Gojira
Fortitude
Produit par Joe Duplantier
1- Born For One Thing / 2- Amazonia / 3- Another World / 4- Hold On / 5- New Found / 6- Fortitude / 7- The Chant / 8- Sphinx / 9- Into The Storm / 10- The Trails / 11- Grind
On a beau porter de tout notre cœur et souhaiter tout le succès possible à la scène rock française - au sens large -, force est de reconnaître que face aux mastodontes anglo-saxons, le pays de Molière fait encore et toujours pâle figure. À une exception près, car il en faut une : personne sur cette planète n’ignore plus le nom de Gojira, en tout cas personne qui s’intéresse de près ou de loin au heavy metal. Près de vingt-cinq années de carrière ont permis aux landais de s’élever progressivement parmi les cadors du milieu, tout d’abord en conquérant l’hexagone, puis en s’exportant aux USA à compter du brutal The Way Of All Flesh, pour finir par exploser dans les charts en assouplissant leur formule extrême via un Magma qui les a fait réellement basculer dans la cour des grands. Les quatre hommes ont réussi à tranquillement imposer leur death metal psychédélico-progressif à la planète terre tandis que celle-ci dépérit de ses excès d’urbanisation mortifère. À l’heure de l’arrivée dans les bacs de ce septième album, la pertinence du discours furieusement écologiste du dinosaure atomique ne s’est jamais faite aussi acérée.
Et parce que Gojira est devenu un monstre, les choses n’ont pas été faites à moitié puisque c’est un certain Andy Wallace - Mr Nevermind, entre autres - qui a été sorti de sa retraite pour venir mixer ce nouveau bébé, preuve s’il en était de la stature de la team Duplantier. À ceux qui voudraient rapprocher le titre du disque d’une certaine “bravitude” ségolenneroyalesque, on précisera, à toutes fins utiles, que “fortitude” signifie “force d’âme”, et il va en falloir à l’humanité si celle-ci veut inverser la machine à dévaster son environnement qu’elle est devenue. La pochette renvoie aux tribus amazoniennes directement menacées par la déforestation et la réduction de leur habitat naturel ; thème repris en musique sur “Amazonia” où l’on ressent la luxuriance et l’humidité lourde de la végétation tropicale au sein d’un morceau aussi direct que prégnant, même si on peine à comprendre ce qu’un didgeridoo fait au fin fond du brésil, mais passons. Globalement, Fortitude met en avant l’un des points forts du groupe : son effarante puissance sonore. La production se montre redoutable, le son tantôt tranchant et sauvage, tantôt asphyxiant et aliénant. Si certains regretteront une certaine tendance aux recyclages, les nouveaux venus s’ébahiront face à la capacités des français à exploiter leurs cordes électriques, leur maîtrise de la distorsion et des larsens, leur jeu de wah-wah qui leur permet de créer des riffs dissonants mais incroyablement dynamiques. Et on gage que les nouveaux venus seront nombreux, car Gojira poursuit ici la stratégie initiée sur Magma voulant aérer son propos via des compositions plus directes, mais aussi attendrir - si l’on peut dire - les vocaux avec un Joe Duplantier qui systématise la voix claire quasiment partout, même si la rugosité et la rage affleurent la plupart du temps à son micro pour un équilibre presque surhumain entre bestialité et mélodie - si, c’est possible.
Pas la peine de tourner autour du pot, Fortitude empile les très bons morceaux. “Born For One Thing” constitue une entame idéale avec sa batterie martiale, ses pédales d’effet surgavées, ses décharges de rotatives lourdes, sa distorsion tétanisante et ses envolées psychédéliques qui flottent en apesanteur. On ressent désormais des accointances avec des ténors du rock lourd psyché comme Mastodon - et c’est tant mieux. “Another World” séduit d’emblée avec ses magnifiques arpèges collants et ses élévations spatiales sur le refrain. “Hold On” densifie encore plus son mur de son et assène le tout avec toute la félicité d’une tribu barbare : c’est à la fois irrésistible - on imagine le refrain brâmé en chœur par des foules conquises au Hellfest - et incroyablement nuancé dans sa finition - on pense notamment au pont beaucoup moins bourru. Dans le registre fédérateur, “Into The Storm” risque de faire un vrai malheur dans les stades tant le morceau nous pousse à lever le poing pour soutenir le titre à bout de bras… même si le refrain a un (tout petit) côté tarte à la crème. Chaque morceau réserve son particularisme sonore, glissades de manches crissantes sur “Sphinx” ou wah-wah espiègle sur “New Found”, preuve que le groupe maîtrise son sujet sur le bout des ongles, une véritable leçon de guitare métallique. Sur le versant apaisé de la montagne, on remarquera surtout “The Trails”, seul morceau - ou presque - qui ne braille pas du tout, et cette épure presque émouvante par moments réussit - qui l’eût cru ? - aux natifs du sud-ouest. Point de ralliement entre les appels du pied plus accessibles de Magma et les réalisations musclées d’antan, Fortitude se veut une sorte de synthèse du son et du style Gojira. Un exercice rondement mené, cela va sans dire.
Revers de la médaille, on déplorera ici une tendance à une certaine redondance par rapport à leurs précédents albums, et plus gênant, à la facilité. Si on adhère de prime abord au duo “Fortitude” - “The Chant”, point d’apaisement et pause salutaire du disque qui se pare de couleurs chamaniques du plus bel effet, pourquoi diable recycler un seul et même thème sur près de... dix minutes ? Forcément, à ce compte-là, on a la zapette facile. Sans verser dans cet extrême, certains titres ont parfois tendance à se regarder un peu trop le nombril et à répéter leurs cycles de riffs une ou deux fois de trop, genre les deux dernières minutes égrenées en boucle de “New Found” qui n’apportent rigoureusement rien au disque, ou le brutal “Grind” et son outro céleste à rallonge qui se complait dans un fade out paresseux. Propos sévères ? Sans doute, mais à ce niveau de qualité et de notoriété, on en attend forcément plus. Il n’empêche que malgré ces réserves - et vous voyez bien qu’elles sont toutes relatives, Fortitude convainc et se laisse écouter avec un enthousiasme certain. Amateurs de gros son et de voix rocailleuses qui hurlent leur rage face à la destruction de la terre, ruez-vous sur le dernier Gojira. Remarquez, vu l’heure à laquelle sort cette critique, on gage que c’est déjà fait depuis longtemps...
À écouter : "Born For One Thing", "Amazonia", "Another World", "The Trails"