R.E.M.
Up
Produit par Nigel Godrich
1- Airportman / 2- Lotus / 3- Suspicion / 4- Hope / 5- At My Most Beautiful / 6- The Apologist / 7- Sad Professor / 8- You're In The Air / 9- Walk Unafraid / 10- Why Not Smile / 11- Daysleeper / 12- Diminished / 13- Parakeet / 14- Falls To Climb
Up marque à la fois la fin d'une période pour R.E.M. et le début d'une autre. En tout premier lieu, il est le premier album produit sans leur batteur, Bill Berry, parti un an plus tôt pour un milliard de raisons et certainement un peu effrayé par le succès boule de neige de sa bande de potes. Et cette décision plane tout du long des 14 titres qui composent leur onzième album. Musicalement tout d'abord, car l'ami Berry est parfois remplacé par une simple boîte à rythmes et marque les premiers essais électroniques du groupe. Mais aussi et surtout dans le mood glacial et parfois sans vie de Up, froidement robotique et lâché en roue libre. L'enregistrement fut laborieux, tendu et aurait pu, selon les confessions de Stipe, signer la fin du groupe. C'est en tout point comme une veillée funèbre, on pleure l'absence, on ne s'autorise pas à faire face à l'avenir alors on patauge et on laisse le pilote automatique faire le job.
Up intervient juste après la puissante mosaïque que constitue New Adventures in Hi-Fi, fresque épique dans laquelle les gus ont tiré dans tous les sens afin de tisser leur album le plus dense et le plus costaud. New Adventures était bourré d'expérimentations, de risques et d'emphases, explorait les rythmes et les couleurs comme R.E.M ne l'avait sans doute jamais fait. Up, d'une façon assez abrupte s'avère être tout l'inverse. Il est monochromatique, d'un soft-rock indolent et profondément mélancolique. De cette mélancolie inspirée par OK Computer, jamais forcée, presque jamais voulue, simplement la conséquence d'une captation de la tristesse du moment. En 1998, l'album est d'ailleurs assez mal reçu, il déconcerte les fans et déçoit les critiques, qui passent à côté de la force intime de cet opus. Tous s'attendaient à ce que le groupe continue sa lancée des années 90, entamée par Automatic For The People. Celle d'un rock intello aux épaules larges, capable d'être aussi sensible que bruitiste, aussi indé que mainstream. Up brise donc définitivement l'élan du groupe et amorce une série assez médiocre (Reveal – Around The Sun - surtout le second est raté), très pop et dont le seul intérêt demeure une collection de singles rafraîchissante ("Imitation of Life" et "All The Ways To Reno" d'un côté, "Leaving New-York" de l'autre). Les singles de Up, d'ailleurs, parlons-en. Ils sont au nombre de quatre, et aucun, c'est une surprise, n'aura connu un franc succès, à l'exception modeste de "Daysleeper". "Lotus" est pourtant l'un des rares morceaux charpenté autour d'une colonne vertébrale évidente mais son aura poisseuse et sa sensualité torve auront eu raison de ses chances de popularité. Le piano mélancolique de "At My Most Beautiful" était sans doute mieux armé, mais la ballade n'aura pas touché le public, la faute à un manque de lumière flagrant. Et puis "Suspicion" n'avait pas du tout la gueule d'un single, bien trop éthérée pour séduire les radios.
Car Up, de par sa nature, n'a pas vocation à faire danser les foules. Ni même à les faire pleurer, Up est une simple collection d'instantanés bleu-gris dans laquelle Stipe raconte des histoires globalement tristes. L'incursion progressive de sons électroniques appuie par ailleurs cette sensation de léthargie. Up, beaucoup plus que les autres albums du groupe, est à prendre dans sa globalité. Assez peu de morceaux finalement ne s'en dégagent et tous apportent leur poids à la gravité d'ensemble. De plus, le chant de Stipe est souvent lent et en retrait, ce qui ajoute à l'aspect sombre et robotique de l'album, tout comme les nombreux textes sur l'échec ou l'aliénation. Les différents synthés, mellotron ou harpes électroniques, et même la batterie occasionnelle de Joey Waronker (Atoms For Peace, aujourd'hui) confèrent cette ambiance unique, cohérente et absolue, à la fois de fin de règne et de renaissance. La force de Up tient dans sa capacité à maintenir un malaise palpable durant une heure. Tous les morceaux sont presque interchangeables, d'une qualité (hors du commun et) égale et peu importe les mots, finalement, ils racontent la même chose. Up est un album laborieux, âpre et a parfaitement réussi son défi, celui de mettre en musique les déprimes et les malheurs de l'époque.
La lente divagation de "Suspicion" en est un parfait exemple, sur une couche de synthé Stipe chante du bout des lèvres "please don't talk, don't make me think, order up another drink", juste pour planter le décor. N'y pensons pas, faisons de la musique par réflexe. Plus que jamais, les textes de Stipe (d'ailleurs, pour la première fois imprimés sur livret) tournent autour du rêve, du sommeil et du lâcher prise, voire, par petites touches, de la mort. "Parakeet" glisse quant à lui ceci sur des claviers dignes d'une marche funèbre : "Open the window, to lift into your dreams, baby, baby, you can barely breathe". C'est à la perruche de s'envoler pour quitter l'aliénation de sa cage et de son état, peut-être qu'il en était de même pour Bill Berry, peut-être qu'il en était de même pour le groupe, qui après un album relativement sombre, reviendra à des choses beaucoup plus solaires avec Reveal deux ans plus tard. En attendant, Up est clairement l'album le plus sous-côté de la discographie des boys d'Athens et à sa manière, le plus audacieux. Loin de ses aspects le plus radio-friendly, R.E.M. livre en 1998 son album le plus personnel et le plus douloureux. Une fracture, une vraie, qui n'a sans doute jamais vraiment cicatrisée et qui a lentement conduit le groupe à sa sortie, treize ans plus tard.
Chansons conseillées : Toutes. Mais s'il faut faire un choix : "Daysleeper" et "Parakeet"