The Strokes
First Impressions of Earth
Produit par David Kahne, Gordon Raphael
1- You Only Live Once / 2- Juicebox / 3- Heart in a Cage / 4- Razorblade / 5- On the Other Side / 6- Vision of Division / 7- Ask Me Anything / 8- Electricityscape / 9- Killing Lies / 10- Fear of Sleep / 11- 15 Minutes / 12- Ize of the World / 13- Evening Sun / 14- Red Light
Promu sauveur du rock à la sortie de leur premier album, désigné tête à claques numéro 1 pour le second, The Strokes n’est-il, selon l’expression désormais consacrée, qu’un habile revendeur de Converse© ? Les critiques ne s’étaient pas gênées pour tomber à bras raccourcis sur Room On Fire, décrié car ressemblant trop au premier opus. Peu importe alors si l’album regorgeait de tubes neurasthéniques irrésistibles, l’occasion était trop belle pour démonter un groupe encensé hier. Le temps de la réhabilitation viendra. Mais pour l’heure, le combo new-yorkais a accouché d’un troisième disque ambitieux et riche, montrant que derrière une attitude soigneusement étudiée bat un cœur de musicien passionné. Ouf, nous voilà sauvés.
Mis en boîte par David Kahne (producteur de Tony Benett et des Bangles), ce nouvel effort studio opère cette fameuse évolution dont les mauvaises langues croyaient le groupe incapable. Que les fans se rassurent, les qualités essentielles des Strokes sont préservées : la voix boudeuse de Julian Casablancas, le spleen urbain qui se dégage des paroles, la remarquable souplesse des compos… Mais les gars ont consenti à flanquer à la poubelle certains de leurs tics, notamment le micro saturé et le minimalisme sonore qui prévalait dans une production faussement cheap. First Impressions Of Earth est un disque ample, diversifié, profond, n’hésitant pas à prendre son temps. Si les bases sonores ne sont pas bousculées, le combo se permet de jouer avec elles. Changements brusques de ton, interludes ludiques et clins d’œil malins sont au programme.
Le premier élément qui saute aux oreilles reste en premier lieu la voix du chanteur. Tantôt amorphe, tantôt hystérique, elle fouette avec une negligence feinte des chansons totalement schizophrènes. Si Julian chante la mâchoire fermée plus souvent que de raison, il prend un malin plaisir à sortir subitement de ses gonds au détour d’un couplet, hurlant à la mort ("Vision Of Division") ou partant dans d’inaccessibles aigus ("Ize Of The World"). Le son du quintette a lui aussi muté, fini le post-punk et bonjour la new-wave joliment pervertie à coups de solos hard ("Vision Of Division") et d’hymnes pré-éthylliques façon Pogues braqué par Television ("15 Minutes"). Il y a beaucoup de très belles choses dans ce disque : la mélodie désenchantée de "Heart In A Cage", le nihilisme de "On The Other Side" soutenu par des lignes de basses que n’aurait pas renié Blondie, ou encore ce formidable "Red Light" final qui ne donne qu’une envie : se repasser aussitôt le disque. First Impressions Of Earth assoit un peu plus la domination des Strokes sur leurs concurrents. Comme les plus grands, leurs chansons recèlent de petites trouvailles, de gimmicks qui ont l’air simples et évidents en surface mais qui nourrissent incroyablement les titres, leur donnant un irrésistible cachet. Et si la section rythmique s’est pas mal rigidifiée (passage à la new-wave oblige), les guitares de Hammond et de Valensi sont toujours aussi magistrales, avec une musicalité et une touche que bon nombre de maniaques de la mèche souhaiterait posséder. La production, impeccable, nous sert ces gâteries sur un plateau d’argent avec comme arrière-fond ce décor urbain et mélancolique qui suinte par tous les pores de ces titres hantés.
Malgré tout, comme notre monde est injuste, ces évolutions s’accompagnent de quelques douloureuses contreparties. Exit les tubes urgents et ironiques tels que le groupe en débitait à la douzaine auparavant. Si First Impressions… n’est pas avare en mélodies envoûtantes, il faut bien reconnaître que les chansons sont moins immédiatement addictives que par le passé. Un single tel que "Juicebox" soutient mal la comparaison avec des "Last Nite", "Take It Or Leave It" et autres "The End Has No End". Abandonnant la sécheresse de leur concision, les Strokes proposent également un disque un poil trop long, comportant un ou deux titres de seconde zone ("Ask Me Anything", à l’intérêt discutable), perdant en intensité ce qu’il gagne en profondeur. Ces quelques réserves restent minimes, car si la beauté de ce disque se mérite, l’auditeur tient là une sacrée pièce qui place très haut la barre de la qualité rock pour cette année. Tomber sur une tel morceau au lendemain des fêtes, c’est tout simplement un vrai bonheur.