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Roger Waters : Is There Anybody Out There ?


Jules, le 29/11/2023

Comprendre Pink Floyd, c'est comprendre Roger Waters (Summer 68')

Loin de moi l'idée de jouer les biographes du dimanche. Je laisse cette noble tâche aux plus beaux ouvrages qui ont été publiés sur cette question tels ceux de Glen Povey, ou même l'autobiographie de Nick Mason. Toutefois, il est utile, sinon indispensable, de revenir quelques années en arrière pour comprendre davantage ce qu'est devenu Roger Waters,  celui qui a participé à l'émergence de la philosophie floydienne, l'a même sauvé, avant de la détruire. 

Syd Barrett, réparer la blessure originelle


En 1968, à l'heure où Pink Floyd sortait peu à peu de la scène underground londonienne pour se hisser vers les étoiles, Syd Barrett, le leader d'alors, avait été exclu du groupe par ses comparses pour ne plus jamais y revenir. Pink Floyd, sans Barrett, était amputé de son parolier-compositeur, rôle qui était partagé avec le talentueux et discret Richard Wright. La folie emporta Syd Barrett, laissant les membres seuls, livrés à eux-mêmes. Tout le monde sera d'accord pour dire que cet évènement sera la blessure originelle du groupe, qui, en réalité, ne s'en remettra jamais. 


David Gilmour prendra la relève de son ami d'enfance, sans jamais tenter de le copier. Un seul album, The Piper At The Gates Of Dawn, gardera vraiment l'empreinte singulière de Syd Barrett, diamant fou devenu fantôme qui ne cessera plus jamais de hanter le groupe et, plus spécifiquement, Roger Waters lui-même. A partir de cet instant, le Floyd erre, cherche ses marques, mais grandit de plus en plus, au fur et à mesure des années. Sortiront de cette période d'hésitations plusieurs albums qui, bien qu'inégaux les uns des autres, illustreront chacun à leur façon la volonté d'un collectif uni, prêt à avancer dans une même direction. A cette période, chaque membre ne cesse d'apporter sa pierre à l'édifice, de s'efforcer de tourner la page des années Barrett et de chercher à enfin trouver le moment de transition, celui qui propulsera Pink Floyd au panthéon de la musique.


Les choses n'ont pas été faciles à cette époque, loin s'en faut. Ummagumma et Atom Heart Mother en témoignent, malgré leurs grandes différences sur le plan musical.


Le premier, un des albums les plus clivants du groupe, est un concentré d'expérimentations bizaroïdes construites par les membres chacun de leur côté. Le principe était simple : chacun des quatre avait droit à une demi-face pour laisser libre court à ses désires, en totale autonomie, pour la composition comme pour l'écriture des paroles (Waters refusant même à Gilmour de l'aider sur l'écriture du texte de son morceau...). L'heure n'était pas encore au travail en commun, à la démocratie et l'osmose qui fera plus tard de Pink Floyd le groupe soudé qu'il a été. Mais cela ne semble pas avoir été un mal. Bien au contraire à en croire les intéressés. Rick Wright en parlera d'ailleurs en 1970 à Beat Instrumental : "Nous n'avons pas écrit ensemble, nous sommes entrés en studio pour faire notre propre enregistrement, puis nous les avons tous réunis. Chacun était seul à jouer sur son morceau. Je me suis dit que c'était une bonne expérience, et ça m'a aidé."


Cet album, bien que très expérimental et difficile d'accès pour les néophytes, est un moyen parfait pour se rendre compte que les talents respectifs des quatre membres, à travers la place qui leur est réservée sur le vinyle, sont d'ores et déjà posés. Posés mais pas encore réunis. Si Waters décrira plus tard cet album comme un désastre, il n'en demeure pas moins qu'il rencontrera un certain succès commercial et remportera même le prix de l'Académie Charles Cros en France. 


La logique reste peu ou prou la même pour Atom Heart Mother. Sur la face B, chaque membre a droit à son propre titre, confirmant ainsi la même logique et affirmant encore les fulgurances individuelles, mais un cran au dessus. Mais c'est évidemment la pièce éponyme qui restera dans les esprit.


