quand même eu le temps de chercher... Mais sinon c’est à peu près tout. On oserait même dire qu’Adam Jones commence vraiment à asseoir ses envies d’expérimentation, en témoigne des soli désormais systématiques et insérés à plusieurs endroits sur chaque pièce, mais aussi des effets de guitare de plus en plus variés et peaufinés. Tendez l’oreille, écoutez Fear Inoculum au casque, et vous verrez : chacun de ses sept titre princeps jouit d’un traitement sonore particulièrement soigné, de sorte que l’instrument métallique y sonne toujours différemment d’une section à une autre. C’est très fort.


Numérotons également les abattis d’un titre un cran en dessous des autres - pour l’auteur de ces lignes, s’entend. “Invincible” se pose sans doute comme le moins inattaquable du lot, pour le coup un peu trop simple dans son traitement mélodique (avec notamment un pont sans grand intérêt), même s’il est vrai que le refrain rattrape bien les choses et que les textures réverbérées finissent par éclater dans toute leur beauté à mi-parcours. On a indubitablement affaire à du Tool archétypal, jouant et surjouant de riffs gutturaux lancinants, avec une fin qui, au contraire des autres titres, a vraiment tendance à s’étirer en longueur et une coda qui arrive un peu comme un cheveu sur la soupe. La critique peut paraître sévère, mais au regard de l’acuité du groupe et des innombrables moments autrement plus mémorables de ce disque, on peut s’autoriser à faire la fine bouche.


Parce que pour le reste, bon sang, c’est fabuleux, fabuleux. La force sereine du chant de Keenan qui s’oppose sans cesse à l’hermétisme savamment distillé de Jones, la pertinence et la technicité prodigieuse de la section rythmique, tout concourt à un petit bijou musical, et peu importe s’il faut cataloguer Tool dans le metal prog au risque que nombre d’auditeurs passent à côté de cette œuvre majeure. Car il y a en définitive bien peu de heavy metal dans un titre comme “Descending” qui s’ouvre et se referme sur des vagues déferlant sur le rivage, avec sa lente montée en puissance, ses claviers et textures oniriques, sa batterie aussi légère qu’insaisissable, son crescendo vers un climax rugueux au possible débouchant sur un pont tout en effets de six cordes chiadés, et sa longue conclusion bardée de wah wah orgiaque. Bien peu de heavy metal également sur le magique “Culling Voices”, magnifique mélodie transportée par un motif de gratte aussi gracile qu’obsédant et un Maynard James Keenan en état de grâce, presqu’un cantique païen adressé à des puissances de l’au-delà, avant qu’un thème bluesy vienne en dynamiter la fin en se déployant avec majesté. Bien peu de heavy metal, enfin, dans le liminaire “Fear Inoculum”, sans doute un modèle d’entame de disque, ou l’art de maîtriser le crescendo, la nuance, l’exposition de chacun de ses thèmes, et ce petit carillon numérique distordu, aussi beau que glaçant, qui nous cueille une fois la touche play enclenchée et nous saisit à la gorge pour ne plus nous lâcher. Rarement Tool avait montre d’autant de subtilité, de patience et de pertinence que sur cette pièce qui mélange doctement les guitares lourdes, l’électronique et la world music, tout en notes glissées, phrasé envoûtant, lignes magnétiques et percussions votives. Le travaille sur chacun des instrument, voix y compris, s’avère ici admirable, au bas mot.


Et il nous reste encore à aborder le cas de deux monuments... “Pneuma”, tour à tour clair et vaporeux, aussi langoureux que claqué, une pure leçon de déréalisation rythmique et d’utilisation de la réverbération. On se pincerait presque d’entendre une pièce aussi bonne après le prodigieux “Fera Inoculum”, et on en oublierait presque de remarquer que “Pneuma” se pose comme le morceau le mieux construit, le plus cohérent, le plus évident de l’ensemble, avec un pont aussi passionnant que haletant et un thème de coda introduit très tôt sans même qu’on y prête garde alors que l’alternance couplet-refrain semble se poursuivre de façon inchangée : stupéfiant, vraiment. Et on gardera une oreille avisée pour apprécier le seul titre qui ne cherche pas à prendre l’auditeur en traître : “7empest”, plus de quinze minutes au compteur sans qu’on ne décèle jamais le moindre passage inutile, un morceau qui, passé une jolie intro tintinnabulante, nous broie les esgourdes au gré d’un blues sabbathien copieusement malaxé, avec un Keenan qui menace d’exploser à chaque instant, du Prog avec un grand P, des exploits instrumentaux, des intermèdes racés et un numéro de soliste assez scotchant de la part d’Adam Jones, sans doute le titre de Tool où il exprime le plus son savoir-faire, son individualité et sa finesse.


Alors oubliez tout ce qu’on raconte en bien ou en mal sur ce dernier bébé de Tool, oubliez sa genèse tourmentée, oubliez l’attente éreintante, oubliez les œuvres précédentes des quatre hommes, oubliez que le groupe existe depuis maintenant près de trente ans - on parle là d’une formation presque aussi vieille que Nirvana, les Pixies ou les Guns N' Roses, bon sang -, oubliez tout ça et ruez-vous sur ce colossal Fear Inoculum, sans aucune contestation possible l’édifice le plus magistral de l’Outil. Écoutez-le et réécoutez-le, car oui, un tel mastodonte ne peut s’apprécier sur un unique tour de platine, élaguez les intermèdes de la version numérique - vraiment dispensables - et plongez en apnée dans ce metal psyché mystique qui trouve ici son plein accomplissement : pour peu que vous vous laissiez prendre au jeu, et même si on gage qu’il y aura des allergiques, vous risquez de ne pas en ressortir indemne. S’il est encore un peu tôt pour affirmer avoir ici affaire à un authentique chef d’œuvre, on est prêt à parier que ce disque majeur de Tool, malgré sa supposée difficulté d’accès, demeurera au panthéon de la musique pop contemporaine. C’est dit.

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Commentaires
jojo, le 13/12/2019 à 15:08
Les interludes optionnels permettent à mon sens de faire respirer l'album, même si effectivement ils paraissent dispensables en comparaison des vrais morceaux. Je ne trouve pas qu'ils fassent tache du coup, simplement ils sont à prendre pour ce qu'ils sont : des interludes (à noter que les interludes, Tool en fait depuis longtemps). Bon sinon, l'album est énorme effectivement. Il y a un sentiment de redite, mais les compos sont tellement inattaquables dans l'absolu, qu'on finit par oublier ce "défaut".
Mika, le 06/10/2019 à 16:37
C’est pas grâce à Maynard que tool reste un groupe incontestable !!
Atef, le 04/10/2019 à 08:58
Superbe critique, mais je préfère pour ma part me ranger à l'avis opposé (mais que vous avez tout de même signalé ici avec justesse et je vous en remercie) : Je trouve tout de même le disque un peu pépère et la prise de risque très minimale voir inexistante. Pour une genèse de 13 ans, c'est un comble. ps: maintenant je sais que le vrai side project de MJK c'est bien TOOL.