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Compte-rendu de concert

Gojira


Date : 11/12/2016
Salle : St Jakobshalle (Bale - SUISSE)
Première partie : Alter Bridge

Le temps du pardon

Etienne, le 20/12/2016
( mots)

Ou comment le concert adoube la suprématie d'un groupe sur la concurrence.

Le talent, Gojira et Alter Bridge n'en manquent pas. Ils capitalisent à eux deux une réussite insolente et un courage artistique remarquable, se refusant à s'installer dans une carrière mécanique enchaînant les cycles habituels album/tournée/vacances à raison d'un effort tous les deux ans. Rien de tout ça pour Gojira qui aura pris la mesure de quatre années mouvementées, tourmentées, endeuillées pour accoucher d'un Magma terminal, poétique quoiqu'inégale expédition volcanique réussissant à se poser en digne successeur du colossal L'Enfant Sauvageet à mettre fin - dans une certaine mesure mais quand même - au délit de faciès déplorable infligé par le grand public au metal extrême. Rien de tout ça non plus pour Alter Bridge qui enclenche une dynamique nouvelle avec The Last Hero, album révolté très en voix, s'embarquant là où les américains n'avaient pas encore mis les pieds: la chanson engagée. Pourtant, si Magma manque de tenue dans la longueur et si The Last Hero est dominé par les aspirations mélancolico-gueulardes d'un Myles Kennedy omniprésent, Gojira et Alter Bridge ont marqué 2016. Mieux que ça: ils l'ont conclu avec puissance et maestria à Bâle, en dépit d'un public, certes enthousiaste, particulièrement clairsemé.

Gojira, les chevaliers noirs

Le sentiment d'un spectateur avisé au sein d'une foule dispersée est toujours ambivalent, partagé entre la joie de pouvoir profiter confortablement d'un spectacle proche de la scène sans gêne particulière, et le malaise de l'appartenance non-voulue à un public qui n'a pas répondu présent. Conséquence de cet éparpillement humain malheureux, la scène est avancée jusqu'au niveau du rond central et de grands rideaux noirs voilent tous les gradins supérieurs comme pour masquer pour l'ampleur des dégâts, alors que le rouge écarlate criard des fauteuils vides rappellent à chaque instant le rendez-vous manqué auquel on assiste péniblement au sein cette St Jakobshalle plus habituée à observer l'athlète helvète local - un certain Roger - taper la balle jaune avec élégance que de voir débouler de drôles de types tout en noir vociférant avec plus ou moins d'inspiration une poésie moderne clairement indigne d'un Nobel. A l'écoute de Like A Storm, on ne peut que corroborer cet édifiant précepte.

Le groupe néo-zélandais avait déjà ouvert pour Tremonti, le groupe solo du guitariste d'Alter Bridge - tiens tiens comme on se retrouve - lors de sa tournée estivale 2015. De l'eau a coulé sous les ponts diront les moins médisants d'entre nous. C'est vrai. Mais une armée de castors s'est également affranchi d'un barrage pharaonique, empêchant la rivière de rejoindre ses affluents, laissant Like A Storm patauger dans son boueux metal alternatif au groove aussi percutant qu'un caillou tombant dans la vase. Pierre angulaire du désastre, le chant poussif et faussement écorché du post-adolescent Chris Brooks, qui osera même se lancer dans une reprise affligeante du "T.N.T." d'AC/DC. Il paraît qu'immergés les poissons n'entendent qu'1% du son émis hors de l'eau. Pendant trente minutes en ce dimanche soir bâlois, il aurait été judicieux d'être une truite.