Avec l'aide cruciale du compositeur Ron Geesin, les prémices du travail de groupe, au sens commun, font leur première apparition sur ce titre. "Atom Heart Mother", d'une durée de 23 minutes, démontre pour la première fois que Pink Floyd n'a pas mieux à exprimer que lorsque les quatre compères unissent leurs forces, même si nous ne faisons qu'approcher la perfection, sans encore l'atteindre. Un peu de patience...


Ces deux albums sont extrêmement importants dans l'histoire du groupe et essentiels pour comprendre absolument tout ce qui va suivre. Les morceaux individuels ont mis la lumière sur les talents de chacun. Le goût des balades et le sens des mots pour Waters ("If", "Grantchester Meadows"), la sensibilité et la technicité musicales de Wright ("Summer 68"), l'expression et le son si singuliers des cordes gilmouriennes ("Fat Old Sun") et le jeu rythmique apaisé, toujours assez expérimental, de Mason ("The Grand Vizier's Garden Party"). 


Mais il manquait quelque chose, comme David Gilmour l'avait résumé on ne peut mieux en 1994 à Mojo Magazine : "A l'époque, nous pensions qu'Atom Heart Mother, comme Ummagumma, était une étape vers quelque chose d'autre. Maintenant, je pense que nous avancions à l'aveuglette dans le noir."

La philosophie floydienne


C'est après ces deux albums que la carrière de Pink Floyd prend un tournant essentiel pour la suite. Il s'agît de la période, à mon sens, la plus intéressante de leur carrière et elle couvre les années 1971 à 1973. Le Floyd ne s'arrête pas. Il est partout, en concert, en studio, sur les routes et atterrit même dans l'abbaye de Royaumont en France, le 15 juin 1971, pour un concert mémorable retransmis à l'époque sur Antenne 2.


On sent que quelque chose se passe. Quelque chose de différent. Norman Smith, leur producteur historique de l'époque Barrett a été gentiment remercié, Ron Geesin, l'artisan d'Atom Heart Mother, n'est plus là. Ils ont même décidé provisoirement, en 1970, de ne plus sortir le moindre single et ainsi s'échapper de la norme commerciale de charts pour se concentrer sur des concepts plus complets et complexes. Les quatre sont désormais seuls face à eux-mêmes, et, pour une fois, cela ne leur fait plus peur. 


C'est la naissance de l'album que certains qualifieront, à tort ou à raison, comme "premier album de Pink Floyd", Meddle, en 1971. Nul besoin de chercher des milliers de qualificatifs pour cet opus. Le plus adapté à mon sens serait celui de le qualifier d'album de transition, à n'en pas douter. Mais pas uniquement sur le plan musical. Cet album a été enregistré dans les meilleures conditions, bien qu'il ait mis du temps à se modeler tel qu'il est sorti dans les bacs : près de 9 mois ont été nécessaires pour l'album et presque 6 mois, rien que pour "Echoes".


"Echoes"... Que dire de ce morceau ? Joué pour la première fois le 22 avril 1971 à Norwich, il était initialement appelé "The Return Of The Son Of Nothing". Je le dis comme je le pense : qui n'a pas compris "Echoes" dans toutes ses dimensions n'a pas compris ce qu'était Pink Floyd et, in fine, ce qu'était la philosophie floydienne qui naquit avec ce titre. Pink Floyd s'est révélé tel qu'il est avec ce morceau, sans la moindre hésitation. Les talents individuels évoqués précédemment sur Ummagumma et Atom Heart Mother s'unissent ici pour ne faire qu'un.


Ce morceau est un morceau de synthèse, la synthèse des 4 années qui viennent de s'écouler et, en même temps, l'invitation à passer à un autre stade. Il y a absolument tout, la virtuosité discrète de Wright, la révélation (enfin) de Gilmour comme guitariste et chanteur, la délicatesse assurée de Mason sur les fûts et le talent immense de parolier de Waters. Il y a aussi de la nostalgie dans ce titre, de la grandiloquence, de la tragédie, tout je vous dis ! Les paroles sont plus assurées, la musique l'est tout autant. Aussi, le morceau est crédité des quatre membres, chose importante à noter pour les années qui vont suivre... Enfin sortis du brouillard et du deuil, le vrai Pink Floyd se trouve ici : par une magnifique collaboration, une démocratie interne revendiquée par ses membres et l'union de musiciens talentueux se complétant les uns avec les autres. 


