Styx
Man of Miracles
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1- Rock & Roll Feeling / 2- Havin' A Ball / 3- Golden Lark / 4- A Song For Suzanne / 5- A Man Like Me / 6- Lies / 7- Evil Eyes / 8- Southern Woman / 9- Christopher, Mr. Christopher / 10- Man Of Miracles
Retour en studio pour l’enregistrement d’un quatrième album. Fidèle à ses origines de cover band, Styx démarre les séances par un filler de première, "Lies", la reprise dispensable d’un titre de 1966. Le morceau est évidemment ridicule mais il a une sacrée histoire. L’original avait été enregistré par les Knickerbockers, les plus célèbres imitateurs américains des Fab Four (John Lennon avait déclaré à leur sujet qu’ils sonnaient plus "Beatles" que son propre groupe, ce qui est malheureusement vrai).
Partir d’un postulat de cet acabit après trois albums invendus représente quasiment un suicide artistique.
Par bonheur, Man Of Miracles va aller au-delà, tout en accentuant un schisme latent depuis le début : Styx est un monstre à deux têtes !
James Young intensifie le côté hard de ses compositions ("Rock & Roll Feeling", "Southern Woman" et l’excellent "Havin’ A Ball").
Dennis DeYoung joue une carte plus orientée vers les power ballads tempérées d’influences classiques ("A Song For Suzanne", "Evil Eyes" ou "Golden Lark", d’une extrême délicatesse). Il signe également un hommage fort appuyé à Saint Christophe ("Christopher, Mr. Christopher") qui, comme tout le monde le sait dans la paroisse de Chicago, a porté Petit Jésus sur ses épaules pour traverser la rivière.
A cette heure, John Curulewski commence doucement à s’effacer, plus ou moins volontairement, devant les deux personnalités qui s’affirment.
Le problème majeur est que les deux styles majeurs ne se marient pas vraiment. Comme la pluie et le beau temps. Comme la glace et le feu. Ce qui donne encore à Man Of Miracles l’aspect d’un jeu de cartes battu par un joueur de poker confirmé.
Mais les deux esprits – Young et DeYoung - vont se rencontrer sur la plage titulaire finale qui est probablement le premier très grand morceau de Styx. Tous les ingrédients du "rock pompier" sont enfin réunis. Emphase et puissance. Chœurs et claviers. Batterie martiale. Cloches et guitares. Grandiloquence et classicisme à l’européenne. Il peut être écrit que "Man Of Miracles" (le titre) représente l’acte fondateur du groupe de Chicago. Il aura fallu du temps. Des larmes et de la sueur mais le résultat est enfin là.
Le disque attire l’attention. Il est proposé dans une assez jolie pochette réalisée par Léon Rosenblatt (renommé Lee dans les crédits), un illustrateur new-yorkais qui travaille depuis peu comme free lance pour RCA (la firme qui distribue Wooden Nickel).
Dans les coulisses, les discussions vont bon train. Bill Traut est conscient que le caractère confidentiel de sa maison indépendante commence à gêner ses poulains aux entournures. Il est en négociation avec A&M, une multinationale.
Un contrat est signé. Et le miracle promis s’accomplit. Par ricochet. Parce que Man Of Miracles stagne dans les charts. Mais, au même instant, dans une pizzeria où il a ses habitudes, Jeff Davis, un très jeune animateur d’une radio AM (*) du Nord de Chicago (la célèbre WLS), entend le single "Lady" (sorti en juillet 1973 sur Styx II). Il tombe raide dingue du titre et supplie sa direction de l’autoriser à le programmer en boucle. WLS est audible dans 38 états des USA et au Canada. Le single cartonne. C’est rapidement un succès national. De la côte Est à la côte Ouest. Pour des musiciens qui se cherchent depuis une éternité, décrocher un #2 imprévisible est une surprise imparable. Même si tout le monde pense qu’ils sont canadiens.
Le single sera ultérieurement la source d’interminables querelles entre Wooden Nickel et A&M, chacune des deux firmes revendiquant la paternité commerciale de ce succès aussi incroyable que tardif. Styx enregistrera finalement pour A&M une version alternative en 1995 (qui ne vaut pas tripette) afin de concilier les points de vue et éviter un procès. A chacun sa "Lady" et c’est finalement très bien comme ça.
L’histoire peut – enfin – commencer…
(*) En ces temps anciens, la bande FM n’avait pas encore envahi le monde. Les radios les plus populaires émettaient en ondes longues (AM) et couvraient des territoires immenses. La qualité d’émission (monophonique) était assez médiocre. C’est la raison pour laquelle, les firmes de disques sortaient les singles promotionnels avec une face « mono » pour les radios AM et une face « stéréo » plus sophistiquée pour les FM. La généralisation progressive des stations FM a imposé la diffusion « stéréo », ce qui a également modifié la qualité générale des enregistrements rock.