The Strokes
Comedown Machine
Produit par Gus Oberg
1- Tap Out / 2- All the Time / 3- One Way Trigger / 4- Welcome to Japan / 5- 80's Comedown Machine / 6- 50/50 / 7- Slow Animals / 8- Partners in Crime / 9- Chances / 10- Happy Ending / 11- Call It Fate, Call It Karma
Pas envie de chroniquer le dernier Strokes. On a bien failli, pour l’occasion, inventer une nouvelle rubrique : "les albums que nous ne chroniquerons pas", dans laquelle on vous aurait fait la liste des disques dont il n’était pas la peine d’attendre la moindre critique de notre part. L’idée reste dans les cartons, ceci étant, et on vous parie qu’elle resurgira avec la V4. Bref, affirmer que Comedown Machine a été accueilli froidement par la rédaction relève du lieu commun le plus trivial. Personne ne s’est précipité pour s’en occuper, et pire : personne ne lui a porté la moindre once d’intérêt. Et puis, quand même, eut égard au statut culte (ou considéré comme tel) des brooklyniens, on a bien voulu (ou disons plutôt "j’ai bien voulu") me pencher à rebours sur l’affaire. L’été est là, les sorties décentes se font rares, et le moment s’avère on ne peut plus propice pour revenir sur quelques oubliés de standing.
Pas envie de redire ce qui a déjà été dit et redit sur les soit-disant sauveurs du rock. Les Strokes sont morts depuis 2006 ou pas loin, et Angles n’a fait que ressusciter artificiellement une équipe brisée, qui ne s’entend plus et qui n’a plus envie de travailler de concert. Album schizophrène accouché dans la douleur, fruit d’une scission irréconciliable entre un carré d’instrumentistes aux abois et un chanteur capricieux, le quatrième disque studio des petites frappes (c’est à peu près la traduction française de Strokes, à ce qu’il paraît) saisissait principalement par l’image morcelée que la musique posée sur bande reflétait de ses géniteurs. Un an et quelques milliers de dollars empochés plus tard, la situation est encore pire : Comedown Machine ne renvoie plus la moindre émotion humaine. Le conflit s’est éteint, Julian Casablancas a gagné, et les autres ont été condamnés à se plier aux exigences et aux lubies de leur leader. L’album a été confectionné pour Casa et pour lui seul, satisfaisant de façon déraisonnable des envies vocales douteuses ainsi qu’une inextinguible (et incompréhensible) soif de coller aux canons eighties. Symbole de cette galette morte-née, l’absence complète de tournée pour soutenir le disque entérine la déliquescence probablement irrémédiable des new yorkais. Mais autant Angles nous faisait espérer une séparation propre et sans bavure, autant ce petit dernier nous fait miroiter une longue et indolente carrière lancée en pilotage automatique en vue de traire la vache à lait jusqu’à son ultime microlitre. Une perspective qui fait froid dans le dos.
Pas envie de supporter un disque sur lequel on retrouve l’infect "One Way Trigger". On a d’abord cru à un authentique canular, puis à une blague de mauvais goût, on a ensuite espéré une B-Side aventureuse, sorte d’essai osé mais complètement à côté de ses pompes et condamné aux fonds de tiroirs, avant de nous rendre à l’évidence : "One Way Trigger" est une vraie chanson, officielle, avalisée et sélectionnée par les Strokes pour figurer en bonne place sur un album studio. Oh gosh. On ne saurait à l’évidence affirmer en toute bonne foi qu’est-ce qui, des gimmicks de synthétiseur abrutissant au falsetto concupiscent de Casa, apparaît le plus odieux dans ce morceau sur lequel le risible se dispute au pathétique. Ce goût pour les vocaux suraigüs se retrouve malheureusement en abondance sur Comedown Machine, dénaturant des balades à la base pas folichonnes ("80’s Comedown Machine", "Chances", "Call It Fate, Call It Karma", toutes trois complètement à la ramasse) et pervertissant un idéal strokesien qui pourrait sans cela ronronner sans autre prétention ("Slow Animals"). Seul le liminaire "Tap Out" parvient à éviter de sauter à pied joints dans le ridicule malgré les humeurs de môssieur Julian Casablancas. D’ores et déjà, la messe est dite : avec une bonne moitié, au bas mots, de morceaux à écarter sans aucun ménagement, ce cinquième album confirme la déception attendue.
Pas envie de s’y coller, mais faute de mieux, on prend son mal en patience et on découvre que le reste de ce Strokes 2013 tient largement la route. Rien d’exceptionnel, rien de remarquable, et même plus : Comedown Machine ne fait qu’appuyer un trait caractéristique des cinq amerloques, à savoir que même s’ils sont doués, ils n’ont plus le mojo. On sent, encore et toujours, du potentiel, des idées, de l’attitude, que ce soit dans un style strokesien très caractéristique ("All The Time", d’un classicisme à la fois réjouissant et assommant) ou lorsque le funk s’invite à la fête ("Welcome To Japan", le morceau le plus réussi). On rage de voir Casa se complaire dans ses farces grotesques alors qu’il se révèle, plus que jamais, un chanteur extraordinaire, capable de transporter une chanson par la raucité de son organe ("50/50", jouissif), tandis que, par soubresauts, les quatre autres parviennent à se réveiller et à livrer des riffs saisissants, recréant épisodiquement l’alchimie de jadis ("Partners In Crime", "Happy Ending"), même si les batailles rangées entre Hammond Jr. et Valensi se font désormais bien trop rares et que la basse de Fraiture a bien mieux sonné par le passé.
Pas envie de chroniquer le dernier Strokes, et pourtant c’est chose faite. Disque sans âme d’un groupe mort-vivant, atterrant de stupidité par endroits et digne de ses prédécesseurs à d’autres, il contentera correctement son monde à condition de n’en attendre strictement rien, état d’esprit qu’à peu près tout le monde, à la rédaction ou ailleurs, possède de près ou de loin. On guettera vaguement le suivant sans guère plus d’espoir ni d’enthousiasme, et il est fort possible que, cette fois là, on ne le chronique pas du tout. Vous êtes d’ores et déjà prévenus.