Rival Sons
Lightbringer
Produit par
1- DARKFIGHTER / 2- Mercy / 3- Redemption / 4- Sweet Life / 5- Before The Fire / 6- Mosaic
Petit cafard n°1 (dans le cœur de notre cœur)
Quand un chroniqueur chevronné publie un commentaire comme celui qui figure en chapeau, c’est que la situation est grave. Grave en ce sens que Lightbringer frappe directement au cœur des plus endurcis sans préalablement passer ni par le cerveau ni par les oreilles.
Ce n’est pas courant.
Mais est-ce que ça en fait un bon album (et les deux mots sont vraiment importants) ou, plus prosaïquement, un simple crève-cœur ?
That’s the question, people !
Petit cafard n°2 (dans l’esprit)
Sous un artwork qui provoque des caries oculaires et qui n’enchantera finalement que les victimes de dyschromatopsie aiguë (1), Lightbringer vient compléter Darkfighter après cinq mois d’attente.
Et là, surprise ! Lightbringer est une œuvre ambivalente qui intègre la difficile catégorie artistique des "ni – ni".
Ce n’est ni tout à fait un album, ni tout à fait la compilation de titres bonus issus d’un enregistrement précédent.
… où l’on comprend – avec bonheur – qu’il ne s’agit pas d’un CD bonus
Ce qui différencie Lightbringer d’une simple compilation de titres bonus de Darkfighter, c’est son introduction définitivement magistrale. Avec ses neuf minutes au compteur, "Darkfighter" est un monument rock imprévisible qui devrait en fait s’écouter comme la plage conclusive de Darkfighter (2).
Ce titre – hautement perché – est probablement la meilleure composition rock entendue depuis – disons – Mathusalem. Il mériterait ("Darkfighter", pas Mathusalem) une chronique de cinq pages rien que pour lui tout seul.
C’est que ce moment d’exception, fait de syncopes inattendues et de moments de grâce pure, est un ascenseur émotionnel unique en son genre avec, cerise sur un gâteau déjà généreux, un passage astro-psychédélique digne des délires les plus lysergiques d’Iron Butterfly.
Qui trouvera mon île si les bateaux ne font jamais route vers ici ?
Définitif !
… où l’on comprend – dans la douleur – qu’il ne s’agit pas non plus d’un album
Ce qui différencie Lightbringer d’un album, c’est que passé le long moment de sidération généré par sa plage titulaire, il ne reste que cinq petits titres (sans grand lien narratif entre eux) tous issus des sessions de l’"album-mère", sorti plus tôt dans l’année (3).
Bien entendu, et à titre d’exemples, "Mercy" dépote au-delà du raisonnable et "Mosaïc" est une vraie friandise pour l’âme.
Bien entendu également, le groupe évolue toujours à des altitudes stratosphériques. Si l’on s’en tient au seul héritage du Dirigeable Sanctifié (4), Rival Sons invite définitivement toutes les Greta du monde à poursuivre leurs petites parties de marelle dans la cour de récréation de leur pensionnat de province.
Mais aucun de ces cinq (très bons, par ailleurs) "bonus" ne dépasse en qualité les titres époustouflants qui figurent sur Darkfighter. Aucun.
En extrême résumé, la frustration est immense d’avoir loupé LE double album – mixant ombre et lumière – qui aurait été totalement assumé qualitate qua et qui aurait fait de 2023 une année angulaire.
That’s life, people !
Petit cafard n°3 (dans le portefeuille)
L’art s’accommode mal de radinerie.
Il n’empêche que débourser 35 euros sonnants et trébuchants pour acheter en deux étapes un drôle de double album inabouti peut générer un sentiment de frustration intense. Inutile d’évoquer le tarif des vinyles…
That’s business, people !
Où l’on se risque à une conclusion aux perspectives non conclusives
On a vu et connu des vaisseaux stellaires qui étaient partis en épousant une trajectoire parfaite avant de perdre de l’altitude, de s’embraser ou de se perdre.
En espérant que les ingénieurs soniques qui ont participé au lancement du missile Rival Sons aient bien serré tous les boulons et vérifié tous les paramètres de vol, il n’est pas risqué de prophétiser que Rival Sons est parti durablement à la conquête de l’univers.
Le groupe est parvenu aujourd’hui à un stade où il peut tout se permettre, en ce compris décrocher ce titre de champion qui n’a plus été attribué depuis les seventies, faute d’un autre candidat absolument imparable.
That’s my humble opinion, … and that’s all, people !
(1) Il est malaisé de comprendre pourquoi Rival Sons nous vient avec un "emballage" d’une laideur pareille. L’écrivaine victorienne George Eliot conseillait de ne jamais juger un livre à sa couverture. Admettons ! Mais comment faire abstraction de cet épouvantable tigre verdâtre tout englué dans un moche décor jaunasse ? Si ce "machin" (pour rester dans les citations) incarne la lumière, alors je préfère définitivement l’obscurité.
(2) On comprend mieux l’impatience amusée du groupe lorsqu’il insistait tant – dès après la sortie du premier opus – pour que les auditeurs enchaînent les deux plaques.
