Noel Gallagher's High Flying Birds
Noel Gallagher's High Flying Birds
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1- Everybody's on the Run / 2- Dream On / 3- If I Had a Gun... / 4- The Death of You and Me / 5- (I Wanna Live in a Dream in My) Record Machine / 6- AKA... What a Life! / 7- Soldier Boys and Jesus Freaks / 8- AKA... Broken Arrow / 9- (Stranded On) The Wrong Beach / 10- Stop the Clocks
Où l'on se rend compte que la forme d'une chanson (et d'un album), finalement, importe. Peut-être pas autant que le fond, bien sûr, mais tout de même.
Le cas de Noel Gallagher est particulièrement caractéristique d'un artiste qui excelle littéralement dans le domaine du songwriting, mais qui s'avère être un arrangeur exécrable. Le fait n'est pas nouveau : à l'époque de Definitely Maybe, à l'aube de la naissance d'Oasis, il a fallu toute la force de persuasion et la compétence d'un Owen Morris pour contrecarrer les plans de production fumeux de l'aîné de la fratrie la plus têtue de Manchester. Un peu plus tard, le même individu torpillait l'enregistrement de Be Here Now en saccageant les morceaux à grands coups de délires cocaïnés, sûr de son fait et cette fois-ci inarrêtable du fait de son statut de sauveur du rock anglais. Au fond du trou sur l'album suivant, Noel se complaisait dans un néo-psychédélisme ringard qui enlaidit encore plus les piètres compositions de Standing On The Shoulder Of Giants. Même le réussi Dig Out Your Soul souffre malgré tout des lourdeurs liées aux bricolages studio incessants de l'intéressé. Las, on aura beau lui affirmer qu'il n'est jamais meilleur que dans un registre de force frontale (on pourrait déballer l'intégralité de (What's The Story) Morning Glory pour en attester) ou dans la simplicité la plus virginale ("Talk Tonight", "The Masterplan", "Half The World Away", "The Importance Of Being Idle", et on en passe : eh oui, il en a composé, des joyaux), rien à faire : Noel Gallagher n'en fera toujours qu'à sa tête, et cette première production solo nous en offre un exemple on ne peut plus démonstratif.
L'exercice qui va suivre est difficile et demande une certaine dose d'imagination. Imaginez, donc, que les morceaux de Noel Gallagher's High Flying Birds soient arrangés comme sur Definitely Maybe, ou alors enregistrés en acoustique à la mode Masterplan. Essayez de supprimer les violons et les échos envahissants de "Everybody's on the Run" (mais pourquoi diable balancer une telle armada ornementale sur le premier morceau du disque ?), tâchez de zapper les cuivres fantoches de "The Death Of You And Me", passez outre les choeurs démultipliés et la trompette de "Dream On", oubliez la couleur très kitch et la réverb' outrageuse de "Stop The Clocks"... on pourrait multiplier les exemples à l'inifi. Que reste-t-il ? Eh bien tout simplement un Noel Gallagher proche de son meilleur niveau de composition, pour des chansons qui n'auraient certainement pas fait tâche dans le répertoire d'un Oasis post-Morning Glory. Certains morceaux se placent même dans le top ten de leur auteur, même si "If I Had A Gun" fait un peu trop penser à "Wonderwall" et que "The Death Of You And Me" a un arrière goût trop prononcé de "The Importance Of Being Idle". Qu'importe : le niveau global du songwriting demeure excellent, avec en point de mire "AKA... Broken Arrow", très typé Gallagher mais qui ne donne pas forcément dans le déjà entendu. Essayez même de conceptualiser un "(Stranded On) The Wrong Beach" enveloppé dans des guitares conquérantes et scandé par la voix rocailleuse de Liam, et ne me dites pas que ça n'aurait pas une toute autre gueule. On pourra également regretter que certains morceaux se révèlent très largement dispensables ("Soldier Boys and Jesus Freaks", pas très intéressant, et dans une moindre mesure "(I Wanna Live in a Dream in My) Record Machine" qui aurait néanmoins tiré parti de guitares plus incisives). Le soucis étant qu'après l'exercice exposé ci-dessus, nous ne pouvons que regretter ce que l'album aurait pu, aurait dû être : le digne successeur de (What's The Story) Morning Glory. Le rendu final de ce disque donne une sensation de vacuité dans la recherche d'une inutile émancipation d'Oasis. "Stop The Clocks" est à ce sujet particulièrement révélateur des atermoiements du mancunien en ce sens que de nombreuses démos de cette chanson circulent sous le manteau depuis des années par la grâce de la fée Internet. On pouvait décemment s'attendre au Saint Graal de Noel Gallagher par le biais d'un traitement acoustique simple et pudique. Or à quoi a-t-on droit ? A des synthés tout droit sortis de Standing On The Shoulder Of Giants et à un pont bruitiste à la limite de l'audible. Un gâchis indescriptible.
On terminera sur le cas "AKA... What A Life!", pour le coup un titre qui s'éloigne sensiblement des canons gallagheriens (malgré une production très typée Dig Out Your Soul) et qui mérite un net détour. On aurait même pu imaginer des fioritures électro pour l'accompagner tellement le rythme y apparait entraînant. Hormis ce morceau et si l'on met de côté les défauts pré-cités, Noel Gallagher's High Flying Birds peut quasiment être placé dans la droite ligne des albums studio d'Oasis, et plutôt dans la moitié supérieure du panier. Reste une interrogation : pourquoi l'aîné des Gallagher s'est-il caché sous un nom de scène ? Pourquoi a-t-il flouté sa photo sur la pochette de son album à lui et rien qu'à lui ? Serait-ce la même raison, une sorte de timidité mal placée et mal assumée, que celle qui l'a poussé à pactiser avec son frangin Liam et son groupe The Rain en 1994 ? Se pourrait-il que, sous ses dehors arrogants et bornés, l'aîné des deux frères soit en fait un grand modeste qui joue les caïds ? Dans ce cas, il serait grand temps que quelqu'un de bien intentionné se décide à lui botter les fesses et à le diriger méthodiquement dans la retranscription de ses chefs d'oeuvres. Le rock anglais ne devrait a priori pas plus mal s'en porter.