Ceci est d'autant plus palpable lorsque l'on regarde le Live At Pompeii, sorti en 1972. L'interprétation d'"Echoes" est à couper le souffle. La cohésion des quatre membres saute aux yeux : sans même se regarder, tout semble simple et évident, les notes s'égrènent et les voix s'entremêlent. On assiste ici à la quintessence floydienne, un bonheur à l'état pur. Sans penser aux prochains albums, la victoire est déjà là, en soi. Meddle sera un grand succès.


Et pourtant, nous connaissons l'histoire et, il faut bien l'avouer, elle est belle. Après un excellent Obscured By Clouds et née d'une simple discussion dans la cuisine de Nick Mason à Camden Town, Roger Waters voit le concept de The Dark Side Of The Moon lui traverser l'esprit comme une révélation. Et quoi de plus logique ? Quoi de plus logique que de profiter de ce succès qui grandit doucement, de cette alchimie unique pour enfin plancher sur un véritable concept issu du traumatisme originel du groupe depuis l'épisode Barrett ? Ce sera l'aliénation et toutes les choses qui peuvent y conduire. Le script est écrit. La suite, nous la connaissons tous. Entre 45 et 50 millions d'albums vendus à ce jour, près de 19 ans dans les charts américains, troisième album le plus vendu au monde et... la fortune du groupe.


Tellement de choses ont été écrites sur cet album qu'il serait inutile d'en ajouter davantage. Il s'agît ni plus ni moins que le point culminant du Floyd, un sommet si élevé que seuls les Dieux peuvent se revendiquer de l'avoir foulé un jour. The Dark Side Of The Moon peut dignement être considéré comme un album parfait, sur tous les plans. La philosophie du Floyd était palpable, la voilà gravée sur microsillons pour l'éternité. Roger Waters trouvera d'ailleurs les mots résumant à eux seuls cette fameuse philosophie floydienne, si précieuse mais si fragile : 


"DSOTM était l'expression d'une empathie politique, philosophique, humanitaire qui devait se manifester. Si cet album a une signification, c'est une exhortation à suivre le flot du fleuve de l'histoire naturelle d'une façon positive, à adopter ce qui est positif, et à rejeter ce qui est négatif, étant donné que l'on devait être capable d'identifier les choses qui semblent être sources de grand malentendu pour beaucoup de gens." (Roger Waters).


Toutefois, que les choses soient claires une bonne fois pour toutes. Non, The Dark Side Of The Moon n'est pas l'oeuvre de l'unique Roger Waters. Elle ne l'a jamais été et ne le sera jamais, bien que la paternité de tous les textes lui revienne. Le concept initial provient de son esprit mais l'oeuvre finale est la résultante du travail d'un groupe uni, accouchant de son chef d'oeuvre absolu dans une ambiance plus qu'idéale. "Dans le studio, il régnait une atmosphère sereine." dira Mason, "Nous conjuguions nos efforts de façon très cohésive." déclara Waters. Mais cet état de grâce est visiblement court, et la période dorée ne sera finalement pas pérenne...

Comment Roger Waters a sauvé Pink Floyd...


Les quatre compagnons ont transformé leur blessure du départ de Syd Barrett en un objet musical non identifié qui a désormais fait leur fortune. L'objectif est atteint, Pink Floyd est désormais à ranger aux côtés des plus grands noms du rock. Ceci dit, que faire après un tel succès ? Comment gérer ce flot financier ininterrompu après avoir écrit "Money" et dénoncé les méfaits de l'argent ? Comment trouver un digne successeur à The Dark Side Of The Moon, l'album parfait ?


Une chose est sûre, c'est que mentalement (et physiquement), le Floyd est épuisé et se trouve en pleine phase de doutes. Waters ira même jusqu'à aborder la question de la séparation à cet instant : "Nous étions à un tournant, nous aurions pu nous séparer, mais nous ne l'avons pas fait, car nous avions peur du monde extérieur, de l'inconnu. Nous étions bien à l'abri derrière le nom de Pink Floyd." Il n'y aura point de séparation. Reste que l'année 1974 sera celle de la prise de distance avec la machine qu'est devenue le groupe, chaque membre se consacrant à divers projets de façon indépendante. 


