Je n’ai jamais vu
La Vallée de Barbet Shroeder. Je ne peux donc en aucun cas vous faire un comparatif entre l’album et le film qui s’apparenterait à un long métrage de clichés hippies sur la quête initiatique d’un paradis perdu en Nouvelle-Guinée. Je ne pourrai vous parler de
Obscured By Clouds que comme le dernier témoignage de l’âge d’or de Pink Floyd. Nous touchons ici à la période charnière du groupe. Le « son
Pink Floyd » tant recherché est arrivé à son accomplissement avec
Meddle et
Dark Side Of The Moon est déjà bien entamé, le quatuor ayant investi les studios sous les directives de Waters et de son premier concept bouillonnant. Après la très bonne expérience de
More et l’échec complet de
Zabriskie Point,
Pink Floyd décide de se relancer dans l’écriture d’une bande originale sous la tutelle de leur premier collaborateur. Une écriture simple et spontanée comme pour leur premier essai, mais cette fois ci avec un son parfaitement maitrisé.
Les structures se retrouvent dégrossies, épurées jusqu’à retrouver une alternance, presque régressive pour Pink Floyd, entre couplets et refrains. Vous lirez souvent que Obscured By Clouds est une anecdote dans la discographie du groupe, presque une erreur. Je suis ici pour vous surprendre à y revenir chercher cette touche unique de psychédélisme, l’absence totale de cette universalité agaçante qui apparaitra avec Dark Side, réduite au profit d’une puissance suggestive et terriblement planante. Loin sont les mois de studios à enregistrer trois accords de guitare. Ceci est le dernier album d’un Floyd léger, ne faisant pas de la moindre idée un concept grandiloquent et usé jusqu’à la moelle, juste de belles chansons censées illustrer des images dans une précipitation qui se ressent mais ne dessert absolument pas leur qualité. Synesthésie express. Les membres du groupe se demandèrent d’ailleurs comment ils avaient pu arriver à quelque chose d’aussi défini en si peu de temps.
Ouverts sur le tandem instrumental entre "Obscured By Clouds" et "When You’re In", on peut de suite ressentir le peu de fioritures qu’ont subi les morceaux avec ce rythme de batterie électronique (le nouveau jouet de Nick Mason), hypnotique et redondant, où les boucles que tissent ces claviers et guitares enamourées s’envolent dans un dialogue répétitif qui s’éteint en fondu. On remarque que le son est désormais une composante essentielle de la réussite d’un album chez Pink Floyd. Rick Wright est au sommet de sa maîtrise des spirales et volutes, fumées épaisses et colorées parfois annonciatrices de celles qui parsèmeront "Shine On You Crazy Diamond" notamment sur le vaporeux "Absolutely Curtains". Mais elles se verront décliner par la suite, non pas par une perte de sensibilité de son auteur mais plutôt de cette fièvre chaleureuse qui n’apparaîtra plus dans sa palette de sons, laissant place à de nouveaux synthétiseurs plus technologiques, mais également plus froids. Les guitares du beau David s’évaporent en aigus sous les lignes de basse rondes et chaudes de
Roger Waters et l’alternance des chants est une réussite à tout point de vue. Wright et Gilmour, devenus aguerris, se renvoient la réplique quand ils ne la partagent pas dans un contrechant superbe dans des titres comme "Burning Bridges" et même Waters se retrouve à pousser des lignes plutôt bien senties.
Rien de tonitruant ou de révolutionnaire ici, juste une musique vivante, douce et ample qui s’inscrit dans les grandes heures du groupe comme en témoigne "Childhood’s End", point d’orgue de l’album avec ses accords aussi basiques que sensuels, signature de Gilmour dans son approche plus conventionnelle des constructions mais également dans une poésie touchante comme en attestent ses paroles: « All the iron turned to rust, all the proud men turned to dust, and so all things, time will mend, so this song will end ». Paroles qui semblent plus mûres chez chacun des membres du groupe à mesure que l’âge avance.
Des morceaux comme "The Gold It’s In The…" et "Free Four" ramènent quelque peu
Pink Floyd dans le registre rock qu’ils ont parfois abordé bien que ce ne fut jamais un domaine de prédilection pour le quatuor. S’ils sont bien moins saturés que ce que l‘on peut entendre chez les formations binaires de l’époque ils possèdent un ton enjoué et futile appréciable qui pourtant ne dépareille pas avec la profondeur habituelle des compositions, surtout quand on observe de plus près "Free Four" et son thème, plus grave qu’il n’y parait. Waters semble ici poursuivre les mots de Gilmour sur "Childhood’s End" dans l’obsession du souvenir vieillissant et la mort de l‘insouciance, eux qui sont à la fleur de l’âge. Les deux comparses se retrouvent pleinement en phase dans leurs interrogations inhérentes à la créativité et à ce moment qui voit
Pink Floyd dans son état de grâce, du fait de l’équilibre qui le compose. L’hiver de la jeunesse…
Quand vous aurez fini de vous abimer les oreilles à écouter les mauvaises langues et vous laisserez aller dans les mélodies simples de Obscured By Clouds vous réaliserez que vous vous êtes privés de bien des choses. Cette bande originale est au final bien plus égale que des albums comme Atom Heart Mother ou Meddle qui, s’ils possèdent chacun une pièce gigantesque occupant une face entière de vinyle, voient la seconde faire œuvre de remplissage avec des titres très bons, mais souvent sans grande envergure. Ici, tout est sans prétention mais déjà mature, offert dans une accessibilité souvent recherchée quand on aborde cette période de cheminement chez Pink Floyd. N’est-ce pas l’occasion ? Sans oublier que pour beaucoup d‘entre nous, force est de constater et d'assumer que ce chemin, parcouru à l’aveuglette par un groupe sans commune mesure à la recherche d’un idéal, possède un intérêt bien plus important que son aboutissement.