Death Cab For Cutie
Asphalt Meadows
Produit par John Congleton
1- I Don't Know How I Survive / 2- Roman Candles / 3- asphalt meadows / 4- Rand McNally / 5- Here to Forever / 6- Foxglove Through The Clearcut / 7- Pepper / 8- I Miss Strangers / 9- Wheat Like Waves / 10- Fragments From the Decade / 11- I'll Never Give Up On You
Il y a certains mystères qui paraissent presque impossibles à élucider, et le temps n’y change rien. Quand on s’intéresse à ce fleuron de l’indie rock US qu’est Death Cab For Cutie, un fait reste toujours totalement incompréhensible : Plans, cinquième album de la bande à Ben Gibbard sur maintenant dix réalisations, est globalement celui qui a été le moins bien reçu par la critique (hormis la cassette de démos liminales You Can Play These Songs With Chords, certes un peu verte)… alors qu’il est, pour l’auteur de ces lignes, et de très loin, le meilleur. Dans le même ordre d’idée, le pourtant excellent Kintsugi (à peine moins bon, et d’une facture réellement hors norme) se place sur la marche juste au-dessus, soit grosso-modo avant-dernier, supplanté par nombre de disques nettement plus convenus tels Codes and Keys et Thank You For Today ou même le plus ancien The Photo Album. Et voici que la broyeuse à avis qu’est Metacritic vient de rendre un nouveau verdict totalement édifiant qui ne fait qu’enfoncer le clou, mais cette fois-ci dans l’autre sens : Asphalt Meadows, petit dernier qui nous intéresse ici, vient tutoyer le maître étalon Transatlanticism en se glissant sur la deuxième place du podium, à quelques miettes à peine de cette référence. Et nonobstant les réelles qualités de cet album, c’est objectivement à n’y rien comprendre.
Petit retour en arrière. La carrière de Death Cab For Cutie peut à elle seule résumer la trajectoire de la mouvance indie rock qui a fleuri au début des années 2000, et il y a peut-être là une clé de décryptage. Que Transatlanticism ait joui d’une réception aussi dithyrambique tient sans doute au fait qu’en 2003, il était devenu de bon ton d’intégrer des groupes aussi inconnus que sensibles aux OST des grandes séries TV US exacerbant la part émotive du téléspectateur, ici entre autres Californication et Six Feet Under. De plus l’album est objectivement d’excellente facture, faisant écho à un Give Up signé The Postal Service paru peu ou prou à la même période (avec, pour ma part, une nette préférence pour ce second). En clair, ce succès critique n’est pas immérité, loin de là, et fait d’ailleurs écho à une consécration publique et des ventes au diapason. Par effet boomerang, la réception plus que tiède dévolue à Plans, pourtant et de loin le plus gros succès populaire et commercial de Ben Gibbard, tient peut-être au fait que les professionnels de la presse musicale ne lui ont pas pardonné son départ de l’indépendant Barsuk pour la major Atlantic. La mesquinerie érigée au rang de prisme critique : on n’ose y croire, mais quelle autre explication proposer ? En revanche, quand on s’attaque à l’accueil extrêmement favorable d’Asphalt Meadows, on se heurte à un phénomène beaucoup moins appréhendable. Mis à part son statut “d’album de confinement” (mais comme combien d’autres ?) et sans doute une forme un peu plus robuste (titres davantage portés par les guitares, tempos un chouïa plus relevés), on peine à comprendre ce qui a pu à ce point transporter nos amis de la critique anglo-saxonne, bien sûr en dehors de franches et indéniables réussites.
Listons-les, car elles valent réellement un coup de projecteur. “Asphalt Meadows” séduit par la force pop tranquille qui en émane, l’épure mise au service d’une rythmique tendue, la sourde mélancolie qui transparaît de cette image urbaine de prairies bitumées, le clinquant tonique de sa batterie, la luminosité optimiste de ses cordes électriques. “Here To Forever” se pose comme une grisante réussite de Ben Gibbard, une fabuleuse simplicité mise au service d’une ligne vocale d’une poignante émotion, une science redoutable des modulations majeur-mineur, une profondeur d’arrangements assez sidérante (fabuleux canevas de guitares et de synthés évoluant au fil du titre), même si on sent peut-être un refrain légèrement bancal, pas tout à fait fini. “Pepper”, deux minutes cinquante qui résument la quintessence de Death Cab For Cutie, piano mélancolique d’une efficience à tomber et qui laisse libre cours à des teintes synthétiques renversantes de pudeur, air doux-amer servi par ce pathos chaleureux du chanteur que l’on ne peut une fois de plus que louer (cf les critiques précédentes). “I Miss Strangers”, up-tempo racé aux arpèges magnétiques qui bascule sur un pont étonnamment dépouillé, déployant toute la palette d’une formation en totale maîtrise de son art. Donc oui, Asphalt Meadows recèle de bien des joyaux aptes à séduire un vaste public, indépendamment de titres plus caractéristiques de la formation mais moins immédiats, l’introductif “I Don’t Know How To Survive” et ses saisissants contrastes d’intensité sonore, “Fragments From The Decade” et sa prégnance contemplative, le pathognomonique “Rand McNally” à l’épure magnifique. Tout ça frise bel et bien avec l’excellence pure et simple.
Mais il y a aussi du moins bon voire du nettement moins bon. “Roman Candles”, par exemple, certes acide, certes robuste mais clairement surproduit et un peu trop balourd pour être tout à fait honnête, ce qui n’en fait pas un single particulièrement recommandable. “I’ll Never Give Up On You”, chargé de conclure les affaires, ne paraît pas à sa place (on le verrait mieux en milieu de playlist) tellement il tente de relancer le propos sans grand enthousiasme. Plus gênant, “Foxglove Through The Clearcut”, avec son phrasé parlé et sa fragrance lancinante, finit franchement par agacer par sa redondance et son refrain naïf. Même son de cloche pour “Wheat Like Waves” qui tourne sérieusement en rond au bout de trente secondes : il faut le faire, tout de même. Quatre morceaux qui, à eux seuls, constituent un écueil de taille dans cette entreprise visant à ériger Asphalt Meadows en tant que nouvelle référence de Death Cab For Cutie. Cette livraison 2022 n’en reste pas moins tout à fait délectable, mais par pitié, ne vous arrêtez pas aux lauriers tressés partout ailleurs à ce disque et ruez-vous sur les vrais bons albums du groupe, Plans, Kintsugi, Transatlanticism (pas de débats sur celui-là) ou Narrow Stairs. Avis tout à fait personnel et visiblement à contre-courant, sauf pour une chose : Ben Gibbard et sa bande, contrairement à James Mercer et à la sienne, restent une référence incontournable du rock indie à l’américaine. Et pourvu que ça dure.
À écouter : "Asphalt Meadows", "Roy McNally", "Here To Forever", "Pepper"