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Critique d'album

Radiohead


A Moon Shaped Pool


(08/05/2016 - XL Recordings - Rock alternatif - Genre : Rock)
Produit par Nigel Godrich

1- Burn the Witch / 2- Daydreaming / 3- Decks Dark / 4- Desert Island Disk / 5- Ful Stop / 6- Glass Eyes / 7- Identikit / 8- The Numbers / 9- Present Tense / 10- Tinker Tailor Soldier Sailor Rich Man Poor Man Beggar Man Thief / 11- True Love Waits
Note de 5/5
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Note de 4.5/5 pour cet album
"Eloge d'une flaque en forme de lune"
Nicolas, le 21/05/2016
( mots)

Les années passent et les habitudes perdurent. A l’heure de la sortie de ce neuvième album de Radiohead, la critique, nullement échaudée par la mise à disposition sauvage du Roi des Aulnes en 2011, s’est encore une fois jetée sur cette flaque en forme de lune livrée à tout le monde en même temps pour être absolument certaine de dégainer son papier (dithyrambique) en premier.


Les moins frileux auront une nouvelle fois versé dans le poncif. Rolling Stone, jamais avare en lieux communs, décrit le disque comme un “triomphe hanté et éblouissant”. Pour le Guardian, le quintette d’Oxford a réalisé “quelque chose qu’ils n’ont jamais accompli auparavant”. Pour le Time, Radiohead a sorti un album “lugubre, anxiogène et magnifique”. Le NME n’est pas en reste, qualifiant le disque d’”étrange, chatoyant et incertain tout à la fois”. Pour The Atlantic, AMSP est “leur album le plus étrange à ce jour” (et Kid A, c’est du poulet, sans doute). Mieux, le Daily Caller ose l’impensable : “A Moon Shaped Pool est le meilleur album de Radiohead en date” (et OK Computer, c’est du poulet, sans doute). Certains titres font même sourire, comme ceux de l’Independant et du Telegraph : “Vous l’aimerez de plus en plus à chaque écoute”. Gosh.


D’autres, en revanche, reconnaissent leur impuissance à établir un avis. Stereogum ne se mouille pas : la critique du disque est une critique “préliminaire”. Le Guardian, encore lui, met les fans à contribution en leur demandant d’établir leur propre avis érigé au rang de référence. Consequence of Sound va même très loin en dressant un classement dans lequel on affirme que l’album est (évidemment) merveilleux et d’ailleurs meilleur qu’untel mais aussi moins bon qu’untel, écornant au passage un King Of Limbs pourtant encensé à sa sortie et qui se retrouve ici en avant-dernière position (?). Plus édifiant : incapable, semble-t-il, de prendre parti quant à la qualité du disque, le mag organise une table ronde en réunissant quatre experts qui vont vous dire, à grands renforts d’arguments passionnels, pourquoi A Moon Shaped Pool est un disque sensationnel.


Cette incroyable cacophonie ayant débuté quelques heures à peine (!) après la mise à disposition digitale du disque met en lumière un axe de réflexion qui ne surprendra désormais plus personne : Radiohead est un groupe majeur, qu’on s’en émerveille ou qu’on s’en désespère. Un groupe de cinq membres au faîte de leur instrument et de leur réflexion musicale, et on ne vous parle pas seulement des deux hommes trustant indéfiniment les projecteurs, Thom Yorke et Jonny Greenwood. On a d’ailleurs bien vu que Yorke, lorsqu’il est privé de ses pairs, n’est plus aussi irrésistible que cela (deuxième disque solo intéressant mais sans plus, Atoms For Peace assez imbuvable dans son genre), et que Greenwood, sans son emblématique guitare, sait faire de bonnes BO mais pas forcément des albums immanquables, cf les OST des derniers Paul Thomas Anderson, celui-là même qui a réalisé le clip d’ailleurs quelconque de “Daydreaming”. En réalité, il faut souligner que la section rythmique de Radiohead est certainement l’une des plus captivantes qui soit à l’heure actuelle. Le travail, la musicalité, l’inventivité des lignes de basse de Colin Greenwood et le côté grouillant et chaotique des percussions de Phil Selway, tant organiques que synthétiques, n’a pas son pareil dans le milieu de la pop musique contemporaine. Réécoutez donc The King Of Limbs, disque dont l’éclat semble aujourd’hui quelque peu terni auprès du grand public - à tort, on peut vous l’assurer - pour vous en rendre compte. Et si on a tendance à résumer les allants électro du groupe au seul Yorke, ce serait oublier le travail colossal assuré par Ed O’Brien derrière ses claviers. Ainsi, le quintette d’Oxford n’a absolument pas tort de proposer cinq portraits juxtaposés comme photo promo, chaque membre se plaçant sur un pied d’égalité avec les autres. C’est cet effectif - inchangé depuis la création du groupe, faut-il le rappeler - qui incarne la patte, le savoir faire Radiohead.