Un jugement un peu rude certes, qui ne rend pas justice à la position particulièrement délicate occupée par Like A Storm ce dimanche soir: ouvrir pour Alter Bridge ET Gojira. Fans de longue date du quatuor tricolore, Myles Kennedy et Mark Tremonti offrent au groupe près d'une heure de show sur une scène large, volumineuse, puissamment lumineuse. Pas impressionnés pour un franc (suisse), Joe Duplantier et sa troupe déboulent sous les yeux d'un public hésitant, chamboulé par une affiche assez éloignée du style de musique plutôt grand public prôné par Alter Bridge. Rangez la dentelle, sortez les rangers, les gars avoinent d'emblée sur l'écolo-psychotique "Toxic Garbage Island" et les coups de pilon d'un "Enfant Sauvage" toujours aussi dantesque, d'où le choc particulièrement brutal en comparaison de la daube monumentale Like A Storm et le metal FM lyrico-mélodique d'Alter Bridge. Digne représentant du classique From Mars To Sirius, "Backbone" tabasse l'assemblée avec ses triolets infernaux et ses rythmes martiaux délivrés sans retenue, toujours avec la maîtrise sidérante propre au quatuor qui séduit même les plus récalcitrants au death extrême craché pleine face. Surtout quand celui-ci revêt l'habit de gala de la nouveauté.

Les quatre titres extraits de Magma semblent éclore sur scène, cassant la coquille du studio calfeutrant les monstres sonores que sont "Silvera" on encore "Stranded". Libérée de toute enclave, la bête rugit et enclenche sa marche en avant méthodique, écrasant tout ce qui pourrait s'apparenter à une quelconque réticence face à tant d'efficacité mélodique. Bien loin des allants progressifs qui ont fait sa réputation, Gojira bastonne quelques riffs basiques, plaque des power chords hargneux et se veut définitivement frontal, direct, viscéral. "The Cell" met à l'honneur "le meilleur batteur metal du monde", se fendant d'une combinaison rythmique virtuose épatante - trois rythmes différents, un à la caisse claire, un au charleston et un au pied - avant d'entonner un "Shooting Star" atmosphérique, véritable éboulement de décibels magnétiques impromptu - absent de la setlist en tout cas - qui force un constat inéluctable: Magma est peut-être l'album de Gojira auquel l'exercice live sied le mieux, redéfinissant les contours esquissés et repoussant les limites entraperçues de chaque morceau. Une réconciliation et une révélation habilement construites par l'un des meilleurs groupes de scène de monde, point barre.

Car en terres suisses, Gojira joue sur la rivalité frontalière locale en interpellant le public: "Alors je fais comment ce soir ? Anglais ? Français ? De toute façon je ne parle pas allemand !" esquisse un Joe espiègle, tout en ironie au moment de s'adresser à des gradins vides et une fosse distraite: "Vous êtes chauds bouillants ce soir, vous savez accueillir les premières parties". Un chambrage fendard, une bonne humeur communicative et un quatuor échangeant des regards complices soutenus avec des premiers rangs appliqués, Gojira bouscule autant l'assemblée par son metal viril que par sa prestance envoûtante et son sens du spectacle pointu. Les jeux de lumières stroboscopiques ajoutent à l'urgence d'un "Vacuity" explosif tandis que d'épais voiles feutrés densifient les couplets vaporeux d'un "Silvera" décidément mémorable. Gojira a pensé à tout et assoit son statut de monstre du metal. Pour le sacre, attendons les Grammys Awards où le groupe est nommé dans deux catégories "Meilleur Album Rock" pour Magma et "Meilleur Performance Metal" pour "Silvera". Mais gageons que même si l'académie ne daigne pas récompenser les français - n'étant pas en concurrence directe avec Beyoncé, c'est jouable - ils comptent parmi les grands noms de la musique moderne, ceux capables de transcender un bon disque en concert homérique. Parce qu'ils sont les héros qu'il faut à la scène française, mais pas ceux qu'elle mérite, ils sont nos chevaliers noirs.

Setlist: 1. Toxic Garbage Island / 2. L'enfant sauvage / 3. Silvera / 4. Stranded / 5. The Cell / 6. Backbone Rappel: 7. The Shooting Star / 8. Vacuity

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Alter Bridge, les derniers héros

La performance de Gojira ne facilite pas la tâche d'Alter Bridge qui se doit d'affirmer son statut de tête d'affiche du soir. Cinq ans. Voilà cinq longues années que l'auteur de ces lignes ne s'était pas confronté à Alter Bridge sur scène. En une semi-décennie, le groupe américain a roulé sa bosse et a vu défiler mille et une bornes jaunâtres le long d'une route sinueuse empruntée à pleine vitesse: entre la collaboration fructueuse de son chanteur avec Slash, la sortie d'un album monumental - Fortress, chef d'oeuvre du genre clairement - le lancement de Mark Tremonti en solo et un tout récent changement de label - du néerlandais Roadrunner à l'autrichien Napalm, Alter Bridge n'a plus grand chose à voir avec l'outsider envieux post-ABIIIDorénavant dans le business, les boss: ce sont eux.

