Rush
Signals
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1- Subdivisions / 2- The Analog Kid / 3- Chemistry / 4- Digital Man / 5- The Weapon / 6- New World Man / 7- Losing It / 8- Countdown
Dans le milieu des amateurs de rock, il ne manque pas de mots pour brocarder les années 1980, malgré l’essor fabuleux du Metal dont certains semblent oublier que la décennie constitue l’âge d’or. Le destin de nombreuses formations des 1970’s (de la disparition à la compromission), l’invasion des musiques purement commerciales et son corollaire – la domination des maisons de disque, et bien sûr : le synthétiseur. Remplaçant les fameux claviers analogiques, celui-ci offrit la bande sonore parfois risible et insupportable des années 1980. Néanmoins, mettons de côté tout jugement hâtif puisqu’une étude un peu plus minutieuse de la décennie prouve que le problème n’est finalement pas tant l’outil que son usage.
Présent depuis plusieurs albums dans la musique de Rush, groupe canadien majeur naviguant entre rock progressif et hard-rock, le synthétiseur devient l’instrument majeur de la formation à partir de Signals. L’exceptionnel Moving Pictures faisait figure d’album de transition : tout en maintenant sa direction progressive et ambitieuse, il essayait et parvenait à se rendre plus accessible. Bref, un véritable chef-d’œuvre qui s’ajoutait à une discographie jusqu’alors imprenable. Une transition donc, qui amenait le trio vers une adaptation à l’esthétique en vogue, un changement assez radical sans que le groupe ne se compromette artistiquement parlant. C’est sur Signals que cette transformation s’actualise. Mais je sais qu’il sera difficile de convaincre tout le monde tant, justement, les synthétiseurs ont mauvaise presse et tant ils sonnent au mieux désuets. Pour tout vous dire, j’étais moi-même perplexe lors de la première écoute de cet opus.
Il faut donc être méthodique et commencer par désorganiser l’ordre de l’album (une hérésie pour certains tant l’économie interne fait partie intégrante de l’œuvre) quitte à perdre la volonté initiale des artistes au profit d’un argumentaire formulé pour le temps présent. Commencer par l’artillerie lourde, certains diront par l’hameçon, pour s’adapter aux contemporains, pour mieux inciter, faire comprendre la qualité de l’ensemble : c’est une chronique de jésuite.
Ainsi, on ne peut que conseiller de lancer d’abord le mélancolique "Losing It", chef-d’œuvre de l’opus. Un peu de contexte. Le Midwest et l’Ontario relient une grande région agricole et industrielle entre Canada et Etats-Unis, mais ce sont surtout les deux espaces (avec le Québec) qui connurent une réelle scène progressive en Amérique du nord dans les 1970’s. Quoi d’étonnant à ce que Rush emprunte le violon (électrique) à Kansas ? Un choix original et judicieux qui donne une profondeur intense à un titre incroyable : les mélodies sublimes, le jeu fluide de la guitare, les ponts et ruptures rythmiques font le reste, avec une grande souplesse. Un bijou.
Si les synthés sont très présents, le guitariste virtuose Alex Lifeson est bel et bien au cœur de l'album, et on peut poursuivre l’écoute par les titres où il témoigne d’un talent hors-norme. Il délivre un riff sautillant plein de groove sur "The Weapon" et offre un solo hurleur qui se fond dans le pont atmosphérique réalisé par l’emploi intelligent des claviers électroniques. Rappelez-vous : l’usage, pas l’outil ! Dans les arpèges heurtés ou certains riffs ("Countdown"), les déluges de notes ("The Analog Kid", Lifeson y perd toute mesure), on retrouve certains traits classiques du groupe.
Cela permet d’évoquer une véritable réflexion sur la progressivité musicale chez Rush : il n’est pas forcément nécessaire d’être très expérimental ou très long pour apporter au rock une progressivité musicale. On peut atteindre une réelle densité sans négliger l’accessibilité, n'est-ce pas ? Vous êtes alors prêts à chavirer sur les magnifiques soli de synthétiseur de "Subdivisions" ainsi que sur celui de la guitare, et à vous appesantir sur sa rythmique très ambitieuse. L’usage des synthétiseurs est de toute façon minutieusement pensé : la technologie, les fusées, les ordinateurs, le fameux "digital", toutes les thématiques sont tournées vers un nouveau monde qu’incarnent de façon sonore ces claviers.
Après cela, les titres un peu moins réussis comme "Digital Man" aux relents ska ou "New World Man" un peu trop taillé pour les radios, ne vous gêneront pas outre mesure. Et vous comprendrez qu’on peut apprécier cet album au-delà du point de vue purement historique ou nostalgique.
Si la période synthétique de Rush n’est pas une réussite dans son intégralité (les années 1980, tout de même …), ses premiers pas permettent de relativiser tout discours fataliste et de savourer un opus très réussi – son successeur le sera tout autant – avec des synthétiseurs bien employés. Pour la troisième fois, l’usage, pas l’outil !
A écouter : "Losing It", "The Weapon", "Subdivisions"