Puis, en 1975, le groupe retourne à Abbey Road, le corps dans le studio mais l'esprit ailleurs, sans inspiration, le moral en berne. Le deuxième abandon, définitif cette fois, du projet Household Objects, n'a pas aidé à motiver les troupes (ce vieux projet d'enregistrer un album avec pour seuls "instruments" des ustensiles de cuisine). A cet échec et à la peur de l'avenir s'ajoutera une critique très dure de Nick Kent dans NME qui les voit désormais comme "dénués de toute idée créative" et se demande "s'ils se soucient encore de leur musique". Le verbe est acerbe mais visiblement partagé par Nick Mason : "Il n'y avait plus de dynamique de groupe. L'engagement des premiers jours commençait à se dissiper."


Bon, en résumé, ce n'est vraiment pas la forme. Et c'est Roger Waters qui va insuffler l'énergie nécessaire au collectif pour accoucher du prochain album qui s'intitulera Wish You Were Here. Tout le monde reconnaît aujourd'hui que si Waters n'avait pas été là, le groupe aurait inévitablement splité ou, à tout le moins, aurait sorti un album médiocre précipitant sa chute. Roger Waters prend ici son élan. Il commence à imposer sa vision de façon plus insistante.


Il est donc à nouveau l'initiateur du concept du prochain album. Ce sera l'absence. L'absence ? L'absence de Syd Barrett évidemment. Ce diamant fou qui ne cesse de planer autour de Pink Floyd depuis 1968, qui l'a inspiré pour l'écriture de TDSOTM et qui s'est volatilisé, à l'heure où ses comparses sont au zénith. Ces derniers se sentent en quelque sorte redevables et gêné de ce succès. 


Alors Waters s'attèle à l'écriture de la pièce majeure du disque qu'est "Shine On You Crazy Diamond" entièrement dédiée à son vieil ami Syd Barrett. Waters y met son coeur, ses souvenirs et surtout, son incroyable talent. David Gilmour y ajoutera sa pâte en découvrant les quatre fameuses notes introductives et en déroulant un jeu de guitare stupéfiant. Wright aussi ne sera pas en reste en installant ces nappes de claviers si caractéristiques. "Shine On You Crazy Diamond" devient, aux côtés d'"Echoes", un des meilleurs morceaux de Pink Floyd et qui sera aussi, à mon humble avis, leur dernier "grand" morceau en tant qu'entité. 


Coup du destin, c'est en ces temps troublés et, selon la légende, pendant l'écoute de ce morceau à Abbey Road que le 5 juin 1975, une silhouette bedonnante poussera la porte du studio londonien et rôdera autour des membres en plein travail. Interrogations initialement, qui est-ce ? C'est Syd Barrett. Métamorphosé, chauve, et sourcils rasés, le génie déchu avait entendu dire que ses anciens camarades enregistraient. Cet épisode a été extrêmement marquant pour les quatre, Gilmour et Waters allant jusqu'à pleurer face à cette vision... "Shine On You Crazy Diamond" est décidément un morceau spécial.


D'autant plus que c'est aussi ce morceau qui va créer la rupture entre les membres et plus particulièrement entre Waters et Gilmour. En effet, le premier souhaite un véritable album concept autour de ce morceau scindé en deux parties qui en serait la colonne vertébrale ; il veut mettre l'accent sur le thème. Le second souhaite que le morceau figure sur une seule face et que la face B soit remplie par des compositions rodées par le groupe en live et en studio ("Gotta Be Crazy" et "Raving And Droling", les futures "Dogs" et "Sheep") ; il veut mettre l'accent sur la musique. Waters, ayant convaincu les deux autres, gagnera la bataille, posant ainsi les bases de son coup d'Etat futur. 


Au-delà de cette façon plus directe d'imposer ses idées aux autres, le Waters critique "acerbe de la société" naît également sur cet album et choisit ici pour cible l'industrie musicale avec "Have A Cigar" et "Welcome To The Machine", deux morceaux cyniques sur la pression du fric et des maisons de disques dans le monde du star-system. Ce virage un peu plus assumé dans le verbe n'est pas étranger au fait que les trois autres se désinvestissent progressivement, laissant Roger Waters prendre la plume et écrire pour lui. 