Si d'aventure l'entreprise Alter Bridge a toujours été l'affaire d'un Mark Tremonti directif, la popularité croissante voire exponentielle de Myles Kennedy - merci Slash - l'a obligé à revoir sa copie et à laisser son comparse s'impliquer davantage dans la composition. D'équilibré sur ABIII et Fortress, le rapport de force - amical, il n'existe aucune compétition entre ces deux là - a tourné en faveur de Kennedy sur la dernière galette d'Alter Bridge, faisant la part belle à des refrains emphatiques - trop -, des longs passages chantés - encore trop - et des belles démonstrations techniques - toujours trop - du bonhomme. Ayant assouvi ses pulsions métalliques supersoniques et son attrait historique pour le chant avec ses deux derniers excellents albums solo - Cauterize et Dust - Mark Tremonti semble avoir baissé pavillon face à l'excès de confiance de son collègue vocaliste galvanisé par le succès de son affaire avec le père Hudson, au point de lui laisser les rênes d'un projet à la fraternité sacrifiée. Mais c'est mal connaître les rockers d'Orlando car d'une, Myles Kennedy n'est pas ce genre de types; de deux, Mark Tremonti non plus; et in fine, Alter Bridge prouve sur scène qu'il est un groupe brillant, imposant, aimant.

Débarquant en dernier sur la scène suisse alors qu'Alter Bridge résonne enfin, Kennedy se place tout à gauche d'une scène aérée et envoie "The Writing On The Wall" avec une aisance consternante bien qu'il s'agisse là de la dernière date - la troisième consécutive - d'un "Last Hero Tour" long de six semaines à sillonner l'Europe en long en large et en travers. Précis, assuré, ensorcelant, le chanteur se pose en adroite opposition aux lignes de guitare racées et à la masse rythmique étouffante de son groupe, contraste auditif jouissif sur les morceaux de bravoure que sont "Island Of Fools", "White Knuckles" ou encore "Metalingus". Héros discret d'un quatuor chevaleresque, Kennedy se meut en parfait conteur d’histoires au moment d’entonner l’épique « Cry Of Achilles » et le désormais classique « Blackbird », profitant à chaque fois de la lente mécanique évolutive du morceau pour dévoiler une palette vocale ample, grave et sensible, du délicat couplet susurré à l'audacieux refrain téméraire. Se débarrassant du poids incommodant des fausses politesses entre l'artiste adulé et son public aliéné, Myles Kennedy se montre proche, attendri alors que les acclamations nourries coupent "Watch Over You" avant sa fin, rieur quand la fosse entonne avec une justesse aux antipodes de la précision suisse le pont d'"Open Your Eyes". Plus qu'un vocaliste irréprochable ou qu'un chanteur inimitable, Myles Kennedy est devenu un réel showman, un interprète sincère qu'on aime regarder avec des yeux éclairés d'humilité autant qu'écouter avec des oreilles studieuses et enchantées. En un mot: Kennedy, président.

Et si le chanteur a pu développer et affiner ses talents d'orateur, c'est parce que, derrière lui, la mécanique carbure sous les ordres d'un trio musical de plus de vingt ans d'âge mené des mains fermes et des épaules charpentées de son guitariste, Mark Tremonti. Armé d'un nouveau modèle PRS Signature ébène cornu, l'américain développe un son cyclopéen, tranchant, abondant, un atout de taille qui ajoute à la rage d'un "Island Of Fools" et d'un "Crowns On A Wire" une percussion explosive. Ses riffs sont ciselés dans le roc, écrasants de lourdeur comme pour mieux envelopper son groupe d'un écrin de décibels charnus alors qu'Alter Bridge propose des titres parmi les plus sauvages de sa discographie ("Ties That Bind", "Addicted To Pain" ou encore "Isolation"). Interpellant la fosse sans cesse, arpentant la scène pour mieux cerner son public, Tremonti vit pleinement l'instant - salle remplie ou pas - et l'expose à chaque seconde. Toujours d'un professionnalisme hors-pair, son jeu de guitare affole de technicité, de toucher, de passion, sans jamais une seule note à côté alors que les montées supersoniques et les descentes tourbillonnantes sont légions ("Blackbird", "Show Me A Leader"). Encore une fois, le maître donne la leçon avec élégance. Et pour une fois dans cette St Jakobshalle bâloise, il ne s'agit pas de tennis.