(3) Si "Darkfighter" avait été la coda de Darkfighter, la firme de disques aurait pu publier ces cinq titres sous la forme d’un extended play ou les garder sous le coude pour sortir un CD Forgotten Tapes dans un futur coffret anniversaire.
(4) Puisque cette comparaison est continuellement dans l’actualité rock, comme si le temps était resté suspendu depuis la mort de Bonzo en 1980.
Réaliser deux albums la même année, tel était le pari risqué que Rival Sons avait relevé en 2023. Si dans les années 1960 et 1970, la pratique était assez courante – Creedence Clearwater Revival ayant même produit trois albums en 1969, cela fait bien longtemps que ce n’est plus la norme. Certains diraient que c’est poussé le bouchon du revival un peu loin, d’autres qu’il y a eu entre temps la longue gestation permise par la pandémie durant laquelle la productivité du groupe avait tourné au ralenti. Les esprits chagrins enfin, estimeront qu’il est un peu opportuniste, financièrement parlant, de sortir deux disques la même année plutôt qu’un double-album. Je table sur la bonne foi du groupe quand il affirme qu’il s’agit de respecter les deux faces, l’une sombre et l’autre lumineuse, de ces sorties Janus, ainsi que de laisser aux amateurs le temps de s’approprier chaque opus. En tant que collectionneur, chroniqueur et surtout auditeur, je préfère en effet digérer à mon rythme deux albums distincts à la durée raisonnable, qu’une œuvre pantagruélique dont j’aurais tôt fait d’oublier la moitié des titres.
Darkfighter, tigre vert sur fond noir, premier des deux fils rivaux venus au monde cette année, avait mis du temps à être complétement apprivoisé, mais au fil des écoutes, il s’était avéré être un excellent album, réussi de bout en bout et déroulant une progression savamment agencée. Son alter ego, son Romulus, son Pollux, son Noel Gallagher (non), bref, sa suite "lumineuse", se présente sous le ramage d’une pochette moins numérique et plus chamarrée. Par chance, le titre de Lightbringer ne comporte aucune allusion biblique à Lucifer et aucune analogie avec cet ange déchu n'est à déplorer : en effet, pas de chute à l'horizon tant le groupe continue de côtoyer des sommets divins.
Comme pour affirmer le concept unifiant le diptyque, Lightbringer s’ouvre sur "Darkfighter", titre le plus long du répertoire du combo, qui caresse les neuf minutes. Cet écho à l’album précédent rappelle la présence d’"Houses of the Holy" sur Physical Graffiti (1975) plutôt que sur l’album du même nom. Or, en 1973, Led Zeppelin avait simplement décidé que le titre n’était pas adapté à son nouvel album : Rival Sons au contraire, choisit à dessein de faire de "Darkfighter" un écho à l’album précédent sur Lightbringer. Une nouvelle façon de se tenir à distance d’un modèle dont l’influence, de plus en plus digérée, est, mutatis mutandis, de moins en moins perceptible – une leçon que Greta Van Fleet ferait mieux d’apprendre.
Que donne The Prog Side of the Sons ? Plus psychédélique que réellement progressif, le titre emprunte une perspective folk-psyché, avec des interludes planants qui accompagnent des traits de guitare manouches, flirtant parfois avec le space-rock quand la saturation revient, et des claviers analogiques dans la lignée des Doors. Mais les refrains sont plus électriques et clairement bluesy (avec ce qu’il faut de slide et de lignes purement blues-rock). Un coup de maître certes, mais une audace néanmoins, que de le mettre en ouverture.
Étonnement, le combo réitère ce procédé intertextuel avec "Before the Fire", cette fois-ci en écho avec son premier opus, comme si une boucle était en train de se boucler. Après une introduction acoustique, son riff légèrement orientalisant et ses lignes mélodiques au chant en auront fait un véritable coup de cœur.
S’ajoutent à cela quelques perles taillées pour la scène, comme le tubesque et rivalsonien "Mercy", au riff savamment syncopé et au refrain imparable, et "Sweet Life", plus Heavy, garage, efficace même si ce titre semble sorti de vieux cartons. Dans un autre registre, les ballades très Buchanan-iennes apportent toujours des intermèdes savoureux gorgés de soul, ici avec "Redemption", à la légère teinte sudiste, et l’aigre-douce "Mosaic". Science du riff intacte côté Holiday, interprétation époustouflante côté Buchanan : le duo à la tête du combo est définitivement intouchable.
Il ne manquait pas vraiment de preuves pour accorder à Rival Sons le statut de grand groupe, mais en parvenant à tenir sans faiblir la flamme de l'inspiration sur deux albums consécutifs, ils placent la barre haute pour leurs rivaux (ou simples compétiteurs) actifs au sein de la scène rock. Les historiens retiendront peut-être l’année 2023 comme celle du triomphe donné au meilleur groupe de Long Beach : en attendant, gageons que ces deux albums leur apportent un peu de lumière.
À écouter : "Before the Fire", "Darkfighter", "Mercy", "Redemption"