Après Wish You Were Here et l'immense tournée internationale qui s'en suivra, un autre album est en préparation. Mais la donne a changé en Angleterre... surtout en 1977 ! L'année où les Sex Pistols et les Damned font leur loi en érigeant le punk comme nouveau genre musical contestataire. Et les stars de l'ancien rock dans tout ça ? Fuck off ! Les jeunes punks ne veulent plus de ces vieux dinosaures. Intérieurement, Roger Waters est furieux. Lui qui refoule ses idéaux très arrêtés sur le monde depuis longtemps ne veut pas se laisser classer parmi les vieux rockers du prog. Lui aussi est capable de se révolter. 


Il le fera, de la meilleure des manières, avec le dernier album de Pink Floyd (oui, je sais qu'il y en a deux autres après, c'est volontaire). Sur Animals, sorti en 1977, Roger Waters élabore un nouveau concept inspiré de La Ferme des Animaux de Georges Orwell. Un album où il évoquera les chiens, hommes d'affaires prêts à tout pour conquérir le monde, les porcs, politiciens corrompus et les moutons, l'ensemble du peuple soumis à l'autorité des porcs. Le concept est génial, la musique est grandiose. 


Malgré tout, les choses n'ont pas bougé depuis Wish You Were Here. Cela ne va d'ailleurs que de mal en pire. L'ambiance n'est toujours pas au beau fixe entre les membres, d'autant que le groupe se trouve dans une situation financière délicate. Rick Wright sera certainement celui qui fera le plus les frais de ces mésententes. Il déclarera : "Animals est le premier album pour lequel je n'ai rien écrit. Et aussi l'album, selon moi, dans lequel le groupe a perdu son unité. C'est l'époque où Roger à commencer à vouloir tout faire.". Dont acte.


Animals est sans conteste l'album où Roger Waters, toujours animé par de nobles intentions, affirme définitivement son leadership. C'est album est SON concept, les textes sont les siens, et... la musique ? Compliqué d'en parler. Gilmour considèrera que l'impulsion musicale est de son fait tandis que les paroles sont de Waters. Peut-être. Reste que les crédits ne mentionnent Gilmour que sur "Dogs"...


Aaaaaah les crédits sur Animals, vaste histoire. Waters entourloupera légèrement ses concongénères en scindant la pièce "Pigs On The Wing" en deux. Or, les royalties se calculent sur le nombre de titres et non sur la durée (Waters étant par ailleurs seul crédité sur "Sheep" et "Pigs" ). Sauf que "Dogs", de Gilmour, dure... 17 minutes. Résultat ? Gilmour a donc composé 40 % de l'album mais ne sera rétribué que pour un cinquième. Sacré Roger... Money, it's a crime.


Le coup d'Etat est en préparation. Les bases sont en tout cas prêtes. L'égo de Waters gonfle. Mais doit-on le blâmer à cette époque ? A mon avis, non, pas encore. Son attitude lors des sessions de Wish You Were Here et Animals ont littéralement sauvé le groupe et c'est grâce à lui que ces albums, bien qu'enregistrés dans des conditions difficiles, seront de vrais succès critiques et commerciaux. C'est grâce à lui que Pink Floyd, plutôt que de sortir un seul album parfait en 1973, accouchera de la Sainte Trinité gravée à jamais dans l'Histoire : The Dark Side Of The Moon, Wish You Were Here et Animals.

... avant de le détruire


L'album Animals, bien que salué par la critique, aura un succès plus timide que les précédents. Cependant, la tournée mondiale qui fera la promotion de l'album sera immense et épuisante pour le groupe. C'est cette tournée qui va définitivement ancrer les dissensions entre les membres, déjà présentes depuis les sessions de Wish You Were Here. Roger Waters arrive et repart seul aux concerts, les membres ne se parlent plus, bref, la cohésion n'est plus qu'un lointain souvenir. Avec cette tournée de promotion, In The Flesh Tour, Pink Floyd a changé de dimension. Le groupe est devenu une machine à remplir les stades bondés de fans hurlants et demandant les morceaux les plus populaires. Les shows sont dantesques. Pyrotechnie, cochons volants, jeux de lumières, etc... Nous sommes loin des concerts en abbaye, à Pompeii sans public et aux lives underground de l'UFO Club...


