A. Savage

Quand on est habitués à suivre des formations hyperactives à l’image des King Gizzard and The Lizard Wizard, il devient coutume de recevoir son lot de nouveautés de façon régulière, et ce, parfois même plusieurs fois par an. En conséquence, les groupes optant pour un rythme de croisière bien plus classique, à raison d’un album tous les 2 à 5 ans, peuvent parfois faire pâle figure, et il est vrai que depuis 2021, Parquet Courts commence à manquer.

Bien heureusement, nous pouvons de plus en plus souvent compter sur les diverses échappées solos de certains membres de nos groupes favoris, emplis d’un excès de créativité et décidés à sceller sur sillons des idées parfois inexploitables lorsqu’ils sont entourés de leurs acolytes. On peut dire qu’Andrew Savage, co-leader du groupe new-yorkais sus-cité a choisi le bon moment pour raviver sa flamme et reproduire l’exercice de 2017 (Thawing Dawn), qui s’intercalait entre Human Performance et Wide Awake, probablement les deux tout meilleurs albums de sa bande originelle. Ce second effort solo, Several Songs About Fire, vient lui se poser deux ans après Sympathy for Life, qui exploitait une vibe bien plus dansante et expérimentale pour des gars nous ayant habitués à envoyer un punk bigarré et énergique. Malgré ce revirement, Savage opte ici pour la singularité d’un nouvel univers sonore plutôt que de se cantonner à la facilité réconfortante des habitudes. Ces 10 nouvelles pièces, viennent donc s'engouffrer dans un folk rock écorché par une voix délicieusement éraillée et poli dans ses entournures par de nombreux arrangements symphoniques.

Bien que le visuel de la vive pochette se prêterait parfaitement à une épopée intégralement solitaire, nous avons à faire ici à bien plus que cela. Notre gratteux se retrouve effectivement la plupart du temps à fredonner derrière son instrument de prédilection, mais son harmonie est soutenue et relevée sans cesse par l’esthétisme d’arrangements chaleureux, judicieusement mis en valeurs par John Parish, en charge de la production. Violon, saxophone, clarinette, basse et piano viennent prêter main forte au farouche frontman, qui, droit dans ses bottes, vient lui-même accorder ce beau monde, posant avec classe son timbre désinvolte si caractéristique. C’est ainsi que cordes et vents viennent s'allier avec malice sur la douce mise en bouche “Hurtin’ Or Healed”, introduisant de la plus belle des manières l’ambiance intimiste et chaleureuse qui prédominera tout du long.

Bien que quelques envolées plus énergiques rappellent inévitablement le son plus abrasif et frontal des Parquet Courts (“Elvis in The Army”, ”David’s Dead”), le tempo prend majoritairement son temps, laissant les compositions infuser autour de refrains attachants (“Thanksgiving Prayer”). Cette impression de proximité, ainsi que la construction en petites ritournelles, favorisent l’assimilation d’un disque globalement aéré, agréablement dénudé de toutes complexités et cette volonté de se cantonner à une musique simple et authentique se retranscris au sein des titres par la répétition de patterns mélodiques. Bien que la formule puisse s’avérer un peu juste lorsque le spectre sonore est limité (“My My Dear”, petit ventre mou en milieu de parcours aux côtés de l’expéditif “Riding Cobbles” et des trois temps de “Moutain Time”), elle permet bien souvent une épatante mise en lumière (“Le Grand Balloon”, qui n’a rien à voir avec le point culminant de notre magnifique massif Vosgien mais qui culmine par ses harmonies convaincantes). Notons enfin le soutien non négligeable derrière le micro apporté par Cate Le Bon, renforçant encore plus la palette mélodique et décidemment à la tâche dans la sphère indie (puisqu'aperçue en compagnie de Kurt Vile et Wilco sur leurs dernières créations).

Inspiré par la récente migration de son compositeur de la folie urbaine de la grosse pomme vers la paisible campagne anglaise, Several Songs About Fire a été mis en boite avec spontanéité en quelques jours seulement, comme pour enflammer au plus vite les démons du passé et embrasser pleinement cette nouvelle vie bien plus tranquille. Ce doux brasier, où indie rock chiadé rencontre un americana plus traditionnel, constitue bel et bien une franche réussite, permettant à Andrew Savage d’exploiter une fibre bien plus émotionnelle qu’en compagnie de son écurie d’origine. Après Einar Solberg (Leprous) et Grian Chatten (Fontaines D.C.) cet été, l’année aura finalement été marquée par des projets solos de grande qualité. Un bref interlude ou une petite bulle d'air avant de revenir en trombe avec leurs formations respectives ? Espérons-le, 2024 nous réserve probablement bien des surprises.  

A écouter : “Hurtin’ Or Healed”, “Elvis In The Army”, “Thanksgiving Prayer”