Groupe majeur également, car en neuf disques - allez, huit si l’on omet un Pablo Honey tout de même bien vert et par ailleurs non produit par Nigel Godrich, l’homme qui est à Radiohead ce que George Martin est aux Beatles - les cinq anglais ont redéfini à la fois le visage du rock anglais, l’esprit même de la gestion de carrière voire même le marché musical dans son ensemble, même si leurs expérimentations avec le système (pay what you want étrenné sur In Rainbows, plate forme digitale ultra contrôlée, communication restreinte avec la presse) ont plus vocation à nous questionner qu’à réellement apporter des solutions pérennes. Toujours est-il qu’en un peu plus de vingt ans, Radiohead n’a jamais commis le moindre faux pas en studio. Jamais. Chaque album s’est toujours montré au minimum enthousiasmant (Hail To The Thief, In Rainbows), très souvent intrigant et envoûtant (Kid A, The King Of Limbs), de temps à autres grandiose (The Bends, Amnesiac) et parfois même phénoménal (OK Computer). Mieux : en neuf productions studio, les cinq hommes ne sont jamais allés deux fois dans la même direction, déclinant de nouvelles nuances afin d’illustrer leur discours musical urbain et désenchanté, conférant à leurs sorties une personnalité aussi forte que riche et livrant des compositions aussi réussies dans la débauche que dans l’épure, dans l’émotion que dans l’expérimentation, dans l’électrique que dans l’acoustique, dans l’organique que dans le synthétique.


Il ne s’agit pas ici de prendre parti pour ou contre le quintette d’Oxford. Encore que. On peut l’aduler, l’admirer ou tout simplement l’aimer, comme on peut le négliger, le mépriser ou même le haïr pour ce qu’il représente et qui, aux yeux de beaucoup, représente l’antithèse absolue de ce qu’est un groupe de rock. Mais de rock, en est-il encore question ? À ces personnes qui ne jurent que par le gros son, l’énergie, l’improvisation, l’attitude, la dégaine et/ou le bagout et qui vilipendent Yorke et ses sbires pour aller exactement dans le sens contraire, on ne pourrait que leur conseiller ceci : réessayez. Pensez que ce n’est pas du rock, abordez un disque de Radiohead comme un disque d’un univers qui vous est étranger, classique, jazz, rap, que sais-je. Ne jetez pas tout de suite la galette éprouvée à la poubelle sous prétexte qu’elle ne vous a pas plu au premier coup d’oreille. Dites-vous que ce capharnaüm extatique qui envahit les ondes médiatiques dès qu’un de leurs albums apparaît n’est pas complètement dénué de fondement. Dites-vous enfin que, toutes choses égales par ailleurs, Radiohead est certainement à l’heure actuelle le dernier groupe populaire pouvant se prévaloir d’une dimension semblable à celle des monstres pop du passé, Stones, Beatles, Zep, Beach Boys, Nirvana. Pink Floyd. Rien que ça.


Et ce Moon Shaped Pool, alors, qu’en est-il ? Il est vraiment réussi, pour commencer, mais ça non plus, ça n’est pas vraiment une surprise : le contraire aurait été étonnant. Est-il aussi réussi que les précédents ? Plus ? Moins ? Là, on dira que tout est question de goût. A titre personnel, l’auteur de ces lignes préfères The Bends à OK Computer (pas de beaucoup, ceci dit) et A King Of Limbs à Kid A, pour comparer des disques plus ou moins “équivalents” en terme d’intention et de réalisation. Quant à savoir si ce LP 9 surpasse un éventuel disque de Radiohead opérant dans le même état d’esprit, disons qu’il est sans doute supérieur à In Rainbows et probablement inférieur à Amnesiac (album néanmoins beaucoup plus barré que celui-ci), si ce genre d’éléments peut vous être d’une quelconque utilité. Ajoutons très subjectivement qu’il se situe plutôt dans le milieu de la discographie du groupe. Ni le plus intéressant, ni le moins intéressant. Mais à un tel niveau de qualité, honnêtement, cette distinction est-elle vraiment pertinente ?