Les quatre membres sont dans le même état d'esprit négatif envers leur public, spécifiquement lors de cette tournée : ils ne supportent plus de se trouver devant ces fans hystériques sans comprendre qu'il s'agît évidemment de la rançon de la gloire. David Gilmour jouera même souvent de dos sur scène... Le moment le plus représentatif de cet état d'esprit global, trop souvent imputé au seul Roger Waters, est à n'en pas douter le concert de Montréal du 6 juillet 1977. Nous connaissons l'histoire par coeur. Waters commence à jouer, en acoustique, et les fans des premiers rangs déjà bien alcoolisés hurlent, extrêmement agités. Waters, excédé, crachera sur l'un d'entre eux. Gilmour quittera la scène et Snowy White, deuxième guitariste d'alors, prendra la relève. C'est certes Roger Waters qui euT ce geste malheureux, mais, à lire les divers témoignages à cette époque, tous les quatre auraient pu cracher sur le fan. Sans aucun doute. 


Réalisant sans doute que son geste n'était pas anodin, Roger Waters décide aussi qu'il ne doit pas être sans conséquence. On connaît tous la suite : cet évènement est l'acte fondateur de la prochaine oeuvre discographique de Pink Floyd, The Wall. L'idée est en réalité double. Il s'agît d'une part de bâtir au sens propre une barrière entre l'artiste et son public, devenu néfaste pour lui, et d'autre part, d'illustrer au sens figuré le mur psychologique dont chaque brique représente les traumatismes d'une vie qui l'isolent peu à peu du reste du monde. Roger Waters sait que ce projet sera lourd à mettre en place. D'autant plus qu'il comportera, en plus du double-album envisagé, un show spectaculaire jamais réalisé et un film. Toutefois, Waters sait aussi que face à la tâche ardue qui l'attend, il ne peut plus compter sur ses trois comparses dont le désinvestissement frise l'indécence. Il va donc évincer ces derniers, devenant définitivement le seul maître à bord. Le coup d'Etat est fait.


Il conçoit ainsi son projet avec l'aide de Bob Ezrin, producteur historique d'Alice Cooper notamment. The Wall a été initialement écrit par Roger Waters et Bob Ezrin amendera certains aspects pour le rendre meilleur. La trame de l'album est en grande partie autobiographique, Roger Waters ne s'en cachera jamais. Mais, il est aussi, encore et toujours, une grande référence à Syd Barrett puisqu'il met en scène l'histoire de Pink, star de la musique traumatisée par ses démons de l'enfance, ses passions amoureuses et dont l'aliénation se fait de plus en plus grande. Il se bâtit un mur intérieur au moyen duquel il s'isolera du monde pour se transformer en une idole totalitaire haranguant des fans endoctrinés. Le tout pour se trouver face à ses juges qui le condamnera... à briser le mur. L'espoir demeure donc ? Chacun y trouvera son interprétation. 


Quoi qu'il en soit, Roger Waters croit dur comme fer en son projet et ne laissera personne entraver son concept. "Je sais que Dave et Rick, par exemple, ne pensent pas que le sujet ou le thème du disque et les idées qui y sont développées soient aussi importants qu'ils le sont pour moi. Ils sont plus intéressés par la musique en tant que forme abstraite, que par n'importe quoi d'autre." déclarera-t-il plus tard. Les membres n'enregistreront quasiment jamais ensemble. Waters impose, les autres disposent. Sauf qu'ici, il ne s'agît plus de sauver un groupe pour le meilleur, mais de satisfaire la volonté d'ego-trip d'un seul des membres. C'est ainsi que les vieilles rancoeurs mûries envers un membre en particulier vont se faire de plus en plus grandes et finir par créer l'explosion finale.