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Mais cette leçon n'est pas qu'un simple récital orchestré par quelques musiciens talentueux ayant miraculeusement atterri dans le même groupe. Alter Bridge est uni et délivre un effort de groupe méthodique, discipliné, aux antipodes du quatuor encore approximatif rencontré il y a cinq ans. Une setlist astronomique recoupant les titres les plus durs du combo et quelques moments de grâce héroïques ("Ghost Of Days Gone By", "Open Your Eyes", "Rise Today") dans la plus grande tradition américano-phonique du groupe jalonnent près de deux heures de show monstrueux, homogène, totalement maîtrisé, comme si le sens du spectacle embryonnaire d'Alter Bridge avait opéré une mue drastique depuis le début de la décennie. Ajustant au millimètre des jeux de lumière polychromes dynamiques, Alter Bridge déroule un péplum musical rebondissant où les deux gladiateurs cèdent tour à tour leur place de roi de l'arène le temps d'un "Crows On A Wire" tranchant, dans lequel Kennedy s'affirme excellent guitariste solo. La joute continue sa virile démonstration le temps d'un "Waters Rising" où les lames vocales de Tremonti se fracassent sur les boucliers rythmiques des pères Marshall et Phillips, toujours aussi placides même dans un "Metalingus" tonitruant où les deux gaillards sont particulièrement en vue. Si l'on oublie les quelques animations tout juste dignes d'un lecteur Windows Media sous XP balancés sur les écrans derrière le groupe, Alter Bridge se pose en véritable bête de scène en ce dimanche soir suisse, mitraillant l'audience de titres imparables dont les pierres angulaires de son pourtant médiocre dernier effort font bien parties.

A l'instar du Magma de Gojira, l'exercice live passe la page blanche The Last Hero au révélateur, dévoilant des lignes inéprouvées et un caractère décodé. Les refrains racoleurs de "Show Me A Leader" ou "Writing On The Wall" se veulent finalement entêtants, instinctifs, leur réussite mathématique. L'énorme souffle des riffs de "Island Of Fools" ou "The Other Side" irradie le hall bâlois de cette tonalité sombre, grondante, radicale. Extirpés d'une production surchargée, les morceaux de The Last Hero renaissent dans les mains de leurs géniteurs, retrouvent verve et ardeur, simplicité et impact, engagement et sincérité. Constituant un court rappel de deux titres, "Show Me A Leader" s'associe à "Rise Today" comme un dernier message, celui d'une impossible reddition et d'un espoir infini, acté par les acclamations soutenues de ce public épars, pourtant ébahi par la démonstration du soir. Bien loin de se laisser abattre par le contexte peu enthousiasmant de cette salle à moitié pleine, Alter Bridge a offert à son public un superbe instant de musique, s'installant définitivement sur le trône du metal alternatif américain et redorant le blason bien terne de son Last Hero. Pour nous, il est simplement temps de pardonner. Pour eux, il est désormais temps de prendre quelques vacances avant de repartir sur les routes locales puis d'arpenter le chemin des festivals européens cet été (Hellfest, Download). Ils l'ont bien mérité.

Setlist: 1. The Writing On The Wall / 2. Come To Life / 3. The Other Side / 4. Addicted To Pain / 5. Ghost Of Days Gone By / 6. Cry Of Achilles / 7. Crows On A Wire / 8. Ties That Bind / 9. Waters Rising / 10. Watch Over You (Myles Kennedy Acoustic Solo) / 11. Island Of Fools / 12. Isolation / 13. White Knuckles / 14. Blackbird / 15. Metalingus / 16. Open Your Eyes Rappel: 17. Show Me A Leader / 18. Rise Today.

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