Ensuite, et on en a largement fait écho dans les divers papiers sus-cités, il s’agit d’un album beaucoup plus symphonique que les autres, le quintette d’Oxford ayant fait appel au London Contemporary Orchestra et aux compétences en harmonie de Jonny Greenwood himself pour vêtir ses chansons d’un habit de violons noble et intriguant. Non pas que Radiohead ait jamais versé dans de tels arrangements auparavant vu que l’on retrouve des orchestrations classiques un peu partout dans leur disco, mais disons qu’ici les violons sont plus fréquemment utilisés - bien que pas systématiquement non plus - et que leur emploi est plus réfléchi et fignolé que par le passé. Les atours symphoniques d’A Moon Shaped Pool nous prennent d’ailleurs d’emblée sous leur aile dès “Burn The Witch”, et si les notes piquées du début créent une vraie tension, ce sont surtout les frottements d’archet subtilement dissonants qui, intervenant dès la moitié du morceau, en font tout le sel. Mention spéciale également aux parures de “Glass Eyes” ou de “Tinker Tailor”, absolument magnifiques, et à l’utilisation décalée des violoncelles dans “Daydreaming”, évoquant des borborygmes inquiétants en fin de piste : l’effet est si saisissant qu’on le jurerait électronique. Mais il en est souvent ainsi de la production radioheadienne, et on n’ose vous faire remarquer que si The King Of Limbs semble presqu’exclusivement conçu sur ordinateur, plus de la moitié de l’album n’est interprété qu’avec un trio guitare-basse-batterie très classique. Réécoutez, et vous verrez.


Plus pertinent peut-être : A Moon Shaped Pool est un disque moins tourmenté que nombre de ces prédécesseurs, et par là même probablement plus accessible. Paradoxalement, vous ne trouverez pas de grands singles ici, pas même un titre aussi fort que “You’re All I Need” pour In Rainbows ou “Knives Out” pour un Amnesiac par ailleurs plutôt hermétique dans son genre. Mais les onze compositions de cet opus-ci vous happeront bien vite, retenant l’attention dès les trois premières écoutes (et c’est assez rare pour un album de Radiohead) et se bonifiant encore par la suite. Il y a ici une matière, un socle mélodique particulièrement soigné qui fait de ce disque plus qu’une succession d’états d’âme / d’expériences auditives / de trips désincarnés, sans compter que la voix de Yorke, moins fêlée que de coutume, sait également transmettre comme personne un bien-être teinté de sourde mélancolie. A ce titre, on citera évidemment l’acoustique (ou comme tel) “Desert Island Disk”, tout en retenue et tout entier suspendu aux arpèges délicats de Greenwood, et le piano-voix “Glass Eyes” traversé par les rayons de soleil des violons, évoquant une scène bucolique d’une douce béatitude. Tous ces éléments se retrouvent et se marient avec une électricité rassurante sur “The Number”, stupéfiant exercice de fusion qui n’obère pas la charge émotive du morceau. Il y a de la chaleur, de la félicité qui s’échappe de titres comme “Decks Dark” et ses chœurs élégiaques, tandis que nombre d’arrangements oniriques ne dépareilleraient pas chez Steven Wilson. Pas forcément étonnant quand on sait que le chantre de Porcupine Tree, devenu l’artiste que l’on sait, ne serait RIEN sans l’influence de Radiohead. “Decks Dark” encore qui, en milieu de piste, s’évade dans un trip psychédélique aussi lancinant que poignant.


À l’inverse, sans forcément rechercher la cohérence - mais ce n’est pas forcément l’idée première de Radiohead, le diptyque bigarré Kid A - Amnesiac pouvant absurdement en attester - A Moon Shaped Pool verse aussi parfois dans l’électronique tripante, cf le pivot du disque, “Ful Stop”, avec ses boucles sombres que ne renieraient pas Archive et la basse encore une fois magistrale de l’autre Greenwood. Synthétique également, “Tinker Tailor Soldier Sailor Rich Man Poor Man Beggar Man Thief” (oui, c’est rigolo à écrire) n’a, lui, rien à voir. L’ordinateur se fait ici doux et enveloppant, effleurant à peine l’organe de Yorke, et c’est l’orchestre qui, en fin de titre, nous fait basculer dans une autre réalité, plus fourbe et menaçante. Un magistral tour de force. Un peu plus tôt, un jeu s’installe entre les cinq hommes et l’auditeur sur “Identikit”, semblant initialement réveiller quelques travers autistiques avec cette boîte à rythme sèche, travers bien vite balayés par un pont là encore rayonnant d’enchantement. Et si la gratte déglinguée de Jonny G termine ce morceau à l’arrache, elle se réaccorde miraculeusement un peu plus loin. “Present Tense” est l’un des morceaux les plus beaux, les plus émouvants jamais composés par Radiohead, la voix nostalgique et réminiscente de Thom Yorke épousant la grâce épurée de la guitare et la solarité des chœurs.