Revenons donc sur le cas Richard Wright. Ce dernier est mis à l'écart par Roger Waters depuis plusieurs années, ne considérant plus réellement ses avis ni ses propositions. Au fur et à mesure des albums, son absence se fait assourdissante... Reste que, Richard Wright ne fera rien pour arranger les choses, il serait malhonnête de ne pas le reconnaître. Si bien que durant les sessions de The Wall, le clavériste s'isole de plus en plus du groupe et ne propose absolument rien. Au moment où la maison de disques fait pression sur le groupe à l'été 1979 pour accélérer le bouclage de l'album, les membres sont en vacances. Roger Waters, bourreau de travail, veut tenir les délais et appelle ses comparses à revenir d'urgence. Or, Wright ne veut pas abréger ses vacances et dira à Steve O'Rourke au téléphone : "Dis à Roger d'aller se faire foutre !". Waters, définitivement mué en dirigeant autocrate, proposera alors deux solutions à Wright : "Soit tu es prêt à t'engager dans un long combat. Soit tu finis les sessions de l'album avec nous et tu quittes le groupe." Aucune option favorable, donc. Wright choisira la deuxième. Nous y sommes, Pink Floyd est détruit. Il faut aussi le dire, Mason et Gilmour n'ont pas retenu Wright, loin s'en faut, demeurant totalement passifs dans cette situation. Ils avouent même que si la situation financière de Pink Floyd avait été différente, ils auraient eu le courage de décliner les chansons qui n'étaient pas à leur goût...


The Wall sortira en novembre 1979 avec un succès international impressionnant. Cet opus n'est pas un album de Pink Floyd, c'est une évidence. Tous en sont conscients. Les années suivantes donneront lieu à ce qui a été prévu : une tournée de shows spectaculaires en 1980 et 1981 et un film, Pink Floyd The Wall, réalisé par Alan Parker en 1982 (qui se plaindra sans cesse durant le tournage du comportement égocentrique et intenable de Roger Waters). Pendant ces années-là, tout tournera donc autour du mur, Waters ne cessant d'en revendiquer la paternité et le présenter comme le fruit de sa seule réflexion. Il sait que cet album consacre sa majesté d'auteur et de créateur de concept... mais en tuant Pink Floyd avec le renvoi de Wright ; il va l'enterrer avec le prochain album, The Final Cut. Lot de consolation et non des moindres, Comfortably Numb, dont le solo légendaire sera cité comme le meilleur de tous les temps et deviendra le moment immanquable des futurs concerts de David Gilmour. 


The Final Cut, seul album de Pink Floyd sans Richard Wright sort en 1983. L'enregistrement sera réalisé dans des conditions bien plus qu'exécrables, Gilmour et Waters ne pouvant plus du tout se supporter. Si bien que Gilmour s'effacera définitivement et laissera Waters créer dans son coin la totalité de l'opus durant les sessions, se tachant d'être disponible, au cas où. Ils travaillent séparément, sans prendre le risque de se croiser. Roger Waters montrera son visage de dictateur sans pitié au cours de cette période. C'est là qu'il s'est approprié Pink Floyd pour en faire son propre groupe, au service de ses ambitions. Le résultat ? "A requiem for the post-war dream by Roger Waters, performed by Pink Floyd." La classe.


En sort un bon album... de Roger Waters, pour Eric Flecther Waters (son père, mort au combat durant la Seconde Guerre). Un manifeste sublime contre toutes les formes de guerre à travers le monde. Conscients que leur rêve est mort, les trois membres survivants de Pink Floyd ne feront pas suivre cet album d'une tournée de promotion. Ils auront au moins eu cette clairvoyance. C'est la fin de l'histoire. Gilmour et Waters feront leurs albums solos tous deux en 1984 et ce dernier quittera finalement le groupe, ou ce qu'il en reste, en 1985. Comme il ne s'est jamais remis du départ de Syd, Waters ne se relèvera jamais vraiment de ce split et de tout ce qui l'aura précédé ; cela sera déterminant dans les années à venir.


 


Cette décision aurait-elle du être prise après The Dark Side Of The Moon en 1973 ? Fallait-il préserver cette philosophie floydienne, une des plus belles épopées musicales de l'Histoire après avoir atteint le sommet mais en ne connaissant jamais les trois albums qui ont suivi ? Il semble que, initialement doté des meilleures intentions, Waters ait plutôt choisi d'essorer la machine jusqu'à l'extrême et de s'enferrer dans une dérive totalitaire, égocentrique en laissant derrière lui un cadavre fumant... autour duquel Syd Barrett rode encore, peut-être.

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