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Chronique Livre

Le pays où naquit le blues


Auteur : Alan Lomax
Traduction : Jacques Vassal
Editeur : Les Fondeurs de Briques
Date de sortie : octobre 2012
"Le pays où naquit le blues"
Marc, le 26/12/2012
( mots)
"Alan Lomax est une figure centrale dans la culture du XXe siècle. Presque tout ce qui relève du champ de la culture de la musique populaire lui appartient", dixit Brian Eno. En saluant ainsi ce collecteur de musiques qu'a été Alan Lomax (avec son père John), on mesure toute l'importance des sillons que ce fils de la petite bourgeoisie texane s'est efforcé de graver sur des cylindres en acétate tout au long de sa vie. Son dernier travail pour sauvegarder la mémoire du folklore américain est ce livre édité en 1993 aux USA (Alan Lomax est décédé en 2002). Désormais traduit en Français par Jacques Vassal et édité par Les Fondeurs de Briques, Le pays où naquit le blues nous embarque sur les rives tortueuses du delta du Mississippi et raconte par le détail toutes les tensions sociales et raciales qui on conduit à la naissance de la musique du diable.

En 1942, Alan Lomax part à la recherche de l'essence du blues en étant habilité par la Bibliothèque du Congrès à utiliser un nouveau dispositif d'enregistrement afin de collecter des disques fabriqués sur place avec des chanteurs de blues du Delta. Pour ce faire, il s'arrête dans les rues, les bouges, les plantations de coton, les prisons et les églises pour recueillir les témoignages et graver les chansons de ceux qui vivent le blues. A cette époque, un Blanc ne pouvait serrer la main d'un nègre en public sous peine d'être mis en prison et ne pouvait entrer dans leurs quartiers sans autorisation de la police. Devant l'intérêt qu'il porte à leur musique, à l'abri du regard des blancs, les descendants d'esclaves racontent sans détour leur amère existence dans des bicoques sordides, leur subsistance et leurs errances sur cette terre marécageuse où on les empêche toujours de vivre dignement.

Mais avant de flirter avec la musique du diable c'est bien celle de Dieu qui a bercé les rives du Mississippi. Alors que les hommes tentent de survivre comme ils peuvent en s'épuisant au travail, pour la grande majorité des femmes du Delta, abîmées et solitaires, la religion est un exutoire pour s'éloigner des lisières de leur enfer quotidien. Sous l'influence des prédicateurs baptistes, les spirituals ont laissé place au gospel et Lomax nous rapporte divers témoignages en ce sens avec quelques paroles de prêches et de chansons (traduites également en français). Un complément très instructif, quoique un peu trop surabondant sur la longueur du livre.

Le pays où naquit le blues révèle surtout les efforts héroïques et les épisodes tragiques qui entouraient le monde du "levee" (la construction des digues du Mississippi). Là où les Noirs sont exploités toute la journée avec leurs mulets, jusqu'à épuisement, là où ils peuvent être tués à tout moment s'ils ne sont pas assez endurants. "Si vous tuez un négro, vous en engagez un autre ; si vous tuez un mulet, vous devez en acheter un autre". Pour se donner du coeur à l'ouvrage, les anciennes complaintes de l'Afrique et du vieux monde de l'esclavage sont chantées ensemble et en rythme. Sur le fleuve, dans les champs puis sur le chemin de fer, ces vers déclamés, dépouillés et sans détours, sont bel et bien la source principale de la poésie du blues. Les bluesmen qui jouaient dans les bouges et les pique-niques et qui avaient connu le traumatisme de devenir orphelins et d’avoir le coeur brisé tôt dans leur vie s'en sont inspirés (Robert Johnson est l'exemple le plus illustre). Car tous avaient été plus ou moins abîmés par la pauvreté, par l’absence d'un foyer, par la justice de Jim Crow, par des femmes qui les avaient maltraités. Tous leurs morceaux de blues font écho aux vicissitudes de leur vie : l’orphelin, le sans-domicile, l’injustice ou le conflit sexuel - thème principal du blues avec la désolante inconstance des femmes.

"Il faut un homme qui a eu le blues pour chanter le blues…" Les témoignages recueillis par Alan Lomax confirment cette évidence. Ces bluesmen gagnaient déjà plus que le travailleur moyen quand la nouvelle industrie du disque se tourna vers eux. Et c'est à Chicago (en quatre ans, cinquante mille Noirs y affluèrent au début des années 20 pour tenter de vivre plus fièrement), que le blues obtint une audience nationale, puis mondiale. Muddy Waters fut le premier à en tirer bénéfice, (Lomax lui consacre un portrait, il avait été le premier à l'enregistrer dans le Sud), en électrisant le blues. Et si les directeurs de maisons de disques empochèrent sans vergogne les royalties qui appartenaient aux chanteurs, les maîtres du blues se débrouillèrent pour fixer sur disques les chansons les plus puissantes de cette génération en Amérique.

Les stars du blues devinrent ensuite l’idole des jeunes rockers. Et ce sont les Anglais qui leur rendirent grâce en soulignant tout ce qu'ils avaient apporté à la musique rock. Pour preuves, dès leur arrivée à New-York les Beatles voulurent rencontrer Muddy Waters et Bo Diddley ; Mick Jagger choisit le nom des Rolling Stones d’après un vers d’un des blues de Muddy Waters. C'est toute cette incroyable odyssée du blues qui a pris corps dans le Delta qui est racontée par Alan Lomax dans ce livre qui a gagné en 1993 le National Book Critics Award pour une non fiction. A travers une écriture shakespearienne et le récit extrêmement détaillé (un peu trop parfois) des témoignages recueillis dans cet ouvrage de plus de 600 pages, cette monographie du pays où naquit le blues raconte une Amérique tout aussi désarticulée et terrorisée qu'aujourd'hui, où la rage et l’inquiétude imprègnent toujours les émotions et les actes des démunis. Maintenant que les peuples de partout commencent à goûter aux fruits amers de la période post-industrielle, le blues du Delta a trouvé un public dans le monde entier. Ce livre a donc toutes les raisons de trouver le sien.

Site de l'éditeur

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