Et c’est sans doute parce qu’A Moon Shaped Pool est finalement moins marqué par le pathos radioheadien que le groupe a pu insérer dans la tracklist un vieux morceau déjà interprété en concert avant OK Computer. “True Love Waits” est un vrai bijou, nu, simple et pur, charmant de sincérité et de pudeur. La chaleur, l’optimisme de ce titre n’auraient sans doute pas pu s'immiscer dans leur œuvre antérieure, plus tourmentée, mais trouve dans cette magnifique flaque en forme de lune un écrin tout à fait à même de l’accueillir. Radiohead nous livre donc encore un disque majeur, sans doute déjà le disque de l’année, et si les adeptes du quintette d’Oxford n’auront pas eu à lire ces nombreuses lignes pour s’en convaincre, peut-être les plus récalcitrants des Yorkophobes y auront-ils trouvé de quoi réviser, même à la marge, leur jugement. C’est tout le mal qu’on peut leur souhaiter.

Avis de première écoute
Note de 4.5/5
Impensable, et pourtant : après des années d'errements discographiques se cantonnant à de la geekerie de studio aussi froide qu'intellectualiste, Thom Yorke et ses sbires sont finalement parvenus à accoucher d'un album envoûtant à l'aura solennelle et hypnotique. A Moon Shaped Pool saura même réconcilier Radiohead avec ses détracteurs les plus virulents, parole de yorkophobe post-Kid A.
Avis de première écoute
Note de 4/5
Radiohead sort un très bon album. Un très bel album même, teinté d'une mélancolie viscérale, aux arrangements somptueux et s'extraie enfin de ce carcan intellectualiste dans lequel il s'était enfermé depuis le début du siècle. Son meilleur disque depuis Kid A. Même si ça m'arrache la gueule de le dire...
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Commentaires
kukuro, le 07/10/2020 à 23:16
Je rejoints Raphaelle. Avec les "singles" Burn the Witch et Daydreaming (enrobés d'un mystère typiquement oxfordien), Radiohead promettait quelquechose de grand, de très grand. Si le soufflé ne retombe pas tout à fait à l'écoute de l'entièreté de la galette, quelques remplissages viennent ternir le tableau. Heureusement, à la fin, on retient surtout un excellent Identikit et un merveilleux Decks Dark.
japprecie, le 29/06/2016 à 15:46
J'ai été fan de Radiohead depuis le début, je les ai suivis dans toutes leurs pérégrinations musicales, jusqu'à In rainbows. Mais depuis King of limbs, je ne peux plus. J'aimerais continuer à les aimer, car je suis du genre fidèle comme garçon, mais je n'y arrive plus. Et ce Moon shaped pool ne ravive pas la flamme. Même en réécoutant plusieurs fois, rien ne se passe. J'en viens même à me demander comment j'avais fait pour adorer ce groupe pendant toutes ces années !? Ont-ils véritablement changé ? Ou moi ? Non, pourtant. Fin de règne ? Usure ? Manque d'immédiateté ? Manque de "chansons" ? Que de questions, auxquelles j'espérais que cette belle chronique, détaillée et enthousiaste, pourrait m'aider à trouver des réponses.
afterthegoldrush, le 22/05/2016 à 12:13
Excellente chronique ! Pas grand choses à rajouter. Avis partagé à 99%. Mais quand même, kid A est supérieur à king of limb !!! ;)
Raphaelle, le 21/05/2016 à 11:36
Je n'ai pu écouter que Burn the Witch et Daydreaming et les deux sont absolument saisisssants. Très bonne chronique au fait Nico, toujours un plaisir de lire ta plume mesurée ;-). J'ai été stupéfaite à l'écoute de Daydreaming: on dirait du Archive !! La boucle est bouclée.. Et à la fin de Daydreaming, c'est en fait Yorke qui murmure "half of my life", la piste ayant été montée à l'envers. Je n'ai aucun crédit, il faut lire les commentaires de fan sous le clip Youtube. Il y a même une version backward de Daydreaming qui prouve leurs dires. Sinon ces deux titres m'ont sciée par leur maturité. Radiohead ratattine la concurrence, c'est eux les grands patrons sans le moindre doute !
loic_d, le 18/05/2016 à 13:34
Magnifique album... Mon préféré depuis OK Computer. Et le meilleur de 2016 pour le moment (selon moi :) !