Meer
Playing House
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1- Picking Up The Pieces / 2- Beehive / 3- All At Sea / 4- Songs Of Us / 5- Child / 6- You Were A Drum / 7- Honey / 8- Across The Ocean / 9- She Goes / 10- Where Do We Go From Here / 11- Lay It Down
On a beau s’amuser à faire des prévisions et à placer toutes nos espérances dans nos groupes favoris, force est de constater que les plus gros coups de cœur surviennent généralement là où on les attend le moins. L’effet de surprise peut parfois être provoqué par un retour complètement inespéré. On pensera notamment à Doves et Pure Reason Revolution, qui, contre toute attente (après dix ans de silence) ont pu se hisser parmi les meilleurs albums de 2020. Mais cela n’est rien comparé à une découverte totale et fortuite. Vous savez… ce genre de trouvaille, aussi rare qu’exaltante, durant laquelle l’auditeur se retrouve émerveillé par un groupe ou un artiste encore plongé dans l’anonymat et déployant toute son énergie pour nous faire entrer dans son univers. Meer a pour ainsi dire déboulé de nulle part, se démarquant d’autant plus au sein d’une année musicale qui peine à décoller. Alors que les têtes d’affiche déçoivent (un Steven Wilson à court d’idée, Royal Blood qui s’enlise dans un rock aseptisé et un retour mitigé pour Wolf Alice…), cette formation norvégienne - complètement inconnue il y a encore quelques semaines - se présente comme un véritable bol d’air frais et comme une des révélations de l’année.
Derrière Meer, se cache huit musiciens proposant une pop symphonique et lumineuse couplée à des compositions lorgnant vers le rock alternatif et le progressif. Le projet débute dès 2008, sous forme d’un duo au chant associant Johanne Kippersund et son frère Knut Kippersund. Petit à petit le projet prend de l’ampleur et l’effectif s’étoffe avec des amis du lycée, jusqu’à former un véritable petit orchestre composé des habituelles guitare, basse et batterie, mais aussi d’un violon, d’un alto et d’un clavier.
Difficile d’introduire Meer sans parler de ce fameux duo : deux voix parfaitement complémentaires, offrant une large palette d’émotions et de nuances. Les deux chanteurs proposent chacun un univers qui lui est propre : la première saura marquer l’auditeur dès ses premières appariations avec une voix au timbre feutré, quasi androgyne. Tantôt délicate, tantôt puissante, la chanteuse fait part d’une très belle tessiture s’accordant à merveille aux variations d'intensité imposées par les morceaux les plus progressifs. Son frère, quant à lui, s’illustre dans un registre plus pop et direct à l’aide d’une voix suave et élégante amenant de belles envolées lyriques. Les deux vocalistes jouent en alternance avec une répartition équivalente permettant d’apporter une certaine variété tout au long de l’album, tout en proposant des chœurs du plus bel effet.
Playing House est loin de se limiter à un album de chansons mettant en vedette deux belles voix. Meer c’est également une instrumentation épatante au service de compositions finement écrites. Dès les premières écoutes, on est saisi par la richesse et la profondeur d’écoute proposée par le combo norvégien. Aucun des musiciens n’est là pour faire de la figuration et chacun apporte une touche singulière à travers des partitions techniques à l’incroyable sensibilité. L’entrée en matière du remarquable "Picking Up The Pieces" résume à elle seule cette harmonie instrumentale. Avec ses violons virevoltants, sa section rythmique dynamique et imprévisible, et ses multiples variations de tempo, ce morceau dispose de sérieux arguments pour marquer les amateurs de pop sophistiquée, mais aussi ceux de musiques progressives. Il faut d’ailleurs saluer le travail admirable effectué sur la production : chaque ligne mélodique et instrumentale est parfaitement lisible et mise en avant. Preuve en est, le final radieux du titre "Honey" durant lequel toute la petite bande joue à l’unisson pour une véritable démonstration de subtilité et d’équilibre mélodique.
Une fois les présentations faites, le groupe nordique enchaine les prouesses et les morceaux de grande classe. Un titre comme "Beehive" n’aurait en effet guère de mal à charmer un plus large public grâce à son association irrésistible piano-violon (une entrée en matière qui pourra rappeler l’excellent "Burn The Witch" de Radiohead) et une construction rythmée et entêtante s’inscrivant indélébilement dans votre esprit dès la première excursion. Playing House révèle à chaque écoute de nouvelles pépites, entre véritables pièces d’orfèvres et compositions sublimes. Mention spéciale pour le magnifique "Songs of Us" qui se montre particulièrement touchant avec son énergie gracieuse et son refrain langoureux.
Malgré la jeunesse de son effectif, le groupe fait part d’une impressionnante maturité. Les compositions sont millimétrées, aucune place n’est laissée au superflu, et chaque ligne de texte trouve son intérêt dans un ensemble particulièrement cohérent. S’il fallait deviner des influences, on s’orienterait naturellement vers Radiohead, mais aussi vers la scène new prog britannique avec des formations comme Anathema ou encore Pure Reason Revolution (affiliation renforcée par le duo de voix féminin-masculin). Pour la partie instrumentale, on pensera notamment aux dernières réalisations de Kansas (et dans une moindre mesure à la finesse et l’élégance d’un groupe comme Big Big Train), mais c’est surtout vers l’orchestration des Américains de The Dear Hunter que l’affiliation se fait la plus limpide. Ajoutez à cela des influences plus abstraites et épurées à aller chercher du côté de Björk ou encore de Alt-J (sans le côté électro) et vous obtiendrez un petit aperçu de la musique de Meer. Quoiqu’il en soit, le groupe norvégien se montre particulièrement à l’aise à travers les différents styles abordés : de la pop raffinée et distinguée de "All At Sea", en passant par la ballade épurée de "Where Do We Go From Here" jusqu’au rock incisif et fédérateur de "She Goes"... le groupe scandinave ne semble pas avoir de limites.
Seule piste d’amélioration (à prendre plus comme un encouragement) : le groupe gagnerait surement à se laisser aller à un peu plus de folie et de prises de risques. Avec un aspect un peu trop carré et scolaire, renforcé par un certain perfectionnisme, les différentes compositions (notamment celles présentant les structures les plus progressives) manquent parfois de surprises. La marge de progression est telle que l’on ne peut être qu’impatient de découvrir les futures réalisions du groupe.
Playing House fait partie de ces découvertes qu’on aimerait garder pour soi, tant cet album se révèle attachant et d’une beauté enivrante. Une telle révélation, ne peut néanmoins pas rester recluse dans l’ombre. Faisant part d’une impressionnante maturité et finesse d’écriture, le combo norvégien déroule avec panache des compositions riches en instrumentations et en mélodies entêtantes, le tout porté par un merveilleux duo au chant. Non, cette pépite venue du nord ne peut décidemment pas rester dans l’anonymat : le groupe s’appelle MEER et se pose déjà comme un incontournable de l’année !